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Mémoire pour l’avenir, nostalgie et utopie dans les imaginaires socioculturels des

Mémoire pour l’avenir, nostalgie et utopie dans les imaginaires socioculturels des "Europes de l’Europe" contemporaines

Publié le par Marc Escola (Source : Alina Iorga)

Mémoire pour l’avenir, nostalgie et utopie dans les imaginaires socioculturels des « Europes de l’Europe » contemporaines

Université « Dunărea de Jos » de Galați, Faculté des Lettres

Appel à contributions pour un ouvrage collectif

En analysant, une décennie après la fin de la Guerre Froide, les changements survenus au cours du dernier quart du siècle passé sur le plan de l’expérience et des perceptions du temps, Andreas Huyssen (2000) mettait en exergue un tournant significatif, visible dans l’abandon de la pensée orientée vers l’avenir en faveur de l’intérêt grandissant pour ce qu’il nommait les « passés présents ». Le comparatiste allemand invitait dès lors à réfléchir sur nombre de problèmes symptomatiques pour la « crise globale de la mémoire » (Robbe, 2023), devenus à présent des thèmes centraux dans les recherches modelées par de multiples perspectives disciplinaires : Cultural Memory Studies, Nostalgia Studies, Utopian Studies, Media Studies, l’historiographie, la philosophie de l’histoire, la mnémohistoire, les sciences sociales et politiques et les études en psychologie cognitive concernant la « réflexion sur l’avenir collectif » (collective future thought) (Szpunar & Szpunar, 2016). Ces recherches convergent, entre autres, dans les réflexions concernant l’une des conséquences négatives majeures du tournant décrit par Huyssen, au cours duquel la commémoration parfaitement légitime des grands traumatismes collectifs de « l’ère des extrêmes » est contrebalancée par l’amnésie sociale favorisée par l’explosion informationnelle (Hoskins, 2023) et par la marchandisation de la mémoire : il s’agit d’une « incapacité d’imaginer l’avenir » (Rigney, 2018), voire d’une crise de l’avenir, inscrite dans une crise du temps (Hartog, 2015 [2003]). L’analyse de Huyssen, qui a étudié les manifestations du boom mémoriel débuté dans les années ’80 sur plusieurs plans, des pratiques mnémoniques institutionnalisées à la culture populaire amnésique, sursaturée, dans les nouveaux médias de communication, par les avatars de la « mémoire imaginée », s’achevait, d’ailleurs, avec un plaidoyer en faveur de la remémoration de l’avenir : « Even if amnesia were a byproduct of cyberspace, we must not allow the fear of forgetting to overwhelm us. And then perhaps it is time to remember the future, rather than only worry about the future of memory. » En méditant, sur les traces de Huyssen, aux mêmes effets psychosociaux, culturels et épistémologiques de la focalisation sur les « passés douloureux » (painful pasts) (Keightley & Pickering, 2012), subséquents au collapsus des grandes narrations care avaient soutenu, jusqu’en 1989, la pensée utopique – y compris un symptomatique « état de dépression collective » –, Ann Rigney (2018) encourageait, à son tour, la « souvenance de l’espoir », pas en dernier lieu à travers une réorientation vers l’avenir des Memory Studies, à même d’équilibrer le paradigme traumatique dominant : « Memory studies is not inherently backward-looking, but may become overly presentist in its outlook if it fails to establish an archive of mnemonic practices that extends beyond current practice and its traumatic horizons. » 

