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La contrainte, et après ? Du statut actuel de l’Oulipo

La contrainte, et après ? Du statut actuel de l’Oulipo

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Marc Lapprand)

Atelier 11 : La contrainte, et après ? Du statut actuel de l’Oulipo

Congrès annuel (27-30 mai 2017)

Université Ryerson, Toronto, Canada

            On a suffisamment dit à l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) que son rôle essentiel consistait à élaborer de nouvelles contraintes d’écriture, les tester, éventuellement les saturer, pour ensuite passer à autre chose, c’est-à-dire à une autre contrainte. C’est ce mode opératoire qui explique que pendant longtemps il y a eu résistance à parler de « littérature oulipienne », même si plusieurs chefs-d’œuvre ont vu le jour, des plumes de Raymond Queneau, Georges Perec, Italo Calvino, Jacques Roubaud et Jacques Jouet. Mais que se passe-t-il donc après que la contrainte a été rodée, utilisée, ajustée, mise à l’épreuve, bref qu’elle a passé le cap de sa viabilité ? Trois scénarios possibles se dessinent : la contrainte acquiert un statut de productivité tel qu’elle génère des textes écrits par d’autres que son inventeur (par exemple, « Morale élémentaire » de Raymond Queneau) ; au contraire, elle ne suscite pas d’émules, sauf sous des formes satiriques (Poèmes de métro de Jacques Jouet, devenus « poèmes de météo », « poèmes de bistrot ») ; dernière option, elle meurt sitôt mise au point pour cause d’improductivité, et disparaît sans laisser de traces (à moins d’avoir accès aux comptes rendus des réunions mensuelles de l’Oulipo). Or tout ceci cache une contradiction, à savoir que les oulipiens affectent de ne pas s’attacher au produit issu de leurs contraintes, tandis que les morceaux de bravoure ne cessent de s’accumuler, notamment dans les fascicules de La Bibliothèque oulipienne qui sortent à une cadence impressionnante (on a déjà dépassé les 220 numéros, voir www.oulipo.net).

            En outre, il existe depuis une vingtaine d’années un réel appel vers le monde. Parti d’un cercle parisien de type collégial, l’Oulipo, sous-commission du Collège de ‘Pataphysique, au fur et à mesure de son évolution (il a célébré son premier cinquantenaire en 2010) se tourne davantage vers l’extérieur. Cela se marque par l’arrivée de nouveaux membres non parisiens, les derniers en date étant Daniel Levin Becker (Californie), Eduardo Berti (Argentine) et Pablo Martín Sánchez (Espagne) ; cela s’accompagne d’un intérêt vivace pour des littératures allophones. J’avais naguère amorcé cette réflexion lors d’un colloque consacré à l’Oulipo à Metz[1]. Je propose de poursuivre cette observation en avançant que le Grand Œuvre oulipien est peut-être LA contrainte ultime de l’Oulipo : Métacontrainte collective qui ne cesse de redire, d’un point de vue génétique, la survivance de l’espèce. Daniel Levin Becker résume bien cette problématique : “over the past fifty years, the Oulipo grew from a hard-to-articulate idea to a hard-to-articulate global phenomenon[2].”

            Autre point de réflexion : parallèlement à cette ouverture au monde, de nombreux écrivains pratiquent la littérature à contrainte sans appartenir au groupe ni même se réclamer de son obédience. C’est le cas, dans le monde anglophone par exemple, de Christian Bök et de Mark Dunn, et de la mouvance de « noulipo » née en Californie en 2005. Cet atelier propose de tenir compte éventuellement de ces productions parallèles (voire, frondeuses). On pourra par exemple se demander s’il y a « effet de groupe » ou non, dans la mesure où la cooptation à l’Oulipo résulte obligatoirement d’un vote unanime, ce qui renforce singulièrement l’émergence d’une pensée commune autour d’enjeux littéraires ou métalittéraires. Mais, on s’en doute, il n’est pas besoin d’appartenir à l’Oulipo pour pratiquer l’écriture à contrainte ; les Oulipiens le savent fort bien, qui vont même jusqu’à parler de « plagiaires par anticipation » s’agissant de prédécesseurs proto-oulipiens.

            Une autre exploration pourrait enfin interroger le statut actuel de l’Oulipo pour tenter de mieux le cerner : les Anglo-saxons ont tendance à le percevoir comme une avant-garde, ce qui peut faire débat si l’on considère que ce groupe existe depuis 56 ans. On conçoit que la posture socio-littéraire de l’Oulipo n’a guère à voir avec Dada ou le surréalisme, par exemple[3]. En fait, on pourrait très bien envisager l’Oulipo comme une sorte de discipline plutôt classique dans son traitement de la forme, malgré ses innovations constantes. Il existe en effet au sein de l’Oulipo une réelle vénération pour toutes les formes canoniques de la poésie, de la sextine au sonnet en passant par toutes les variantes de poésies métagrammatiques (lipogrammes, anagrammes, palindromes, hétérogrammes, monovocalismes, abécédaires, etc.)

            On le voit, tous ces paradoxes sont éminemment porteurs de sens et suscitent de nombreuses réflexions sur divers statuts reliés au groupe : celui de la contrainte et de ses conséquences en premier lieu, celui de son ouverture au monde (il est notoire que les premières années d’existence du groupe furent assez secrètes, à l’instar de celles du Collège de ‘Pataphysique), celui de ses émules et enfin de son statut philologique en tant qu’atelier de création littéraire qui ne faiblit pas malgré son grand âge.

Modalités de soumission

Soumissions à envoyer d’ici le 15 décembre 2016. 300 mots. À lapprand@uvic.ca

Advenant votre acceptation, vous devrez régler la cotisation annuelle de l’association ainsi que les frais de congrès. Cela se fera au début de 2017. Les modalités d’inscription seront disponibles sur le site de l’association : apfucc.net

    

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[1] « Pour une esthétique de l’(alter) mondialisation à l’Oulipo » 50 ans d’Oulipo : De la contrainte à l’œuvre. La Licorne, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 63-70.

[2]  Daniel Levin Becker, Many Subtle Channels: in praise of potential literature, Cambridge (Mass.) Londres, Harvard U Press, 2012, p. 115. L’auteur montre d’ailleurs comment l’Oulipo a désormais débordé de son cadre initial.

[3] Voir Marc Lapprand, « L'Oulipo vu par la critique anglo-saxonne : égards ou égarements ? » Contemporary French and Francophone Studies, 2016, Vol. 20, No 3, p. 461-469.