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Arrachés et déplacés. Réfugiés politiques, prisonniers de guerre, déportés (Europe et espace colonial 1789-1918)

Arrachés et déplacés. Réfugiés politiques, prisonniers de guerre, déportés (Europe et espace colonial 1789-1918)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Nicolas Beaupré)

Arrachés et déplacés. Réfugiés politiques, prisonniers de guerre, déportés (Europe et espace colonial 1789-1918)

Clermont-Ferrand, 15-17 octobre 2012

Université Blaise Pascal, Maison des Sciences de l'Homme. 4 rue Ledru, 63057 Clermont-Ferrand, Cedex 1

 

Comité scientifique

Annette Becker (Paris Ouest Nanterre-IUF), Philippe Bourdin (UBP), Simon Burrows (Leeds), Jordi Canal (EHESS), Jean-Claude Caron (UBP-IUF), Alan Forrest (York), Heather Jones (LSE), Jean-Philippe Luis (UBP), François Weil (EHESS), Karine Rance (UBP), Nicolas Beaupré (UBP-IUF)

Organisation : Karine Rance et Nicolas Beaupré

 

Lors de ce colloque, il s’agira de traiter conjointement trois grands types d’expériences a priori dissemblables, celles des réfugiés, des prisonniers de guerre et des déportés, ceci au cours du « long XIXe siècle ». Ces expériences sont radicalement distinctes en regard du droit international de la guerre qui se construit progressivement au cours du siècle et qui implique un traitement différencié des civils et des militaires en temps de conflit. Elles sont cependant comparables à bien des égards. Ces trois formes de circulation transnationale contrainte sont caractérisées par un moment d’arrachement qui se déroule dans un contexte de violence (guerre, révolution, crise), suivi d’une migration forcée et d’une implantation provisoire ou définitive. Ces déplacés subissent alors une marginalisation et leur séjour dans le pays d’accueil n’induit le plus souvent aucune demande ni exigence d’intégration (sauf à sortir de la condition qui est la leur). Leur arrivée peut participer ainsi à la définition des frontières, des confins, des identités[1]. Ces trois expériences partagent un autre point commun : la possibilité du retour est conditionnée par les Etats dont les acteurs dépendent, dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil, ainsi que par l’éventualité d’une sortie de crise ou de conflit.

Les frontières entre les trois statuts sont en outre souvent brouillées à cette époque : certains prisonniers de guerre disposent d’une liberté relative alors que des réfugiés peuvent être parfois astreints à résidence. Ces expériences s’accompagnent en effet dans certains cas d’un enfermement. Enfin ces « éprouvés », pour reprendre le terme de Victor Hugo[2], sont tous des vaincus (sur le plan militaire et/ou politique) et tendent à devenir des réprouvés.

Ce colloque vise à comparer ces situations qui ont fait l’objet de recherches récemment renouvelées, mais qui continuent à se côtoyer plus qu’à se croiser. Il s’articulera autour de cinq thèmes :

 

1. Histoire de concepts, histoire de statuts

Alors que le statut de réfugié politique semble émerger juridiquement au cours de la Révolution française, les progrès de l’identification, la structuration des administrations et la mise en place progressive d’une politique d’assistance appellent à une distinction de plus en plus nette entre les statuts de réfugiés, de prisonniers de guerre et de déportés. Il s’agit aussi d’aboutir à une définition clarifiée de la responsabilité de chaque pays à l’égard de ses ressortissants dans le contexte de la formation des Etats-nations et d’une massification des mouvements migratoires[3]. A quel rythme sont précisés ces statuts dans les différents Etats européens et selon quels principes de réciprocité ? Comment les catégories sont-elles utilisées et comment les pratiques évoluent-elles au sein des administrations nationales ? Comment et pourquoi le droit international s’en empare-t-il ? Les statuts de réfugiés ou de prisonniers de guerre sont temporaires et peuvent être modifiés à l’occasion de bouleversements politiques. Comment, dans un même Etat, est envisagé et négocié le passage d’un statut à un autre ? Quelles sont enfin les modalités de la sortie de ces catégories, lorsqu’un individu décide de rester dans le pays dans lequel il s’est trouvé déplacé ?

2. Des expériences de violence : l’arrachement

Cette expérience est centrale car c’est elle qui rassemble finalement des expériences en apparence si différente. Elle structure tout le reste notamment dans la trame narrative des récits qui sont faits de ces expériences. Les réflexions s’articuleront autour des pratiques de violence rattachées à cette expérience et notamment à la capture et à l’expulsion ainsi qu’aux affects et émotions qui s’y rattachent aussi bien du côté des « éprouvés » – comme le sentiment de honte par exemple – que des acteurs mettant en œuvre les violences d’arrachement. La mise en récit testimoniale et littéraire de ces expériences sera examinée dans la mesure où elle contribue aussi à la désignation et à la narration de celles-ci.

3. Trajets/trajectoires, identités transitoires/identités transformées

L’expérience initiale de l’arrachement, puis celle du déplacement, marquées du sceau de la violence, sont fondamentales dans la redéfinition des identités qui suit la défaite militaire et/ou politique et l’arrivée à l’étranger dans des conditions matérielles et sanitaires souvent très précaires. Les recompositions identitaires qui en découlent se font à la fois dans le contexte du renforcement des identités nationales (mais qui sont loin de s’imposer systématiquement face aux identités territoriales[4]) et dans celui de l’affirmation européenne de courants politiques (libéraux, légitimistes, socialistes…). Ne peuvent-elles également favoriser les hybridations, les métissages culturels des identités transnationales vécues  alors comme définitives ou transitoires ?