Bien que la défense d’un « tournant positif » dans les Memory Studies soit – dans le contexte des tragédies contemporaines et de l’émergence de nouveaux filons de la mémoire traumatique –, encore plus problématique qu’elle ne s’était montrée à Ann Rigney il y a six ans, un tel virage reste nécessaire, comme l’attestent, entre autres, les analyses visant la « réflexion sur l’avenir collectif ». On ne peut pas oublier que la projection de l’avenir joue un rôle essentiel dans le renforcement du sentiment collectif de la continuité (qui est aussi un ressort de la nostalgie), indispensable à l’équilibre identitaire, mais aussi à l’adaptation des communautés aux changements économiques, politiques, sociaux et culturels : « The projection of the future that acts as a catalyst for remembrance is often one that invokes scenarios or images that threaten a collective’s sense of continuity. » (Szpunar & Szpunar, 2016) S’intéressant à « l’interaction des passés multiples et contestés », les recherches « présentistes » dédiées à la mémoire collective confèrent à l’avenir une dimension purement « implicite », tributaire surtout de la reconstruction et des représentations du passé. Le franchissement de ces  limitations n’implique pas un rejet de la vision commémorative, mais un remodelage des conceptions visant les relations entre l’avenir et le passé, à même de faciliter tant l’entendement des modalités par lesquelles l’avenir imaginé, prédit ou anticipé peut influencer les processus de la remémoration collective, que l’analyse de l’interaction « multidirectionnelle » des temporalités. La réflexion sur l’avenir collectif incorpore cette interaction, y compris l’embranchement des représentations, des affects, des médias et des contextes mnémoniques. (Ibidem) De telles approches s’avèrent d’autant plus nécessaires que les études récentes concernant les « trajectoires intertemporelles implicites » visibles, entre autres, dans l’imaginaire occidental, mettent en exergue, d’une part, une propension négative de la pensée temporelle collective, plus accentuée, surtout dans le contexte pandémique, dans le cas des projections de l’avenir, perçu en général comme « dystopique », en contraste avec les visions du passé – donc, « une trajectoire intertemporelle du déclin » – et, d’autre part, la dissociation des représentations du temps individuel par rapport à celles du temps collectif. Sans négliger la variabilité culturelle en tant que facteur différenciant, ces études corrèlent ladite trajectoire du déclin avec le pessimisme culturel quasi généralisé en Occident après le collapsus des grandes narrations progressistes tributaires du paradigme des Lumières. (Yamashiro et al., 2023) 

Rappelons, à ce point, que ce pessimisme se laissait déjà percevoir dans la seconde moitié des années ’70, dans le « climat anti-utopique de la Guerre Froide » (Levitas, 2013), marqué par le déclin des États-nations et des États-Providence (Hartog, 2015), mais aussi par l’« épuisement des énergies utopiques qui avaient animé, des décennies durant, la société du travail (Habermas, 1991). À la même époque, on assiste à la transition du régime moderne d’historicité, dominé par l’imagination progressiste, à celui « présentiste », sur le fond de la globalisation accélérée et de l’amplification de « l’asymétrie entre expérience et attentes », associée, depuis la fin du Siècle des Lumières, à « l’idée de progrès et à l’ouverture du temps vers l’avenir » (Hartog, 2015). Une conséquence culturelle essentielle de ces phénomènes, c’est le jaillissement – en Occident et également, après 1989, dans l’ancien bloc de l’Est – de la « passion pour le patrimoine », une expression des efforts de contrebalancer le « processus de dénationalisation » et les « tendances vers la fragmentation et la démocratisation » de la mémoire sociale (Misztal, 2003). Après l’émergence du « tournant connectif » (Hoskins, 2023), à la « fièvre mnémonique provoquée par le cyber-virus de l’amnésie, qui menace parfois anéantir la mémoire même » (Huyssen, 2000) s’associe une « épidémie globale de la nostalgie » : « In counterpoint to our fascination with cyberspace and the virtual global village, there is a no less global epidemic of nostalgia, an affective yearning for a community with a collective memory, a longing for continuity in a fragmented world. » (Boym, 2001) La généralisation du sentiment du déclin national et du fatalisme (Levitas, 2010) inspire, dès lors, des anxiétés vis-à-vis de « la fin de l’utopie » (Jacoby, 1999). Les émotions collectives évoquées ne sont pas liées, en fait, à « la perte d’un âge d’or de la stabilité et de la permanence » : « The issue is rather the attempt, as we face the very real processes of time-space compression, to secure some continuity within time, to provide some extension of lived space within which we can breathe and move. » (Huyssen, 2000) Il en va de même pour certaines pratiques culturelles nostalgiques qui facilitent la synthèse créative des expériences situées dans des époques différentes, celle des formes de la mémoire collective et, évidemment, celle des horizons d’attente qui en sont spécifiques. Ces pratiques devraient être, quand même, distinguées de celles qui frisent la « rétromanie » (Angé & Berliner, 2016), en tant qu’expression de la « nostalgie ersatz » (Boym, 2001; Appadurai, 1996) identifiable aujourd’hui dans de divers médias. On pense surtout aux « nouvelles écologies média », dominées par une « mémoire digitalement compromise », qui « fracture » le passé, en engendrant de « multiples réalités de l’expérience », une « mémoire du présent pour le présent », qui élude la conception du présent (re)construit dans la perspective d’un « avenir humain réalisable » (Hoskins & Shchelin, 2022). 

