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Images et scènes d’école dans le texte romanesque et autobiographiquedes XVIIIe et XIXe s.

Images et scènes d’école dans le texte romanesque et autobiographiquedes XVIIIe et XIXe s.

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Université Blaise Pascal)

 

Images et scènes d’école

dans le texte romanesque et autobiographique

des XVIIIe et XIXe siècles

 

 

Si, jusqu’au début du XVIIIe siècle, l’univers scolaire a considéré l’enfant comme faible et coupable, et l’a surveillé sans cesse pour le préserver des tentations du monde, il est appelé à mesurer bientôt que « l’enfance représente un fonds premier, une donnée immédiate de l’humain [car] la valeur qu’on lui accorde c’est la confiance même qu’on place en la nature humaine »[1]. Bien que des projets scolaires originaux voient désormais le jour, ils «demeurent loin en deçà des plans proposés par les réformateurs »[2]. Aussi est-il nécessaire d’attendre le XIXe siècle pour que certaines idées éducatives des Lumières se concrétisent au sein de l’École.

Dans ce contexte historique, nourri tout à la fois de ruptures et de continuités, l’École et sa représentation constituent un passage obligé au sein d’une écriture de l’enfance, que celle-ci soit inscrite dans une évocation de la réalité vécue ou une démarche de création fictionnelle. Nous entendons par « École », au sens générique du terme, ce lieu incontournable de la transmission des savoirs – tout à la fois écoles de type primaire, petites écoles de Port-Royal de type secondaire, couvents, collèges tenus par les Jésuites, par les Oratoriens ou bientôt Collège Royal, ou impérial, et lycée de la République.

Or, cet espace dédié à l’instruction, à l’intelligence et à la culture se trouve sans cesse interrogé par l’écrivain qui vient y puiser l’origine de sa propre identité intellectuelle, entre façonnage des esprits et apprentissage de la liberté de penser. L’institution scolaire constitue en effet un lieu de création de soi, entre règles et affranchissement, entre individualisation et camaraderie, entre projets de vie en germe et réalités d’un présent souvent jugé difficile, sinon insupportable. Le roman de formation, à la manière du Bildungsroman, met en scène un homme en devenir qui acquiert peu à peu une philosophie de l’existence sous l’égide d’un guide omniscient. Plus généralement, le texte romanesque, de pure fiction ou autobiographique, les mémoires et toutes les variantes d’un discours littéraire autobiographique, se font volontiers le miroir et le prolongement réflexif de cette création de soi.

Tantôt l’écrivain expose le « cours même de la formation qui tend à faire naître une pédagogie […] [tantôt il évoque] une pédagogie qui prédétermine l’itinéraire de la formation. »[3] L’écrivain peut encore s’emparer de l’École pour régler des comptes avec son passé et reconfigurer son avenir, en simplifiant le présent. La nature des savoirs enseignés, la question de leur transmission, la relation au(x) maître(s), les rapports entre condisciples constituent autant d’éléments d’une écriture romanesque de l’École.

Avec le contexte éducatif, le roman trouve une sorte de microcosme qui ouvre en réalité à toutes les expériences humaines et autorise aussi bien une approche et une réflexion philosophique que sociologique. Lorsque l’œuvre romanesque s’inscrit dans un itinéraire de formation, elle s’ordonne autour de l’idée fondamentale que toute éducation a partie liée avec la vie et la pensée humaine. Pour chaque parcours éducatif, qu’il soit scolaire ou individuel, réel ou fictif, l’écrivain trace d’ailleurs le long cheminement d’un esprit en construction.

Au XVIIIe siècle, la figure du disciple renvoie au mythe de l’homme primitif, sujet idéal et propice à moult expériences d’éducation fictive. Avec les représentations du milieu scolaire, le romancier puise aussi un personnel romanesque souvent haut en couleurs, attachant et représentatif de la société dans ce qu’elle a de pluriel. Le tableau de l’enseignant donne lieu à des portraits de maîtres qu’on n’oublie plus, entre individus singuliers et êtres emblématiques, entre histoires personnelles et représentations générationnelles, que l’écriture romanesque magnifie ou dégrade à jamais. D’un point de vue générique, la plupart des formes romanesques explorent le motif scolaire comme espace délimité et clos, lieu propice à bien des scénographies individuelles et collectives.

Dans le roman d’apprentissage, l’École occupe forcément une place essentielle : elle est le lieu idéal pour dire le devenir-adulte. Et, dans le roman générationnel, elle est le lieu premier où se soudent les amitiés et se construisent les solidarités. Une approche synchronique montrerait que l’inflation du discours romantique dès la fin du XVIIIe siècle a accordé à l’espace éducatif – école, collège, lycée…- une place de choix puisque c’est la naissance de l’individu, dans sa singularité, qu’elle soit flattée ou brisée, que le roman est venu raconter. Dans le roman autobiographique, l’École est à la fois espace et temps : elle symbolise la construction du moi et aide à expliquer de l’intérieur un parcours personnel. Dans la littérature de jeunesse, l’École est un lieu incontournable. Univers de l’enfant par excellence, l’École reste souvent un espace à apprivoiser pour grandir, dont la représentation doit moins s’appréhender comme une nécessité de la trame romanesque que comme un discours directement adressé au jeune lecteur.

Le texte littéraire fait volontiers des lieux d’apprentissage des espaces chargés de symboles jusqu’à la saturation. Le roman peut devenir réflexion sur la société, sur l’Homme, enjeu de débats philosophiques, politiques et sociaux. Avec le thème éducatif, l’écrit romanesque ou autobiographique interroge, tout au long du XIXe siècle, la place de l’individu dans la société, entre sujet et objet. En aval des descriptions d’un milieu éducatif réel, sinon historique, et du récit de l’expérience humaine à vocation instructive, l’écrivain peut aussi construire le projet d’un parcours formatif parfait et d’une École idéale selon lesquels l’éducation peut tout. Il réfléchit alors via la création romanesque à de nouveaux modes de transmissions des savoirs, peut s’amuser (ou non) à représenter l’éducateur en démiurge pour mieux valoriser certains savoirs et promouvoir encore une certaine conception du vivre-ensemble. La représentation des modalités éducatives n’est jamais un acte sans conséquence. Elle reste un prisme privilégié pour dire la société humaine.

Le témoignage porté par le roman ou le discours autobiographique pose alors la première pierre qui fonde une réflexion intellectuelle, politique et philosophique, parce que l’éducation ne se limite pas à la leçon magistrale, mais qu’elle embrasse cet assemblage des us, des coutumes, des pratiques, des statuts, des circonstances et des conventions qui régissent chaque individu. Il vient rappeler et souligner l’influence potentielle du romancier sur la société et sa destinée.

 

La question des représentations de l’univers éducatif, du parcours formatif, du disciple et du mentor dans les textes romanesques des XVIIIe et XIXe siècles donnera lieu à un colloque de deux journées à l’ESPE Clermont-Auvergne, les 27 et 28 janvier 2016. Les propositions de communications sont à envoyer pour le 31 mars 2015 à

 

 

 

 

 

[1] Georges Snyders, La Pédagogie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris , Hachette, 1965, p. 209 et 281.

[2] Ibid., p. 411.

[3] Robert Granderoute, Le Roman pédagogique de Fénelon à Rousseau, (2 vol.), Paris, Slatkine, 1985, t. 1,  p. 4.