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"Le Questionnaire de Bolaño : Christine Montalbetti", par Emmanuel Bouju (en-attendant-nadeau.fr)

Publié le par Marc Escola

Régulièrement, En attendant Nadeau interroge un écrivain ou une écrivaine à l’aide du « Questionnaire de Bolaño », créé par Emmanuel Bouju, avec la collaboration de Christian Galdón Gasco et Amanda Murphy. C’est au tour de Christine Montalbetti de nous fournir ses réponses.

Quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit ?

Matin.

[Et hier, en ouvrant le fichier et en apercevant cette question, photo.]

Quelle est la différence entre ce(s) mot(s) et le mot « écrivain » ?

Ah, mais ils ont beaucoup en commun (bravo).

Le matin, c’est cet espace douillet où me tenir pour écrire. Douillet, et traversé par une petite joie chaque fois intacte devant le retour de la lumière. On dit parfois qu’on a inventé le récit parce que la nuit tombait, qu’on s’y racontait des histoires pour lutter contre la peur devant la disparition de la lumière. Cette idée me touche, mais je crois que j’en raconte plutôt pour célébrer les retrouvailles avec le jour. Dans le sentiment de sa naissance, du seuil, d’un frémissement de promesses, et avec en moi une brume douce (un peu comme celle qui baigne les paysages de Mizoguchi, voyez) dans laquelle, encore ensommeillée, j’avance avec les doigts dans le mouvement de l’écriture.

[Quant à la photo, comme l’écriture elle attrape le réel, mais d’une autre façon. Dans l’immédiateté, au lieu que l’écriture puise dans des couches immémoriales de soi, dans les sédiments.]

Qu’est-ce que la littérature française ?

Oh là là. (un temps). Celle au fond dont j’hérite à chaque mot que j’emploie. Chaque mot s’invite dans ma phrase avec son histoire propre, il véhicule silencieusement toutes ses occurrences, son épaisseur de passés, que j’en aie une idée ou non, que cette idée soit vague ou quelquefois précise. Et de même il ricoche à l’oreille de chaque lecteur et de chaque lectrice qui l’a déjà lu en français avec toute cette littérature dans son sillage. Je n’aime pas (mais alors pas du tout) l’idée des frontières, et quand j’écris je porte aussi bien quelque part en moi la liberté de Sterne, la vivacité triste (si, si) de Calvino, l’énergie inatteignable de la phrase de Faulkner ; mais je sais que mon matériau (ces mots en français, qui sont simplement ceux que je connais le mieux, ceux avec lesquels je peux le mieux jongler et que je peux tenter d’assembler à ma manière), que je le veuille ou non, vient de là, ou est passé par là. […]

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