Aux dynamiques esquissées ci-dessus vient s’ajouter, sur le terrain mnémopolitique, une dimension profondément conflictuelle accentuée par la multiplication, après les séismes de 1989 /1991, des « jeux » (géo)politiques ayant comme objet la mémoire divisée de l’Europe » (Mink & Neumayer, 2013; Assmann, 2013), et qui a influencé la compétition entre les deux paradigmes mémoriels hégémoniques : celui national(iste)-antagoniste et celui cosmopolite-universaliste. Ces dynamiques conflictuelles ont stimulé, ces dernières années, la réorientation des Memory Studies vers une approche « agonistique » qui intègre des concepts des théories antérieures sur la mémoire « voyageuse » (Erll, 2011), « multidirectionnelle » (Rothberg, 2009), « multi-vocale » (de Cesari & Rigney, 2014) etc. En privilégiant un « multiperspectivisme radical », doublé de la contextualisation historique, sociale et politique des conflits mnémoniques (Bull, Hansen & Colom-González, 2021), la « mémoire agonistique » reflète le besoin de sortir de l’impasse générée par la compétition entre le nationalisme et le cosmopolitisme – conçus, tout comme l’agonisme, en tant que « types idéaux » (Berger & Kansteiner, 2021) – et par la focalisation sur les histoires traumatisantes. Ayant un potentiel déconstructif, par rapport aux narrations hégémoniques, mais également reconstructif, la mémoire agonistique incorpore une « réflexion sur l’avenir collectif » : « Agonistic memory, therefore, offers the potential to remember the struggles of the past around hegemony by both deconstructing the dominant narrative(s) and reconstructing alternative socio-political paths, alliances and visions for the future. » (Bull, Hansen & Colom-González, 2021) Des telles préoccupations peuvent être repérées également dans les études dédiées à la « mémoire collective implicite » qui soutiennent non seulement l’extension du domaine des analyses, par-delà le paradigme commémoratif, sur le terrain des multiples modalités « cachées », « non-conscientes » par lesquelles le passé influence ou façonne le présent, mais aussi l’examen de la dimension prospective dissimulée dans les strates profondes de la mémoire communicative : « Implicit collective memory is, contrary to commemoration, not primarily backward-looking, but fundamentally a preforming, a forward-facing dynamics. […] Implicit collective memory is a form of ‘collective future thinking without thinking’. » (Erll, 2022)

Le caractère multidimensionnel de la mémoire historique et ses rapports avec l’avenir dans le contexte des « transformations sans précédent » entraînées par le progrès technologique et par les défis climatiques représentent également des axes majeurs dans les recherches récentes en historiographie et en philosophie de l’histoire (Simon & Tamm, 2021). Dans « l’ère de l’archive [digitale] inversée » qui « nous traque, nous consume, nous façonne » (Hoskins, 2023), à l’intérêt pour la « pluri-historicité » et pour les passés multiples (Simon, 2023) s’associent, dans ces mêmes domaines, les réflexions sur « l’avenir déconnecté » (disconnective futures) (Simon & Tamm, 2021). Ce dernier n’est plus simplement incertain, mais aussi imprédictible (Simon, 2023), en inspirant des « [pseudo]utopies de l’extinction » et des « dystopies post-historiques » (Simon, 2019). 