Quel regard est porté sur ces déplacés : sont-ils perçus comme des hommes et des femmes « sans histoire »[5] ou ne sont-ils pas au contraire saturés d’histoire ? Sont-ils considérés déjà comme des éprouvés ou encore comme des réprouvés ? Des solidarités politiques transnationales l’emportent-elles sur le rejet de l’étranger/ennemi ? Ces hommes et ces femmes déplacés constituent aussi une force de travail utilisable sous certaines conditions : comment se fait l’entrée sur un marché du travail segmenté ? Y sont-ils perçus comme des concurrents ou des partenaires ?

Les femmes, quoique minoritaires, sont bien présentes dans ces groupes, qu’elles soient directement impliquées dans un combat politique, qu’elles aient été déplacées ou qu’elles soient épouses de prisonniers de guerre autorisées à les suivre ou à les rejoindre. Quelle place leur est réservée dans ces identités construites essentiellement au masculin ?

4. Temps suspendu, temps perdu

Le temps passé à l’étranger est avant tout celui de l’attente du retour au pays. Comment les déplacés perçoivent-ils le temps et comment l’occupent-ils ? L’équilibre n’est-il maintenu – au niveau du groupe comme au niveau individuel – qu’à la condition de continuer d’adhérer à la logique (politique ou militaire) qui a conduit au déplacement ? Des institutions sont-elles mises en place, au sein du groupe, pour assurer l’allégeance aux autorités « légitimes » ? Quel rôle joue le maintien de la croyance en sa cause politique pour l’exilé[6], la préservation de l’obéissance et de la hiérarchie militaires pour le soldat ? Quelle est l’ampleur des cas de rébellion contre ceux qui sont jugés responsables de l’échec : les ennemis, mais également les officiers pour les soldats, les leaders politiques pour les réfugiés, les compagnons d’exil masculins pour certaines réfugiées politiques ? Dans quelle mesure, dans la durée, les expériences de l’exil ou de la captivité se traduisent-elles par un renforcement des liens de solidarité ou au contraire par des dissensions, des divisions, des conflits au sein des groupes déplacés ? La sortie du groupe peut se traduire par un retour au pays – ou par le refus du retour selon les cas –, par des troubles psychiques comme la maladie des barbelés ou par le suicide. Peut-on en estimer l’ampleur ?

5. Des expériences réfléchies

Il s’agit ici d’étudier l’expérience intellectuelle que représente le déplacement pour bon nombre de ces acteurs, mais aussi l’intellectualisation rétrospective à laquelle il donne lieu.

L’exil est lieu de rencontre, de formation et de production politiques et littéraires pour certains prisonniers de guerre et pour la plupart des réfugiés : des réseaux sont tissés, renforcés, au-delà parfois des appartenances politiques ou nationales initiales. Quels en sont les effets sur la circulation des idées en Europe ? Comment se fait la transmission, selon quels canaux ? Le déplacement favorise-t-il un regard distancié ou fige-t-il au contraire les idées et les principes ? Quelle place pour les transferts culturels dans un tel contexte ? Quelles formes prennent-ils alors ?

Enfin, nous interrogerons les remémorations de l’expérience. Quels en sont les supports matériels ? Peut-on identifier des topoï mémoriels communs aux trois formes de déplacement envisagées ? Quel rôle joue l’oubli, volontaire ou non, dans la mémoire collective de ces expériences ? Une forme de récit collectif se dégage-t-elle ? Est-elle destinée à assurer la cohésion de la cité, entre amnistie et amnésie[7], ou est-elle au contraire destinée à solder les comptes ?

 

Ce colloque aura lieu à Clermont-Ferrand en octobre 2012. Les langues de travail du colloque seront le français et l’anglais.

Les propositions sont à envoyer pour le 30 novembre 2011 à : nicolas.beaupre@univ-bpclermont.fr. Votre proposition ne devra pas excéder une page. Merci d’indiquer votre université de rattachement et vos fonctions académiques.


[1] Wolfgang Kaiser, Claudia Moati, Gens de passage en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne, Paris, 2007, introduction.

[2] Cité par Sylvie Aprile, Le siècle des exilés, 2010, Paris, p. 7.

[3] Dick Hoerder, Cultures in Contact. World migrations in the second millennium, Durham, 2002.

[4] Pierre-Jacques Derraine, « Les années 1830-1850 : le national, objet de convergences sociales et d’interférences culturelles », dans Marie-Claude Blanc-Chaléard, Stéphane Dufoix, Patrick Weil, L’étranger en questions du Moyen-âge à l’an 2000, Paris, 2005, p. 139-16

[5] Pilar Gonzalès-Bernaldo, Manuela Martini, Marie-Louise. Pélus-Kaplan, Etrangers et sociétés. Représentations, coexistence, interactions dans la longue durée, Rennes, 2008, introduction.

[6] Stéphane Dufoix, Politiques d’exil, Paris, 2003.

[7] Jocelyne Dakhlia, L’oubli de la cité, Paris, 1990.