Colloques en ligne

Adinel Bruzan, Raluca Mocan et Roxana Vicovanu

Penser le mouvement. Littérature, arts et philosophie

1Arrivés chez Hadès, dans le domaine des Ombres, Socrate et son disciple Phèdre, les deux protagonistes du dialogue Eupalinos ou l’architecte (1921) de Paul Valéry, s’entretiennent d’architecture et de navigation, de géométrie et de langage, de création et de contemplation esthétique. Dans leur « pâle séjour », « immobile[s] dans la mort » et dans l’éternité longtemps convoitée comme source ultime de sagesse, les deux philosophes commencent par contempler « le fleuve du Temps », « grand flux » qui emporte tout dans son passage et rend méconnaissables les formes et les êtres. La leçon qu’ils en tirent n’est pourtant pas celle de la vanité des efforts humains, voués à la destruction et à l’oubli que provoque le passage ravageur du temps. C’est, au contraire, l’éternité immobile, exempte  de changement et de mouvement, qui s’avère décevante, car ne délivrant pas la révélation ultime sur le sens de l’existence et les arcanes de l’univers. Face au « fleuve du temps », métaphore du mouvement et de l’écoulement des vies et du temps, le Socrate de Valéry médite : « La vérité est devant nous, et nous ne comprenons plus rien. »

2La suite du dialogue semble confirmer l’intuition du philosophe mis en scène par l’écrivain : la vérité est bien du côté du mouvant et du mouvement, et non de l’immobile, même lorsqu’il s’agit d’un art comme l’architecture, mais pouvons-nous les définir, cette vérité et ce mouvement ? Doit-on expérimenter le mouvement, le vivre, et non plus le contempler depuis un point de vue abstrait et extérieur à tout changement, pour pouvoir le comprendre ? Et comment relier l’expérience du mouvement à la pensée du mouvement ? Le dialogue de Valéry, dans lequel le philosophe allemand Hans Blumenberg voyait l’un des plus grands textes de l’esthétique et de la théorie de l’art du xxe siècle, peut être lu comme un traité sur le mouvement en tant que moteur et processus qui fait advenir des formes, des pensées, des choses et des êtres, un traité dans lequel la littérature, pour sonder cette notion énigmatique, entre en dialogue avec la philosophie et les autres arts. Rappelons ici quelques-uns des exemples du texte où le mouvement l’emporte sur l’immobile, le déjà fixé ou l’immuable. Le premier concerne, dans ce dialogue faussement platonicien, la notion de beauté. Loin d’être une « je ne sais quelle notion immortelle », la beauté est le mobile de toutes les actions de l’homme ; inséparable de la vie, elle est ce qui motive son évolution vers un autodépassement, vers un accord toujours plus juste entre les idées et les actions. L’architecture, quant à elle, fait moins penser aux matériaux inertes de ses bâtiments, qu’au processus de leur édification, ou bien aux chorégraphies que « le mouvant spectateur » dessine dans l’espace orchestré par l’architecte. Pour reprendre les mots d’un contemporain de Valéry, Le Corbusier, ce n’est plus la « machine à habiter » et l’impératif de l’utile que chante Eupalinos l’architecte, mais la pure « émotion architecturale », l’architecture dans sa capacité d’affecter, devenue art du mouvement et du temps. Socrate, enfin, mû par la pensée d’un souvenir de jeunesse et par la contemplation, réitérée en esprit, d’un objet « ambigu » et indéfinissable mais éclatant de beauté sensible, découvre qu’il aurait pu devenir artiste : son identité est elle-même mouvante et multiple, irréductible à sa seule persona de philosophe. On sait que pendant l’écriture de L’Âme et la Danse (1921), dialogue mettant en scène, sous la figure de la danseuse Athikte inspirée par Loïe Fuller, l’inséparabilité de la pensée et du corps mouvant, de l’esprit et de l’organique – « l’acte pur des métamorphoses » –, Valéry avait toujours sous les yeux les ouvrages d’Étienne-Jules Marey, l’inventeur de la chronophotographie. Rien n’empêche de supposer que les planches du chronophotographe se trouvaient également parmi les différents ouvrages ayant inspiré Eupalinos ou l’architecte. Ces derniers ont servi à de nombreux traités consacrés à la perception du mouvement à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, dont L’Esthétique du mouvement (1889) du philosophe Paul Souriau. On ne s’étonnera en tout cas pas de trouver sous la plume d’un Valéry averti les mêmes éloges que chez Paul Souriau d’une théorie motrice de la perception et, plus précisément, de l’empathie ou sympathie esthétique, la capacité de cette « substance prodigieuse » qu’est le corps à animer les objets de sa perception, à projeter sur eux son mouvement interne et à s’émouvoir de ces transformations dont il est lui-même la scène et l’instrument :

