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Issue du premier romantisme d'Iéna, la notion apparaît de manière concomitante chez Dilthey, l'un des fondateurs de l'herméneutique avec Schleiermacher, et dans le cadre d'une approche du sujet qui, sur une assise psychologique, fonde une théorie de la connaissance que l'on pourrait résumer dans l'idée que la vie est à elle-même sa propre exégèse. Ce primat de la subjectivité comme postulat du romantisme va marquer les premières versions historiques de la notion.

En effet, la réflexivité peut être d'abord définie comme mouvement de l'esprit revenant sur lui-même pour prendre pleinement conscience de soi, selon la dialectique hégélienne, et c'est sur ce mode que s'élabore une conception de l'art propre au premier romantisme qui institue l'oeuvre d'art comme ce qui se suffit à soi-même. Cette autosuffisance aura une importante postérité esthétique à travers les théories de l'art pour l¹art et la tradition antimimétique issue du symbolisme qui récuse la fonction référentielle de la littérature. L'idée fichtéenne du moi absolu trouve son répondant dans une théorie de l'art qui se donne comme plénitude et autosuffisance : l'artiste sur le modèle du moi divin crée ex nihilo à partir de sa propre intériorité, et à travers un processus d'autoréflexion spéculaire. Cette spécularité (en tant que technique narrative, et cas particulier de la réflexivité) apparaît dans le théâtre romantique comme le souligne J-M Schaeffer qui prend pour exemple une pièce de Tieck, Le monde à l'envers, qui représente elle-même un théâtre où se trouvent des spectateurs.

Mais la réflexivité est aussi critique dans la mesure où l'art revenant sur soi s'autoconteste et est à soi-même, dans ce mouvement d'autocontestation de ses pouvoirs sa propre instance d'intelligibilité ; l'importance du Don Quichotte dans le roman européen et de la notion d'ironie pour les romantiques témoigne de ce pouvoir simultanément constructeur et critique de la réflexivité. Elle participe donc à la fois d'un projet d'autofondation (elles se situe au niveau des conditions de possibilité de l'oeuvre, soit au niveau transcendantal) et d'autolimitation de ses pouvoirs, autocréation et autonégation qui permettent à l'artiste d'échapper à toute limitation hétéronome en demeurant dans une problématique interne de contestation de ses pouvoirs.

Ce double mouvement de la réflexivité est constant dans les esthétiques modernes et contemporaines tantôt comme un effet local, tantôt comme une revendication globale liée à une définition essentialiste de l'art. Ainsi, la définition de J Kosuth, selon laquelle " l'Art est la définition de l'art " ne signifie pas que l'art se détermine par ses réalisations particulières, ou que sa définition dépende de sa pratique, mais que son unique telos est de répondre d'une définition globale de l'art. Que chaque oeuvre expose, comme le ready-made de Duchamp un " ceci est de l'art " relève d¹une tautologie et calque la démarche esthétique sur un langage logique.

La notion de réflexivité entretient donc des liens forts avec une définition spéculative de l'art qui préfère la dénonciation de l'artifice à l'immersion mimétique (Borges), la problématisation du rapport à la tradition littéraire plutôt que la référence à des notions extralittéraires (notion d'intertextualité), l'exhibition des moyens esthétiques plutôt que le fait de parier sur leur efficacité aveugle.

C¹est ainsi que dans les formes littéraires et picturales qu¹elle assume au XXème siècle, la réflexivité, issue de l'autoréflexion du sujet, a pu faire l'impasse sur la notion de subjectivité dans laquelle elle s'origine. L'idée selon laquelle les événements semblent se raconter d'eux-mêmes (Benveniste) ou qu'il convient d'évacuer la psychologie et le sujet dans sa dimension empirique du roman moderne (Robbe-Grillet) appartient à une tradition structuraliste qui privilégie le système aux dépens de ses acteurs et constitue un premier paradoxe de la réflexivité.</p>

Second paradoxe : si le langage se donne comme un tout inclusif qui figure ce qu¹il choisit d'inclure, toute limite n'est que le rappel de ce qui a été exclu ; les mots et les descriptions ne se donneraient que pour tels et non comme renvoi puisque la réflexivité à l'extrême abandonnerait le mouvement de dénotation du langage. Telle est la thèse du littéralisme (J. Bessière) porteuse de dépassements possibles.

En effet, le troisième paradoxe que l'on peut relever est qu'une oeuvre qui expose un mouvement réflexif comme ce dont elle dit vouloir relever globalement expose un musée du monde et des lectures de l'homme qui pour devenir tel appelle une justification ultime de la lecture, du lecteur, soit d'un hors l'oeuvre abandonné par elle.

Le déconstructivisme en proposant des versions de l'indécidable fait de la réflexivité la manifestation d'un excès par rapport à tout signifié citable. Ainsi est-elle liée à la multiplication d'un signifiant toujours itérable (Blanchot), et d'un dédoublement caractérisé comme le moyen d'identifer l'oeuvre. Ce dédoublement est ce qui se donne à interpréter et ce que désigne la critique contemporaine sous le terme de métafiction.

Quelques repères bibiographiques :

Littérature, modernité, réflexivité, sous la direction de Jean Bessière et Manfred Smeling, Champion, BLGC, Paris, 2002.

Réflexions de l¹art, Essai sur l¹autoréférence en art, Christophe Genin, Kimé, Paris, 1998.

Christine Baron

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Dernière mise à jour de cette page le 20 Avril 2007 à 1h13.