Actualité
Appels à contributions
Baroque et poésie moderne (revue Œuvres & critiques)

Baroque et poésie moderne (revue Œuvres & critiques)

Publié le par Marc Escola (Source : Maxime Cartron)

« Baroque et poésie moderne »

Numéro d’Œuvres et Critiques

dir. Maxime Cartron (Université de Sherbrooke, CIREM 16-18)

Dans une note d’archive datée du 24 octobre 1966, Jean Rousset évoque la « connivence que le 20e siècle – guidé par bcp de ses poètes – s’est découverte avec le Baroque et sa propre sensibilité, le baroque ou ce que notre temps construit sous ce nom »[1]. Cette notation paraît de prime abord surprenante sous la plume de ce grand défenseur du baroque historique qu’était Rousset, puisqu’elle donne l’impression d’ouvrir la porte à une approche transhistorique, orsienne, du phénomène. Surtout, la remarque de l’auteur de La Littérature de l’âge baroque en France laisse entrevoir la dimension foncièrement idéologique du baroque, qui semble consister en un système de projections de certaines hantises, ou en tout cas de certains états émotionnels contemporains sur le passé. Or, fait significatif, la place des poètes du XXe siècle dans ce processus est mise de l’avant par Rousset, ce qui nous amène au cœur du présent projet de numéro, dont l’objectif est d’interroger le rôle des poètes modernes dans la constitution de l’idée de baroque et, plus spécifiquement, dans la formation du corpus des poètes baroques. Pour ce faire, on approfondira les trois axes suivants : 

1) Les poètes modernes et leurs poètes baroques :

Rousset ajoute au sujet de la notion de baroque qu’« elle se trouvait correspondre en même temps à certaines aspirations contemporaines de notre art et de notre poésie »[2]. Dans quelle mesure cette affirmation se vérifie-t-elle dans la poétique et l’esthétique des poètes du XXe siècle ? Ces derniers s’appuient-ils sur les poètes baroques pour développer leur propre manière ? Existe-t-il une stylistique baroque dans la poésie du XXe siècle ? Sur un plan plus sociologique, certains poètes créent-ils leur ethos voire leur mythe personnel en s’inspirant de ceux de poètes comme Agrippa d’Aubigné, Théophile de Viau ou encore Saint-Amant ?

2) Les poètes éditeurs d’œuvres baroques :

Dans la continuité directe de ce questionnement, on observera que plusieurs poètes des XXe et XXIe siècles ont édité, que ce soit par le biais d’anthologies ou de recueils intégraux, des œuvres de l’époque baroque. Pour n’en donner que quelques exemples, on peut penser à Pierre Emmanuel éditeur des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné[3], ou encore à l’Anthologie de la poésie française. XVIe et XVIIe siècles de Charles-Ferdinand Ramuz, parue à Lausanne (La Guilde du livre) en 1942, qui répond au besoin impérieux que ressent le compilateur de défendre les valeurs humaines de la poésie en ces temps particulièrement troublés[4]. Paul Éluard s’était également penché sur La Poésie du passé, tandis qu’en 1952 Jean Tortel avait consacré un numéro des Cahiers du Sud au « Préclassicisme français »[5]. Plus près de nous, le poète espagnol Jorge Gimeno a publié El Amor Negro. Poesia del Barocco Francès[6], dont une édition française a paru presque aussitôt après[7]. Que disent au juste ces gestes éditoriaux du rapport de ces poètes à leurs devanciers baroques ? Est-il critique, empathique, politique ? Permet-il à ces poètes de « retrouver en lui (NDLR : le baroque) certaines de nos tendances et par suite » de « nous mieux comprendre en le considérant », selon les mots de Rousset ?[8] Pourquoi, en somme, éditer, quand on est poète, des poètes « baroques » et non des « classiques » ou encore des « romantiques » ?

3) Lectures transhistoriques et appropriantes : un volume comme La Jeune poésie et ses harmoniques d’Albert-Marie Schmidt (1942)[9], qui donnera par la suite aux éditions du Rocher un autre recueil intitulé L’Amour noir. Poèmes baroques (1959)[10], tisse un parallèle des plus explicites entre poésie moderne et poésie baroque, en faisant s’entrecroiser des œuvres issues de ces deux périodes historiques distinctes[11]. Quel est le sens profond de ce type de geste ? Y a-t-il un (ou des) moment(s) historique(s) de la poésie baroque, qui motive(nt) dans l’esprit de leurs successeurs du XXe siècle, le recours à une lecture transhistorique ? Le 6 novembre 1962, Rousset identifiait les années 1920-1940 comme décisives, assurant que les poètes « se sont souvent portés à la pointe de l’exploration, participant à la redécouverte de poètes en qui ils se reconnaissaient, qu’ils lisaient et invoquaient comme des précurseurs et des autorités en faveur de leurs propres tentatives »[12]. Est-il possible de confirmer, d’affiner, voire d’infirmer ce diagnostic et, pour aller plus loin, quel est le mode et le rayon d’action spécifique (médiatique, universitaire…) des poètes, en tant qu’éditeurs bien sûr, mais aussi précisément en tant que poètes ? On voudrait en définitive partir de cette impression de « parenté spirituelle » mise en lumière par Rousset[13] pour redéfinir l’historicité du baroque, en marquant la place essentielle qu’y occupent les poètes modernes tout en évaluant réciproquement la part du baroque dans l’invention de celle-ci.

Les propositions de contributions sont à adresser avant le 1er mars 2024 à maxime.cartron@usherbrooke.ca.

Une réponse sera donnée avant le 15 mars. Les articles seront à remettre au plus tard le 31 août.


 —
[1] Bibliothèque de Genève, Ms. Rousset 101 (Chemise intitulée « Note pour Conclusion “Baroque”).
[2] Ibid.
[3] Monaco, Editions du Rocher, 1946.
[4] Voir Maxime Cartron, L’Invention du Baroque. Les anthologies de poésie française du premier XVIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, coll. « Lire le XVIIe siècle », 2021.
[5] On peut encore citer, sans exclusive naturellement, l’Anthologie de la poésie française. Dix-septième siècle de Denis Roche (Paris, Tchou, 1969).
[6] Valencia, Pre-Textos, coll. « La Cruz del Sur », 2009.
[7] Mon âme, il faut partir. Anthologie de la poésie baroque française, trad. Jean-Hébert Armengaud, Paris, La Table Ronde, coll. « La Petite vermillon », 2011.
[8] Bibliothèque de Genève, Ms. Rousset 101 (Chemise intitulée « Note pour Conclusion “Baroque”).
[9] Paris, Albin Michel, coll. « Saisir ».
[10] Rééd. Genève, Slatkine reprints, 1982.
[11] Voir sur ce livre M. Cartron, « Transhistoricité et présentisme de l’histoire littéraire : les anthologies poétiques baroques », Fabula-LhT, n°23, décembre 2019, http://www.fabula.org/lht/23/cartron.html
[12] Bibliothèque de Genève, Ms. Rousset 116 (Chemise « Problème du Baroque »).
[13] Ibid.