O mon ami, tu ne trouves donc pas admirable que la vue et le mouvement soient si étroitement unis que je change en mouvement un objet visible, comme une ligne ; et un mouvement en objet ? […] La vue me donne un mouvement, et le mouvement me fait sentir sa génération et les liens du tracement. Je suis mû par la vue ; je suis enrichi d’une image par le mouvement, et la même chose m’est donnée, que je l’aborde par le temps, que je la trouve dans l’espace…1.

3C’est dans une posture pareille au Socrate valéryen, perplexe devant la réalité mouvante de l’être, ébloui par la machine animale qu’est le corps et par tout ce qui en elle dépasse le rythme mécanique, désireux de comprendre la « vérité » du mouvement dans ses multiples représentations et manifestations – fleuve du temps, mouvement des astres, déplacement spatial, cinétique corporelle, dynamique des affects, processus de pensée, genèse de l’œuvre, transformation intérieure… –, c’est dans une même posture, privilégiant les allers-retours entre le concret et l’abstrait, entre l’artiste, le savant et le philosophe, que nous avons voulu nous placer à l’occasion du colloque Penser le mouvement.

4Cette posture équivaut, comme le dirait l’Etranger d’Elée du dialogue platonicien Le Sophiste,à un « parricide ». Affirmer la « vérité » du mouvement, c’est en effet tuer beaucoup de pères, en commençant par « notre père Parménide » et son interdit de penser le mouvement dans l’être :

5Or il [l’être] est immobile,

6Pris dans les limites de formidables liens ;

7Il est sans commencement, il est sans fin,

8Car la génération comme la destruction

9Ont été écartées loin de lui, et la foi

10Véridique les a, elle aussi, rejetées.

11Identique à lui-même en lui-même il repose,

12Il est là en lui-même immobile en son lieu ;

13Car la Nécessité puissante le retient

14Dans les liens l’enchaînant à sa propre limite. 2

15Selon la loi parménidienne d’identité entre pensée et être, dans la mesure où il ne peut pas être pensé le mouvement n’existe pas (« car c’est le même penser et être »). Les paradoxes de Zénon illustrent parfaitement cette idée et semblent condamner, avant même sa naissance, toute théorie physique. Pour fonder la science de la physis, il était donc impératif de désobéir aux éléates, ce que précisément fit Aristote : « Il est certain qu’examiner si l’étant est un et immobile, n’est pas examiner des choses concernant la nature3 ». Mais l’évolution de la physique depuis le système aristotélicien jusqu’à la théorie de la relativité générale et au-delà, en passant par la géométrisation physique de Galilée et l’algébrisation newtonienne, entraîne, souligne Gaston Bachelard dont Vincent Bontems retrace et analyse ici la pensée, un processus de « désubstantialisation » du mouvement, à tel point que cette notion ne semble plus pertinente pour parler des phénomènes qu’elle recouvre aux yeux du profane4. Plus le mouvement (ramené à des équations mathématiques ou à des concepts comme « champ » et « potentiel ») devient transparent pour la théorie physique, moins il parle au sens commun qui fait appel à la métaphore et à l’image poétique pour le comprendre, observe l’épistémologue. Pour reprendre à nouveau Aristote, « on n’a pas défini de quelle manière les nombres sont les causes des substances et de l’être5 », ni comment ils les mettent en mouvement et orientent leur devenir. La question du mouvement devient alors celle de la tension entre le concept et l’image, entre le nombre et la métaphore, entre la raison scientifique et l’imaginaire poétique. Elle recouvre une autre tension essentielle : entre le mouvement physique et le mouvement de l’esprit.