C’est dans ces riches contextes épistémologiques qu’entend situer la problématique de la nostalgie, de sa composante utopique et des perceptions temporelles qu’elle incorpore. Les conceptions récentes de cette « émotion historique » également « rétrospective et prospective » (Boym, 2001), « mélancolique et utopique » (Pickering & Keightley, 2006) – qui n’éludent pas les théories articulées à partir des années ’70–’80 –, sont, d’ailleurs, convergentes avec les réflexions sur l’avenir collectif. De telles conceptions intégratrices de la nostalgie mettent en exergue le caractère intertemporel et le potentiel émancipateur-critique de son pôle utopique, en montrant que cette « émotion multicouche et polymorphe », ayant « des dimensions et des connotations distinctes, parfois opposées » (Jacobsen, 2020), témoigne d’« une utilité élargie » par rapport au présent et à l’avenir. Cette dernière est liée à ses « fonctions existentielles », actives au croisement des mémoires individuelles et collectives : le renforcement de l’identité par la préservation du sentiment de continuité, mais aussi la revigoration des relations sociales et du sens de l’existence (Sedikides & Wildshut, 2022). Conçue dans sa triple dimension de forme de « l’imagination mnémonique » qui façonne les processus remémoratifs individuels et collectifs (Keightley & Pickering, 2012), d’émotion historique (Boym, 2001) et de pratique culturelle (Stewart, 1988), la nostalgie peut révéler, tout comme l’utopie, de multiples « visages ». On pense notamment à ses manifestations collectives, « tributaires d’un sentiment de la dissolution temporelle » (Keightley & Pickering, 2012) et attachées aux « émotions défensives » générées par la perte et persistantes dans notre époque hantée par l’ainsi dit Unsicherheit – « the combined collective feelings of insecurity, uncertainty and unsafety » (Jacobsen, 2021b). Rappelons, à ce point, que, tout en étant ressentie par des acteurs individuels dans des circonstances particulières, la nostalgie est investie avec des significations seulement en contextes collectifs, à l’intérieur des groupes sociaux ou des générations qui expérimentent la dissolution et l’aliénation dans un « monde nouveau, en apparence radicalement déconnectée de la précédente » (Keightley & Pickering, 2012).  

La nostalgie a généré, ces dernières années, une véritable effervescence dans les sciences socio-humaines, en tant qu’objet de recherche autour duquel s’est déjà coagulé un sous-domaine, Nostalgia Studies (Salmose, 2019). Ce « symptôme de notre époque » (Boym, 2001) constitue à présent le carrefour de divers champs disciplinaires : l’anthropologie, l’histoire, la psychologie, la sociologie, les sciences politiques, la philosophie, les sciences économiques et juridiques, les études culturelles et littéraires, celles dédiées au théâtre et au film, les études postcoloniales, les Memory Studies, les Diaspora & Migration Studies, les Gender Studies etc. Devenue « un terrain fascinant de l’analyse des problèmes actuels liés à l’identité, à la politique et à l’histoire », ainsi qu’un espace des « réconciliations » entre « l’anthropologique, l’historique et le psychologique ; le continu et le discontinu; le persistent et le changeant ; mais aussi entre le passé, le présent et l’avenir » (Angé & Berliner, 2016), la nostalgie représente une « notion sociale » en perpétuelle métamorphose. Toujours tributaire des contextes historiques, la nostalgie franchit les seuils entre les générations et les failles entre les groupes d’appartenance, en se manifestant « presque dans chaque segment de la vie sociale » (la culture et l’imagination populaire, le mass média, l’art, la publicité, les discours politiques, la rhétorique religieuse etc.) et en illustrant l’engagement affectif aux différents degrés, du pur divertissement au fanatisme. En accompagnant toutes les grandes mutations sociales, mais surtout les révolutions et les transitions, la nostalgie apparaît partout dans les imaginaires des sociétés complexes contemporaines (Velikonja, 2008). 

