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Séminaire "Voyages imaginaires et récits des autres mondes" (ENS) : L. Bazin, "Anthropologie des mondes possibles dans le roman pour adolescents"

Publié le par Marc Escola (Source : Elsa Courant)

Mercredi 9 novembre 2016, de 16h à 18h en salle Dussane de l'ENS Ulm (fond du couloir, à gauche du hall d'entrée)

Séminaire "Voyages imaginaires et récits des autres mondes, de Cyrano à Game of Thrones"

Intervenant : Laurent Bazin, "Anthropologie des mondes possibles dans le roman pour adolescents"

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Argumentaire du séminaire : 

« Je n’ai rien voulu imaginer sur les habitants des mondes, qui fût entièrement impossible et chimérique. J’ai tâché de dire tout ce qu’on en pouvoit penser raisonnablement, et les visions même que j’ai ajoutées à cela ont quelque fondement réel. Le vrai et le faux sont mêlés ici, mais ils y sont toujours aisés à distinguer. »

C’est en ces termes que Fontenelle introduisait ses Entretiens à la pluralité des mondes en 1686. Une telle affirmation est caractéristique des stratégies d’écriture relatives aux récits des autres mondes, partagées entre réalisme et fantaisie. Au regard de la littérature pléthorique qui se rapporte à ce sous-genre, il faut entendre par autres mondes tous les univers alternatifs au nôtre, produits de l’imagination. Il peut s’agir d’autres planètes peuplées d’hypothétiques habitants, de mondes géométriques comme le Flatland d’Edwin Abbot, d’univers parallèles tels que la troisième dimension spirite de Balzac et Flammarion.

Or ces récits jouent avec les catégories littéraires et une certaine tradition des récits de voyage, plus ou moins sérieuse, qui remonte à l’antiquité de Lucien. On y trouvera les caractéristiques topiques du genre telles qu’elles furent définies par Frank Lestringant, avec une bipartition systématique entre narration et description ; mais parce que ces récits se projettent en dehors de notre univers référentiel, ils excèdent aussi ces catégories. Ce sont ces démarches d’écriture que nous souhaitons interroger : dans quelle mesure peut-on parler d’une pratique littéraire spécifique aux récits des autres mondes ? On y trouvera une variété de registres qui complexifie la question, de l’ironie satirique d’un Cyrano à la description réaliste depuis les débuts de la science-fiction au XXIème siècle, en passant par les spéculations philosophiques de Fontenelle.

L’enjeu est d’autant plus intéressant que de telles œuvres se définissent par rapport à la science contemporaine, engageant des considérations épistémologiques sur le type de savoir, potentiellement paradoxal, que ces textes peuvent apporter. Un tel rapport est d’ailleurs réciproque, puisque les scientifiques eux-mêmes jouent avec les catégories littéraires. On se souvient de sélénites du Songe de Kepler, qui connurent une fortune sans précédent dans les récits fictionnels, mais aussi des âmes trépassées de Lumen, roman spirite de Flammarion. En réalité, il s’agit probablement d’un lieu commun du discours scientifique, sinon de la vulgarisation scientifique, s’appuyant sur la vieille tradition du mythos aristotélicien, la fable permettant mieux que tout autre discours de transmettre une forme de vérité.

Mais la vérité dont il s’agit n’est pas seulement épistémologique ; elle est aussi de l’ordre de la figuration. Les romans des autres mondes engagent en effet un rapport particulier à l’image et à la représentation de l’ailleurs : il s’agit toujours de relever un défi posé à l’imaginaire, en interrogeant nos propres catégories. Comment représenter un autre monde, l’exotisme par excellence ? Les récits de l’irréalité ne s’attachent-il pas à définir en creux ce qu’est cette différence propre à l’Autre ? Or le paradoxe est que bien souvent, c’est l’anthropocentrisme qui l’emporte, l’homme restant le référent central de ces représentations.

Nous accueillerons dans ce séminaire des chercheurs en littérature, mais aussi en astrophysique, en traversant les époques du XVIIème siècle à l'ultracontemporain.