16Ayant comme horizon commun cette double tension, les dix textes réunis ici examinent la pensée du mouvement telle qu’elle a pris forme chez des poètes, des artistes et des philosophes à différents moments historiques : dans l’Antiquité, avec Homère et Sénèque, au Moyen-Âge, avec les maîtres de la scolastique, héritiers d’Aristote et d’Averroès, au tournant du xxe siècle, avec Bergson, Rilke, Rodin, Rudolf Laban, mais aussi plus tard dans le siècle, avec Henry Michaux, Gaston Bachelard et Jan Patočka. Quatre lignes de force se dégagent de ces contributions : 1) l’association entre mouvement et pensée, 2) le dépassement de la physique comme science du mouvement par une exploration du corps dans ses multiples dimensions (rythme, corporéité, geste), 3) la préférence des arts et de la littérature pour le mouvement en tant que processus, 4) la préoccupation pour une ontologie, mais aussi pour une éthique, du mouvement.

17De Homère à Henry Michaux, mouvement et pensée tendent à se confondre, pour définir, comme l’écrit Balzac, « l’action la plus pure de l’être humain6 » (Gheerardyn). Il s’agit de saisir le mouvement de la pensée à même sa source – d’en capter le déploiement, d’identifier les métaphores, les figures et les gestes qui le saisissent le mieux – et en même temps d’indiquer comment la pensée se fait mouvement.

18François Dingremont nous livre une analyse passionnante de la figure occidentale par excellence de l’intelligence rusée, la mètis, « intelligence ni réflexive, ni spéculative, mais en prise avec le réel », incarnée à perfection par le héros homérique Ulysse. Entité synthétique, la mètis décrit la fluidité de la pensée, la mobilité du corps et le mouvement des éléments naturels, comme le vent, les ondes maritimes ou le tremblement de la terre. Allant contre le principe d’un univers immobile, immuable et inaltérable, les représentations homériques du vivant nous permettent de saisir ce que l’aiolomètis ou l’intelligence du mouvement peut signifier. L’épithète aiolos décrit ainsi la qualité de ce qui est vivant, mais aussi le mouvement de l’intelligence, son efficacité. Qu’il entraîne dans sa course l’univers ou l’intelligence rusée de la mètis, le mouvement contient le principe même de la vie, le fluide vital.

19Une science du mouvant est-elle possible en dehors de la physique ? Puisque la puissance du moteur et l’acte du mobile coïncident dans le cas des êtres vivants, la modélisation abstraite du mouvement demande à être complétée parl’expérience vécue de la motricité et de ses effets corporels. Penser le mouvement revient ainsi à penser cette entité fascinante qu’est le corps, où l’esprit se loge au cœur même de l’organique, où la dynamique du vivant se nourrit du mécanique et le dépasse. Siège de plusieurs mouvements – la physis, ou le principe auto-moteur, la dynamis ou la puissance et la potentialité, le mouvement de la psyché ou de l’inconscient – le corps se situe naturellement à la frontière des deux logiques de pensée que sont la raison scientifique et l’imagination poétique, et signe leur conflit en même temps que leur complémentarité (Bontems).

20Si les métaphores de la liquidité et de la fluidité traversent les siècles pour décrire le lien entre le principe vital et la plasticité du corps et de l’esprit (Dingremont, Gheerardyn), d’autres préoccupations communes émergent des articles réunis ici. On remarquera surtout l’intrication des registres du mouvement avec ceux du rythme et de la corporéité, réelle ou rêvée, chez Rudolf Laban (Renaux) ou chez Henry Michaux (Villard), ainsi que l’importance du geste, mouvement incarné par excellence. Le pas des marcheurs sculptés par Rodin, un seul et même geste repris d’innombrables fois partout dans le monde, révèle pour Rilke l’essence même de l’humanité. Cet alliage inextricable du corps, de la pensée et de l’action se voit ainsi doté d’une triple signification, anthropologique, historique et éthique (Gheerardyn). Les écrits théoriques ou poétiques de Laban sont, quant à eux, de véritables catalogues de gestes singuliers et expressifs ayant pour but le développement d’une conscience kinesthésique. Le mouvement, dans ce cas, est compris comme une tension toujours changeante entre plusieurs éléments entrant en équation : corps, énergie, expression, temps, espace, improvisation (Renaux).