Longtemps suspectée d’être « un sentiment antimoderne » (Jacobsen, 2021a), la nostalgie apparaît dans la plupart des études contemporaines intéressées à son rôle dans la dynamique de la mémoire sociale, culturelle et politique, comme nécessairement ambivalente (Idem, 2020; Boym, 2001). Tout comme l’utopie – « née simultanément avec la modernité » (Bauman, 2007) dont le Zeitgeist, modelé par « la collision de la pensée historique avec celle utopique », a influencé « la sphère politique publique » à partir de l’époque de la Révolution Française (Habermas, 1991) –, la nostalgie est « un phénomène contradictoire, animé tant par des impulsions utopiques – le désir du réenchantement – que par des réponses mélancoliques au désenchantement [du monde] » (Pickering & Keightley, 2006). Dans la version progressiste évoquée ci-dessus, l’imagination utopique confère à la nostalgie – qui, plus qu’une « quête de la sécurité ontologique dans le passé », reflète souvent des positionnements prospectifs, contrastant avec les « incertitudes du présent » –, une « dimension positive », associée « à l’aspiration et à la critique, ainsi qu’à la recherche des modalités d’existence absentes de la modernité » (Ibidem). C’est le cas de la « nostalgie réflexive » (Boym, 2001), envisagée comme « utopie rétrospective » émancipatrice (Velikonja, 2008). Cette dernière est compatible, comme l’attestent, par exemple, les versions actuelles de la yougonostalgie – jaillie pendant les tragédies des années ’90 et convertie, sur le fond des crises et des conflits mnémoniques constants, en une forme de « résistance » culturelle, « multicouche, multi-vocale, polymorphe et multidirectionnelle » (Popović, 2021) – tant avec la « mémoire pour l’avenir » (Velikonja, 2017), qu’avec les « politiques de l’avenir ». Et cela parce que le yougoslavisme célébré intègre des valeurs convergentes avec les principes universalistes vitaux pour le renforcement de l’identité européenne : la continuité, la solidarité, l’antifascisme et le cosmopolitisme (Petrović, 2013). Quand même, force est de constater, sur les traces des spécialistes en Utopian Studies, en sciences sociales, politiques etc., des partisans de l’utopisme vu comme « rêve social » (Sargent, 1994) ou des sceptiques anti-utopistes, que l’imaginaire utopique témoigne de la même ambivalence, en intégrant bien des fois un potentiel dystopique. Les « trois visages de l’utopisme » – la littérature utopique (l’eutopie /l’utopie positive, la dystopie /l’utopie négative, la satire utopique, l’anti-utopie, l’utopie critique et son complément négatif, la dystopie critique, le communautarisme (les communautés « intentionnelles ») et la théorie sociale utopique – ont illustré souvent la « nature contradictoire de l’utopie » et le rôle « essentiel, mais dangereux » de l’utopisme (Sargent, 1994) non seulement dans la dynamique de l’imaginaire socioculturel, mais aussi, notamment, sur le plan des pratiques politiques dont il sert de ressort imaginaire-affectif. Selon Lyman Tower Sargent (2005) – l’adepte d’un utopisme équilibré, tributaire du modèle camusien de l’« utopie relative » et de celui rawlsien de l’« utopie réaliste » – il existe deux catégories d’utopies, « inclusives » et « exclusives », leurs différences façonnant la conception de l’ambivalence de l’utopie, également « nécessaire et potentiellement dangereuse ». La seconde dimension est mise en exergue notamment par la dystopie, pourvue d’un « message positif » dans la mesure où elle intègre des avertissements à l’égard des risques impliqués par l’instrumentalisation de certains (contre)modèles utopiques.

À l’intersection de la mémoire historique avec celle politique, la nostalgie fonctionne comme « une épée à deux tranchants », en ce qu’elle semble être tant « un antidote émotionnel pour la politique », que « le meilleur instrument politique » (Boym, 2001). Il en va de même pour son pôle utopique. Les instrumentalisations de la « rétro-utopie » (Bauman, 2017), considérée comme pôle de la « nostalgie restauratrice » (Boym, 2001) – complètement différente des nostalgies réflexives, non-instrumentales, attachées aux « utopies rétrospectives » –, sur le terrain du populisme actuel atteste, en ce sens, une résurrection de la « tendance totalitaire » de l’utopisme (Jacobsen, 2006, 2021b), incompatible avec la dimension émancipatrice. En tant que forme de la mémoire sociale et émotion collective, la nostalgie intègre à présent ces « visages » contradictoires de l’utopie, dont l’interprétation reste problématique dans l’absence de la contextualisation et du multiperspectivisme, visibles, d’ailleurs, dans les recherches actuelles du domaine Nostalgia Studies. 

Nous invitons les chercheurs actifs dans de divers champs disciplinaires – (Cultural) Memory Studies, Nostalgia Studies, Utopian Studies, Diaspora & Migration Studies, Media Studies, Digital Memory Studies, historiographie, philosophie de l’histoire, mnémohistoire, anthropologie, sociologie, psychologie, sciences politiques, études culturelles et littéraires, études sur le théâtre et le film, études de genre, études postcoloniales etc. – à envoyer des propositions pouvant porter sur les axes thématiques suivants (sans s’y limiter) :  

·       Dynamiques des mémoires politiques, nostalgies et (anti-)utopies dans les Europes de la Guerre Froide. « L’épée à deux tranchants » de la nostalgie et de l’utopie 

