Acta fabula
ISSN 2115-8037

2006
Août-Septembre 2006 (volume 7, numéro 4)
Touriya Fili

Discours, cultures, comparaisons

Discours, cultures, comparaisons, dir. Patricia von Münchow et Florimond Rakotoelina, Les Carnets du Cediscor [Centre de recherche sur les discours ordinaires et spécialisés], n° 9, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006.

1À la suite de la journée d’étude internationale tenue le 1er juillet 2004 sous le titre de Discours, cultures, comparaisons, le volume n° 9 des Carnets du Cediscor présente un compte rendu de travaux qui s’inscrivent dans le champ de l’analyse de discours dans une perspective comparative. Le recueil s’articule en quatre parties, constituée chacune de deux communications et qui confrontent différentes approches méthodologiques.

2La première partie est consacrée aux « Positionnements théoriques et méthodologiques ».

3Chantal Claudel et Geneviève Tréguer-Felten se proposent d’expliciter les problèmes de la constitution de corpus issus de communautés ethnolinguistiques différentes. Le travail présenté donne lieu à une comparaison de différents documents authentiques chinois et français.

4De son côté, Véronique Traverso axe son travail sur les repères méthodologiques de l’analyse des interactions dans une perspective interculturelle, et ce en travaillant sur un corpus d’interactions radiophoniques françaises et syriennes. La phase descriptive, fait-elle remarquer, aboutit à une problématisation du contraste par le chercheur ; celui-ci devrait, à partir de là, être en mesure de transformer certaines « zones opaques » en lieux d’interrogations scientifiques et admettre l’instabilité comme mode dans les échanges interactionnels qu’il analyse. Ces éléments permettent un retour dynamique sur les outils méthodologiques envisagés.

5Les corpus issus de langues et cultures éloignées sont choisis selon les auteures de ces deux interventions selon des critères méthodologiques rigoureux tenant compte par exemple du degré de comparabilité et de la pertinence même des différentes théories invoquées. Au-delà de l’importance du critère de comparabilité dans toute analyse de ce genre, la constitution du corpus doit prendre en considération non seulement les spécificités linguistiques et culturelles qui peuvent complexifier le recueil de données, mais, également, les conditions de production de ces mêmes données (orales, virtuelles, scripturales, etc.).

6Les trois parties suivantes de ce volume proposent des approches qui permettent d’appréhender la comparaison de langues/cultures différentes.

7Ainsi, la deuxième partie est orientée vers des « Approches globales : pragmatique interculturelle et textologie contrastive ».

8Hassan Atifi et Michel Marcoccia opèrent une analyse contrastive de textes issus de forums de discussions appartenant à des communautés ethnolinguistiques différentes (marocaine vs française). Les deux chercheurs s’intéressent à la variation culturelle et à la manière dont elle informe le comportement communicatif des internautes. Leurs analyses aboutissent aux conclusions suivantes : des différences apparaissent non seulement dans les sujets débattus sur les forums, qui reflètent les centres d’intérêts des différentes communautés, et dans les langues utilisées pour communiquer, mais aussi au niveau d’une certaine rhétorique de communication (ouvertures et clôtures, termes d’adresses, procédés de politesse, métadiscours, cohérence, etc.). D’après les auteurs, on peut expliquer ces différences par l’influence de l’éthos communautaire sur le profil communicatif des internautes (particulièrement pour le forum marocain), et ce, malgré la standardisation due à la nétiquette. Le type de sujets débattus demeure néanmoins très saillant puisqu’il peut cristalliser ou non la variable culturelle.

9La communication de Bernd Spillner aborde l’analyse d’avis de décès issus de différents pays du point de vue de la textologie contrastive. L’intégration des éléments verbaux et non verbaux caractéristiques de ce type de textes permet de mettre en exergue ses différents fonctions (idéologique, publicitaire).

10La troisième partie fait écho à la précédente sous l’intitulé d’« Approches locales : catégories énonciatives ».

11La communication de Patricia von Münchow et de Florimond Rakotonoelina étudie plus particulièrement l’interrogation et le discours rapporté dans des messages extraits de forums français et anglo-américain portant sur l’environnement. Après un rappel des différentes manières d’appréhender l’interrogation (point de vue formel, sémantique ou pragmatique) et de leurs limites, il est procédé à une analyse quantitative des énoncés interrogatifs Cette première approche est suivie d’une analyse « plus fine » qui tente d’observer la logique de l’enchaînement de cette catégorie énonciative qu’est l’interrogation dans les différents messages. Sur le plan interprétatif, les auteurs expliquent le nombre supérieur d’énoncés interrogatifs dans les forums français par rapport aux forums anglo-saxons comme l’indice d’une certaine « convivialité énonciative » française et peut-être d’une plus grande pertinence argumentative. Un décalage symétrique est observé en ce qui concerne l’emploi du discours rapporté dans l’une et l’autre communautés. La rareté ou la fréquence du discours rapporté semblent tenir simultanément à sa fonction pragmatique, mais surtout aux conventions plus ou moins tacites à l’intérieur des forums. Les auteurs reconnaissent toutefois les limites de la représentativité du corpus dans la comparaison discursive qui tient à la particularité du profil des internautes.

12Bénédicte Facques se penche sur le cas du présent en français et en anglais : elle étudie le présent historique et le présent de reportage à partir d’un corpus constitué d’extraits d’articles du Monde diplomatique et du National Geographic et de leurs traductions respectives dans l’autre langue. Après les précautions méthodologiques d’usage, l’auteure décrit la répartition quantitative des deux temps dans le corpus et propose des explications au choix de l’un ou de l’autre tiroir temporel en les mettant en relation avec le discours rapporté. B. Facques conclut à une plus grande malléabilité d’emploi du présent en français par rapport à l’anglais.

13La quatrième partie concerne les « Approches conceptuelles : catégories sémantiques et catégories notionnelles ».

14Georgeta Cislaru étudie les noms de pays et l’autoreprésentation dans le discours de la presse nationale. Rappelant le lien entre langue, identité et nom de pays comme aboutissement d’un statut sociopolitique, l’auteure procède à une analyse contrastive des appellations de pays et de leurs variantes dans des périodiques français, anglophones, roumanophones et russes. L’auteure repère le contexte de production et les visées discursives comme facteurs déterminants dans l’autodésignation et montre comment les noms de pays sont chargés de valeurs culturelles et idéologiques autour desquelles se construit l’identité collective.

15Pour Philippe d’Iribarne, il s’agit d’interroger les différentes conceptions qui se dégagent à partir du mot « liberté » dans les univers anglo-saxon, germanique et français. L’approche à la fois historique, sociologique et philosophique permet de révéler des contrastes insoupçonnables dus à des réalités contextuelles elles-mêmes différentes.

16Au final, l’ensemble de ces communications, bien que relevant d’approches distinctes, s’intègrent dans une même vision contrastive et se complètent les unes les autres. La plupart d’entre elles soulignent, à juste titre, l’aspect problématique de la constitution de corpus et de l’établissement du tertium comparationis. On formule l’espoir que la diversité des approches proposées puisse pallier, au moins partiellement, ces limites. En outre, l’intérêt majeur de certaines communications réside dans la distance qu’elles affichent avec leurs propres outils méthodologiques.