21Comme le temps, le mouvement semble filer entre les doigts de celui qui tente de le définir. Un même mot, « abîme », revient sous la plume de Valéry7 ou de Balzac lorsqu’il s’agit de ces notions dont ni la métaphysique ni la physique ne réussissent à épuiser les significations :

Qui jamais a touché, compris, mesuré le mouvement ? Nous en sentons les effets sans les voir. Nous pouvons même les nier comme nous nions Dieu. Où est-il ? Où n’est-il pas ? D’où part-il ? Où en est le principe ? Où en est la fin ? Il nous enveloppe, nous presse et nous échappe. Il est évident comme un fait, obscur comme une abstraction, tout à la fois effet et cause. […] Problème insoluble, semblable au vide, semblable à la création, à l’infini, le mouvement confond la pensée humaine, et tout ce qu’il est permis à l’homme de concevoir, c’est qu’il ne le concevra jamais. Entre chacun des points successivement occupés par cette bille dans l’espace […], il se rencontre un abîme pour la raison humaine […]8.

22Face à ce mystère insondable, faut-il renoncer à toute tentative de compréhension ? Valéry et Balzac délaissent les savants et les philosophes pour se tourner vers les écrivains et les artistes. Est-il possible de dire et de noter l’art de l’éphémère qu’est la danse (Renaux) ? Peut-on sculpter le mouvement (Gheerardyn) ? Le peindre (Barbedette, Villard) ? Les contributions de notre dossier relèvent chez les écrivains, danseurs et sculpteurs sur lesquels elles se penchent un même défi, faire une typologie du mouvement éprouvé en se situant aux limites mêmes des possibilités du langage, et la volonté commune d’envisager le mouvement comme processus, série de métamorphoses, engendrement indivisible de pensées, de formes et de gestes, d’où toute idée de commencement et de fin, d’intention et de résultat serait exclue. Comme le fait remarquer Claire Gheerardyn (« Geste révélé, geste révélateur : Rilke face à Rodin »), au lieu de saisir par la pensée le mouvement, il s’agit pour l’écrivain ou l’artiste de laisser le mouvement saisir la pensée.

23L’être, enfin, cet être dont le Socrate valéryen découvrait dans le mouvement la véritable nature, est-il immuable ou une entité en perpétuel devenir ? Dans la philosophie antique, seul le permanent était pensable de manière cohérente. Malgré leur opposition, éléates et héraclitéens s’accordaient ainsi sur l’impossibilité de penser le mouvement, sauf de manière contradictoire, comme dans les paradoxes de Zénon, pour qui le mouvement était fait d’immobilités. Comment penser sans contradiction l’être à la fois « comme mu et mouvant, comme mobile et moteur », comme « devenir autant qu’être, [comme] mouvement autant que chose » (Bachelard) ?Pour Aristote, on l’a vu, il s’agissait de sortir de cette impasse endistinguant entre les deux principes métaphysiques de la puissance et de l’acte : « la réalisation de ce qui est en puissance en tant que tel, c’est le mouvement9 ». Néanmoins, comme le remarque ici Alice Lamy (« L’Être insoumis du mouvant au Moyen Âge »), pour ses héritiers, le mouvement devient impensable aussitôt qu’il est pleinement actualisé. Dans la mesure où il faut que le mouvement soit achevé pour qu’il devienne objet de pensée, la proposition de définition demeure aporétique. D’Aristote aux auteurs médiévaux, en passant par Averroès, l’impossibilité de définir le mouvement devient une source intarissable de débats intenses, divisant les partisans de l’être et du non-être du mouvement, les réalistes et les nominalistes.