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Détail de l'intervention : 

Dans le grand champ des récits de fiction, les paralittératures ne bénéficient pas toujours du plus grand crédit institutionnel, tant la prégnance de l’héritage culturel et une certaine tradition scientifique tendent à déconsidérer des œuvres doublement suspectes par leur objectif (l’évasion érigée en principe de plaisir) et leur lectorat (dit « populaire », donc relevant de la culture de masse). Ce discrédit s’aggrave lorsqu’il s’agit de textes destinés à l’enfance, la littérature de jeunesse ayant longtemps tardé à être reconnue comme un objet de recherche pleinement légitime dans le champ des sciences humaines. À l’encontre de tels préjugés, on tiendra que de telles productions constituent des phénomènes profondément significatifs : d’une part parce que l’ampleur de leurs auditoires témoigne de leur capacité à prendre le pouls des représentations collectives ; d’autre part parce que leur inventivité débarrassée des contraintes de la mimesis constitue une façon pas moins efficace et souvent originale d’aborder autrement les grandes questions de société tout en renouvelant les classifications qui sous-tendent volontiers l’activité critique (fantastique, anticipation, science-fiction…). 

L’objet de cette intervention sera d’explorer sous cet angle le roman pour adolescents en s’intéressant aux récits mettant en scène la découverte d’autres univers, avec l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’un thème parmi d’autres dans l’histoire des fictions pour la jeunesse, mais bien d’une composante structurelle et même structurante d’une littérature qui ferait de la rencontre inter-mondes un invariant formel et thématique, censé répondre aux spécificités de son lectorat. On se propose en conséquence :

-    d’abord, de mettre en évidence cette fonction récurrente du passage entre les mondes dans les choix éditoriaux en retraçant l’histoire du genre du XIXème à nos jours (voyages extraordinaires de Jules Verne, exploration des univers parallèles dans les publications de l’entre-deux guerres, prolifération des mondes possibles dans la production contemporaine…) ;

-    ensuite, d’analyser les stratégies d’écriture permettant de mettre en scène des univers différents, dans un cadre épistémologique résolument transgressif parce qu’encourageant la porosité entre les grilles interprétatives (de la psychologie cognitive à l’astrophysique quantique) ;

-    enfin, de mettre en lumière la façon dont le voyage entre les univers, bien plus qu’un topos du récit d’aventure, constitue un passage obligé de la construction de soi en tendant au jeune lecteur une double cristallisation, esthétique autant qu’éthique, de la rencontre des cultures et de la conflagration entre les identités.

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Programme du séminaire : 

28 septembre 2016 : Voyages au pays de la fiction-dans-la-fiction, Françoise Lavocat  (Université Sorbonne Nouvelle)

5 octobre 2016 : Ce que l'Autre Monde fait à la pensée : réflexions sur Cyrano et ses voyages, Thomas Mondemé (Lille)

12 octobre 2016 : Le voyage lunaire en images, Patrick Désile (CNRS)

19 octobre 2016 : L’autre monde introuvable dans l’œuvre de J. R. R. Tolkien, Isabelle Pantin (ENS)

2 novembre 2016 : Jules Verne, utopique et archaïque, Jean-Michel Gouvard (Université de Bordeaux Montaigne)

9 novembre 2016 : Anthropologie des mondes possibles dans le roman pour adolescents, Laurent Bazin (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

16 novembre 2016 : Italo Calvino, pour une littérature de l’en-deçà. Les Cosmicomics et les Villes invisibles, esquisses cosmographiques, Maria Pia Mischitelli & Mélinda Palombi (Université Aix-Marseille)

23 novembre 2016 : Les théories fictionnelles des mondes possibles dans la science-fiction française, Simon Bréan (Université Paris Sorbonne)

30 novembre 2016 : Les mondes de Balzac, Thomas Conrad (ENS)

7 décembre 2016 : La fabrique des extraterrestres, Roland Lehoucq (CEA Saclay)

14 décembre 2016 : World building et imaginaire contemporain, Anne Besson (Université d’Artois).