Colloques en ligne

Jérôme Meizoz et Jean-Claude Mühlethaler

Avant-propos

Postures d’auteurs : du Moyen Âge à la modernité

1Des premiers siècles de notre ère à la modernité, ce numéro interroge les figures, postures et scénographies auctoriales qui régissent aussi bien l’activité artistique (littératures, arts plastiques, cinéma) que les discours philosophiques et historiques. L’auteur est à la fois une fonction (Foucault 1969) et un statut changeant au fil des siècles (Chartier 1998). Il constitue donc une pièce essentielle d’une pragmatique historique de la communication artistique, telle qu’on l’envisage ici à la suite de linguistes comme Dominique Maingueneau (2004) et d’historiens comme Alain Vaillant (2010).

2Un large éventail de questions a pu être ouvert, à partir de cet axe, et selon les corpus concernés : Quels régimes d’auctorialité ont cours simultanément ou successivement ?... Peut-on dessiner un répertoire historique des figures et des mises en scène d’auteurs ?... Quel est le poids des modèles auctoriaux antiques sur les arts et littératures modernes ?... Peut-on parler de poètes « engagés » avant que la « littérature » ne représente un champ autonome, c’est-à-dire pour le Moyen Âge et la Renaissance ?... Quels emprunts les artistes (philosophes, écrivains, affichistes, etc.) font-ils aux figures prophétiques, mythologiques ou aux discours religieux ?... Quel rôle joue la manifestation des émotions dans la posture d’auteur, notamment à partir du XIIIe siècle, quand émerge la subjectivité littéraire (Zink 1985) ?... Comment se présentent les figures auctoriales féminines qui apparaissent à la fin du Moyen Âge, puis s’affirment à la Renaissance et par la suite ?...

3Plus généralement, le numéro pose la question des modalités de la présence auctoriale, actuellement très débattues dans diverses disciplines : Qu’en est-il des figures d’auteur que dessinent les textes ?... Comment dégager les postures auctoriales (Meizoz 2007 et 2011) qui gouvernent les prises de parole ?... Enfin, comment se manifeste un ethos dans l’énonciation ?... Comment la prise de parole se justifie-t-elle dans des paratextes comme la préface, le discours préliminaire, voire dans des documents externes comme la correspondance ?... En quoi les logiques énonciatives sont-elles liées aux cahiers des charges des divers genres littéraires ?... Pouvons-nous décrire ce travail de légitimation nécessaire à la parole auctoriale des différentes époques et des différents genres ?... Quel est le rôle des médias et médiations diverses dans la construction d’une figure d’auteur (par la Cour, les Académies, la presse, les médias, le public, etc.) ?... Comment la posture auctoriale modélise-t-elle son destinataire idéal en l’inscrivant dans le texte même ?...

4À partir d’études de cas, plusieurs chercheurs (doctorants, post-doctorants et chercheurs avancés) proposent des réflexions stimulantes sur leurs usages de ces notions stratégiques dans la théorie littéraire actuelle. Ils prolongent ainsi les réflexions des colloques de Courtrai en 2012 (Ethos : perspectives interdisciplinaires et comparées) ainsi que de Bruxelles en 2009, qui a donné lieu au numéro 8 de COnTEXTES (2011, en ligne : La Posture. Genèse, usages et limites d’une notion). Un intérêt particulier des contributions résulte du dialogue noué entre spécialistes de la littérature médiévale et spécialistes de l’époque moderne. Pour les uns comme pour les autres, la distinction entre « ethos montré » et « ethos dit », rappelée ici même par Dominique Maingueneau, paraît particulièrement fructueuse. L’ethos expérientiel, l’image de l’auteur que le destinataire se construit à partir de l’œuvre, ne concerne pas seulement les siècles plus récents, depuis que journaux, télévision ou web nous livrent des commentaires de lecteurs. Ainsi, les postures adoptées par Eugène Sue (Anaïs Goudmand) changent en fonction des réactions de son public et, dans le cas bien documenté de Simenon, les lettres adressées à l’auteur par ses admirateurs permettent de retracer l’idée qu’ils se font du créateur de Maigret (Véronique Rohrbach). C’est là une démarche qui, mutatis mutandis, n’est pas étrangère aux clercs du Moyen Âge : des accessus ad auctores, qui situent l’œuvre par rapport à la biographie (volontiers légendaire) de l’auteur, aux vidas des troubadours, construites à partir de leurs chansons, puis au Testament de Villon, que Clément Marot jugeait difficilement accessible à un public de cour ignorant tout des bas-fonds de Paris, la tentation a toujours existé de lire une œuvre à la lumière de la vie de son auteur.

5Même si les « doubles » de l’auteur – de Darès chez Jean de Courcy et Thomas de Saluces (Delphine Burghgraeve) au Docteur Pascal de Zola (Frédérique Giraud et Émilie Saunier) – changent sensiblement de nature entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, les auteurs n’ont cessé de se choisir des « figures-écran » qui endossent le rôle de l’écrivain au sein de l’œuvre. Le genre (littéraire) semble, lui aussi, être déterminant pour le choix de l’ethos (catégoriel et idéologique), et ceci à toute époque ; au fil des siècles, l’ethos se caractérise à la fois par sa dimension cognitive et par sa dimension émotionnelle (Raphaël Micheli), car – d’une manière ou d’une autre – il s’agit toujours de « faire sentir avec », d’exploiter, comme le postulait déjà Aristote (Réth. 1356a13), les ressources du pathos pour emporter l’adhésion du public.

6Même la notion de posture, telle que la définit Jérôme Meizoz, se laisse appliquer, selon plusieurs critiques, à l’époque médiévale, bien que les traces de la mise en scène publique d’un auteur du passé fassent trop souvent cruellement défaut. Ainsi, Hélène Haug parle de posture, quand un écrivain interroge la place qui lui revient à la cour en décrivant des scènes de lecture ; dans ses lettres, Jean Gerson – prédicateur et donc homme public – se fait l’écho des rumeurs à son sujet (Viviane Griveau-Genest) ; pour Emma Cayley, les « collaborative debating communities », attestées par les résonances entre les œuvres, ne témoignent pas seulement de la circulation des textes à la fin du Moyen Âge, mais montrent comment leurs auteurs se positionnent de manière à se démarquer les uns des autres. Au-delà des différences indéniables, des points de convergence se dessinent ainsi entre Moyen Âge et modernité, des échos résonnent entre les contributions réunies dans ce numéro. Le débat amorcé ici, nous en sommes convaincus, mérite d’être poursuivi et approfondi.

7Ces actes sont issus d’un colloque interdisciplinaire, « Figures, ethos, postures de l’auteur au fil des siècles », tenu les 20 et 21 juin 2013 à l’Université de Lausanne, à l’initiative des professeurs Jean-Claude Mühlethaler (qui dirige un projet sur la communication ʻlittéraireʼ sous Charles vi, soutenu par le Fonds National Suisse) etJérôme Meizoz (Formation doctorale interdisciplinaire), avec le soutien de la Section de français et du CEMEP (Centre d’études médiévales et post-médiévales). Nous remercions Delphine Burghgraeve qui a pris en charge le travail éditorial, le Prof. Marc Escola de son intérêt pour ces questions ainsi que tous les partenaires institutionnels de ce colloque.

8(Université de Lausanne)

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