24On ne s’étonnera pas de retrouver ces questions aussi anciennes que la philosophie et la littérature elles-mêmes dans les travaux d’autres penseurs qui se sont passionnés pour l’être mouvant et pour la dynamique de l’esprit : Henri Bergson (Truchot), Jan Patočka (Rocca), Gaston Bachelard (Bontems), Balzac ou Rilke (Gheerardyn). Faisant fond sur la tension féconde entre l’unité de la catégorie à penser et la multiplicité des phases du phénomène perçu, la phénoménologie du mouvement de Jan Patočka (Rocca) réitère le défi de saisir le mouvement à son origine. Le retour aux sources aristotéliciennes permet au philosophe tchèque de réintégrer les différents aspects du mouvement dans une pensée de la corrélation entre le déplacement du corps vivant et le mouvement phénoménalisant. Si l’essence du monde est mouvement, sa saisie en tant que rythme, trace, geste ou « savoir kinesthésique » (Renaux, Villard) propose autant de réponses concrètes, en dépit du caractère indéfinissable du mouvement. Au point de contact entre le subjectif et l’objectif, entre le savoir-faire implicite et la pensée réflexive, l’« intelligence homérique du mouvement » (Dingremont), les exercices spirituels stoïciens qui posent la problématique éthique de la transformation de soi à travers le déplacement (Morice) et les pratiques artistiques (Gheerardyn, Barbedette, Renaux, Villard) témoignent de la réussite d’une réappropriation de l’essence du monde comme devenir et mouvement.

25A travers l’éloge d’un art qui dépasse sa dimension matérielle statique et immobile, Valéry prend définitivement position pour le mouvement dans Eupalinos ou l’architecte. Pour le Socrate platonicien du Théétète, il fallait rejeter l’opinion des « sages » (Protagoras, Héraclite, Empédocle) et des poètes (Homère et Epicharme) selon laquelle « tout est le produit du flux et du mouvement10 », car celle-ci minait en dernière instance les bases d’une existence juste et bonne, « semblable à Dieu ». En faisant d’Homère le « général » de l’armée du flux qu’il combattait, le « père de l’éthique11 » se montrait ainsi complètement opaque à la beauté d’une existence erratique comme celle d’Ulysse, matérialisation de l’aiolomètis, l’« intelligence en mouvement ». Il ne s’agit bien sûr pas, pour qui adopte la posture inverse, de faire l’apologie de l’agitation et de l’affairement effréné, mais d’explorer le rythme propre au mouvement de l’existence, et la tension qui surgit entre ses dimensions éthique (en tant que vie bonne) et esthétique (en tant que vie belle). Cette tension peut se résoudre dans ce que Juliette Morice appelle ici, en analysant les écrits de Sénèque, une « éthique des voyages ». Le voyage n’est pas le propre du stultus, par opposition au sage tranquille qui se tient en un lieu12. Au contraire, puisque le monde est mouvement, le voyage révèle la sagesse qui consiste à l’épouser, à entrer en résonance avec lui. Mobilité physique et mouvement intérieur convergent et le véritable sens de l’existence peut advenir pour celui qui sait trouver, au cœur même du voyage, « la tranquillité de l’âme ». C’est peut-être là, dans ce passage « de la physique à l’éthique » exploré par les stoïciens, que le Socrate du dialogue Eupalinos ou l’architecte découvre l’une des formes essentielles du mouvement : la transformation intérieure ou l’édification de soi que l’individu peut atteindre chez Valéry en dépassant la statique du je suis par la dynamique du je puis. Car autant l’architecte Eupalinos que le navigateur et constructeur de navires Tridon évoqués par le disciple de Socrate, deux maîtres égaux dans l’art de du mouvement et de l’équilibre, et, comme Ulysse, deux négociateurs hors pair avec les forces physiques de la gravitation et de la mer, peuvent dire : « A force de construire […], je crois bien que je me suis construit moi-même13 ».

26Adinel Bruzan (Université de Rouen)

27Raluca Mocan (Université Paris-Est Créteil/Archives Husserl-Paris)

28Roxana Vicovanu (Université de Genève)