Colloques en ligne

Liliane Campos et Pierre‑Louis Patoine

« Living Matter/Literary Forms »

Actes de la journée d’étude tenue à la Sorbonne Nouvelle le 19 avril 2013

1La forme vivante est un miroir de prédilection pour la forme littéraire. À l’intersection des flux énergétiques et informationnels, la matière vivante se singularise, se dote d’une membrane, devient organisme. En se différenciant de leur environnement culturel, les textes se maintiennent, se reproduisent, se forment et se déforment. Or l’expansion des sciences du vivant et des sciences médicales au cours du xxe siècle, les développements spectaculaires de la génétique, de la neurologie et de l’écologie pendant les dernières décennies ont remis en cause l’organisme comme système stable et auto‑régulé, le réinterprétant à la lumière de la plasticité, de la co‑émergence des formes organiques et inorganiques, d’une attention portée au processus.

2Au cours de cette période, les sciences du vivant n’ont eu de cesse de nourrir l’imaginaire artistique, et leur influence sur le domaine des études littéraires est aujourd’hui en plein essor. C’est cette relation triangulaire, entre les arts, les sciences du vivant et les études littéraires, que ciblait la journée d'étude « Living Matter/Literary Froms » du 19 avril 2013 consacrée aux multiples ponts entre la vitalité et la forme artistique.

3Dans les actes présentés ici, la réflexion est lancée par l’écrivain et biosémioticienne américaine Victoria N. Alexander, qui nous propose d’explorer la pensée d’un Nabokov entomologiste, les délices non‑utilitaires qu’il trouve dans la nature comme dans la littérature, son rejet de la doxa néo‑darwiniste, son insistance enfin sur le rôle du hasard dans l’évolution biologique, comme dans la création poétique.

4Nous passons de l’émergence des formes animales à celle du sens et de la conscience avec Noëlle Batt, qui nous invite à considérer le problème du liage, ou de l’intégration, dans les théories contemporaines de la conscience. Ce problème est ici pensé en parallèle à celui de l’émergence du sens au sein du texte littéraire, sens complexe pouvant notamment être compris à travers le principe de l’ordre par le bruit,qui traverse la biophysique (Atlan) comme la sémiotique littéraire (Eco, Lotman).

5Les images contemporaines de l’organicisme sont ensuite examinées par Liliane Campos dans le théâtre britannique des années 90 et 2000. Face à la fragmentation et à la non linéarité qui caractérisent les créations collectives des compagnies Complicite ou Unlimited Theatre, les motifs tirés de la biologie, des sciences contemporaines permettent de retrouver une unité sous‑jacente au cœur de la discontinuité. L’étude de ces deux cas montre toutefois que les images organicistes explorées par ces artistes proviennent aussi bien des sciences physiques que de la biologie, l’organicisme pouvait être pensé, suivant les catégories de Stephen Pepper, au‑delà de la métaphore organique.

6Nous considèrerons ensuite le rôle que prend, chez Virginia Woolf, la forme animale et plus particulièrement la forme squelettique, à la fois morte et organique. Lilyana Yankova nous invite en effet à voir ces formes comme moments d’une double déstabilisation, celle du récit et celle du sujet humain, soudain déviés hors de leur trajectoire anthropocentrique.

7Nous revenons finalement aux processus d’émergence et de formation avec l’article de Marie‑Pier Boucher, qui conclut ce collectif en ouvrant nos réflexions vers d’autres formes artistiques et en nous permettant de penser la forme littéraire à travers la forme architecturale telle que la conçoit l’architecte et artiste Frederick J. Kielser (1890‑1965). Les philosophies de Raymond Ruyer et d’Alfred North Whitehead sont ici convoquées pour redéfinir l’articulation entre expérience de la vitalité et champs d’émergence de la forme.


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8Remerciements à Yasna Bozhkova pour la relecture et mise en forme des contributions, ainsi qu’à l’équipe Fabula pour l’accueil de cet ouvrage collectif au sein de son catalogue d’Actes de colloques. La mise en place de cette journée d’étude et de la publication subséquente n’aurait pas été possible sans le soutien financier de l’EA 4398 PRISMES ; la mise en ligne en a été assurée par l’Université de Lausanne.