·       Politiques mémorielles et mémoires collectives fragmentées dans l’espace européen après 1945

·       La « fin » des idéologies et des utopies progressistes dans les « Europes de l’Europe » avant et après 1989

·       Mémoires divisées de l’Europe après la Guerre Froide : entre le trauma et la nostalgie

·       Guerres des mémoires, avatars de la nostalgie et « choc » des utopies dans l’espace européen : des années ’80 à présent. Nostalgies réflexives et nostalgies restauratrices. Utopies rétrospectives /vs/ rétro-utopies

·       Mémoires conflictuelles, nostalgies et visages de l’utopie dans l’Europe des transitions démocratiques (y compris l’espace post-soviétique). Mémoires collectives des transitions dans le contexte socioculturel actuel

·       Avatars de la nostalgie postsocialiste dans l’Europe Centrale et Orientale – Ostalgie, la yougonostalgie / la titostalgie etc. Utopies rétrospectives et politiques de l’avenir 

·       Incertitudes, crises de la mémoire et réflexions sur l’avenir collectif (collective future thought) en Europe après la Guerre Froide

·       Présentisme et crise de l’avenir. Avatars du passé dissocié /fracturé et de « l’avenir déconnecté » dans la culture européenne actuelle. Visions utopiques et dystopiques de l’avenir. Formes commerciales de la mémoire, de la nostalgie et de l’utopie : la « mémoire imaginée », la « nostalgie ersatz » et les visages de l’utopie consumériste

·       Mémoire, nostalgie et utopie dans le contexte épistémologique des réflexions sur l’avenir collectif (collective future thought). La mémoire pour l’avenir dans la culture européenne actuelle 

·       Paradigmes actuels dans les (Cultural) Memory Studies: cosmopolitisme, nationalisme, agonisme. La mémoire agonistique, la ré-politisation de la sphère publique et les visions de l’avenir   

·       Perspectives actuelles dans les Digital Memory Studies. La « mémoire digitalement compromise » et le passé fracturé /vs/ la mémoire pour l’avenir. Les guerres digitales et les guerres des mémoires. 

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Les textes acceptés (après le peer review) seront publiés dans un volume collectif qui paraîtra en décembre 2024.   

Dates de tombée

·        L’envoi des propositions (environ 200 mots, en français ou en anglais), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique (environ 100 mots, en français ou en anglais), qui inclura l’institution de rattachement et le titre scientifique de l’auteur : le 9 mai 2024.

·        La notification des auteurs quant à l’acceptation des propositions et la transmission des consignes de rédaction : le 30 mai 2024.

·        L’envoi des articles /chapitres in extenso (30000 – 50000 signes) : le 14 juillet 2024.

·        La notification des auteurs visant l’acceptation des textes in extenso, accompagnée des recommandations de révision (après le peer review) : le 15 septembre 2024.

·        L’envoi des versions finales des textes : le 15 novembre 2024. 

·        La publication de l’ouvrage collectif : décembre 2024.

Responsables : Alina Iorga (Alina.Iorga@ugal.ro) et Anca Alexandru (anca.alexandru@ugal.ro)

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Ouvrages cités

Angé, Olivia and Berliner, David. “Introduction. Anthropology of Nostalgia – Anthropology as Nostalgia”. In Anthropology and nostalgia, edited by Olivia Angé and David Berliner, 1-15. New York & Oxford: Berghahn Books, 2016.

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Bauman, Zygmunt. Liquid Times: Living in an Age of Uncertainty. Cambridge: Polity Press, 2007.

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Berger, Stefan and Kansteiner, Wulf. “Agonistic Perspectives on the Memory of War: An Introduction.” In Agonistic Memory and the Legacy of 20th Century Wars in Europe, edited by Stefan Berger and Wulf Kansteiner, 1-11. London: Palgrave Macmillan, 2021.

Boym, Svetlana. The Future of Nostalgia. New York: Basic Books, 2001.

Bull, Anna Cento, Hansen, Hans Lauge, and Colom-González, Francisco. “Agonistic Memory Revisited.” In Agonistic Memory and the Legacy of 20th Century Wars in Europe, edited by Stefan Berger and Wulf Kansteiner, 13-38. London: Palgrave Macmillan, 2021.

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