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Vers une "germanophonie" cosmopolite ? Perspectives postnationales dans la littérature contemporaine d'expression allemande

Vers une germanophonie cosmopolite ? Perspectives postnationales dans la littérature contemporaine d'expression allemande

La production croissante d'écrivains issus d'une double culture a conduit ces dernières décennies à une intensification de la recherche dans un domaine que la germanistique a successivement désigné de Gastarbeiterliteratur, Ausländerliteratur, Migranten- ou Migrationsliteratur, interkulturelle ou transkulturelle Literatur, le problème étant de parvenir à traiter ces oeuvres collectivement tout en évitant de les enfermer dans un « ghetto » qui les soustrait au champ littéraire proprement dit. L'impulsion décisive est venue des études post-coloniales issues du monde anglo-saxon, dont les concepts ont stimulé la recherche en remettant en cause les bases du débat allemand (le rapport de l'« étranger » au pays « d'accueil »), alors même que l'Allemagne ne possède pas d'héritage colonial comparable à celui de l'Angleterre ou de la France. Cet impact positif ne doit pas occulter le fait que le rapport de l'Allemagne à ses minorités se pose dans d'autres termes que pour les pays chargés d'une histoire coloniale plus longue, tandis que son histoire est hypothéquée par un passé de conflits non moins lourd qui a conduit, au XXe siècle, au génocide des Juifs et des Roms. Pour rendre compte de la spécificité de l'histoire allemande, plusieurs germanistes (Suhr, Weigel, Amodeo) ont proposé dès la fin des années quatre-vingt de recourir au concept de « littérature mineure » forgé par Deleuze et Guattari par référence à Kafka. Une littérature mineure est une littérature « qu'une minorité fait dans une langue majeure », faisant subir à la langue dominante un traitement qui la rend « étrangère à elle-même » afin de la soustraire à ses usages officiels au service du pouvoir. Le défi paradoxal qui fonde cette littérature est de transformer le handicap originel de la marginalité en situation privilégiée de création, lui permettant de développer un potentiel créatif capable de rejaillir sur le champ littéraire tout entier. Elle devient ainsi un facteur de dynamisation qui en fait « l'élément de toute révolution dans les grandes littératures ». Par ailleurs, en « creusant le langage » et en le poussant jusqu'à ses limites, la littérature mineure, à force de déterritorialisation et de particularité, tend à l'universel. Elle est de ce fait structurellement opposée à toute littérature nationale et oblige non seulement à ouvrir le corpus des oeuvres canonisées, mais aussi à remettre en question l'idée même de canon national. Elle est donc par essence post-nationale, mais aussi directement politique, subversive et révolutionnaire, surtout dans une société qui considère les écrivains venus d'ailleurs, de même que tous ses « migrants », comme des étrangers ne pouvant prétendre à la citoyenneté.

Le concept de littérature mineure atteint toutefois ses limites dans un monde « globalisé » où la frontière est de plus en plus ténue entre culture minoritaire et culture dominante, ce qui pose notamment le problème des auteurs de deuxième et troisième génération et de ceux, de plus en plus nombreux, aux parcours individuels atypiques. Ce concept élaboré à partir de la dichotomie centre/périphérie doit être repensé par rapport à l'espace germanophone actuel pour rendre compte des nouvelles formes de pluriculturalité. Le problème est encore plus patent pour les termes néanmoins toujours très usités de Migranten- et Migrationsliteratur. La dimension discriminatoire de ce type de catégorisation ne saurait être éludée par une simple rénovation de l'idéal goethéen de Weltliteratur. Quant aux concepts d'inter- ou de transculturalité, qui semblent actuellement emporter la mise en Allemagne, ils présentent l'inconvénient de postuler au moins en apparence l'existence d'aires culturelles homogènes entre lesquelles l'écrivain « migrant » agirait comme un médiateur ou un transfuge. C'est tout l'intérêt des notions post-coloniales de tiers espace, d'hybridation et de métissage de dépasser aussi bien la visée totalisante que les polarités réductrices ; mais ces outils théoriques ne sont pas toujours opérationnels dans un contexte où le brassage, la polyphonie et la multiplication des références tendent à devenir la règle. Il est donc nécessaire de croiser les perspectives et de repenser fondamentalement les rapports entre littérature nationale et littérature(s) minoritaire(s) de manière à élaborer, comme le formule la germaniste américaine Leslie Adelson, une « nouvelle grammaire critique de la migration » (Adelson, 2005). Cela implique le recours à différentes grilles d'interprétation et à différentes disciplines : histoire, sciences sociales, sociolinguistique et bien sûr cultural studies, dont le courant « post-colonial » commence à être représenté par des chercheurs(-ses) travaillant en Allemagne sur la société allemande. Sans esquiver les questions de terminologie ni prétendre réduire l'hétérogénéité des textes et des situations, nous privilégierons en tout état de cause une approche définie par les rapports de pouvoir plutôt que par des critères ethno-biographiques ou thématiques. Dans cette optique, nous examinerons des textes littéraires concrets selon les axes de réflexion suivants :

La dimension politique: dans quelle mesure l'écriture hybride ou transculturelle s'affirme-t-elle comme une forme de subversion ou de résistance ? Quel rapport les oeuvres instaurent-elles à la culture dominante et quelle place y occupent notamment les questions de « genre » ? Les procédés narratifs: quelles voies linguistiques et esthétiques les écrivains contemporains explorent-ils pour réagir à la situation de déterritorialisation ? Quels dispositifs mettent-ils en place pour déjouer les pièges de l'exotisme, des fantasmes et des stéréotypes, quelles formes de réappropriation critique des discours expérimentent-ils ? Le rapport au monde, à la société, à l'histoire, à la nation: quels positionnements trouve-t-on à l'égard de l'histoire récente de l'Allemagne, plus spécialement de la Shoah ? Les auteurs bi-culturels s'excluent-ils de cette histoire ou participent-ils en tant qu'écrivains germanophones à la réflexion sur le sujet ? Les questions de transmission, tradition, filiation: le romaniste Harald Weinrich popularisa l'idée d'une généalogie littéraire propre aux écrivains allophones en proposant de donner le nom d'Adelbert von Chamisso à un prix décerné depuis 1985 à « des auteurs de langue maternelle non-allemande ayant apporté une contribution importante à la littérature de langue allemande ». Les écrivains en question se reconnaissent-ils dans l'étiquette de « petits-enfants de Chamisso » ou trouvent-ils d'autres lignes de filiation en marge de la catégorie définie par le jury du prix, plus proches d'une conception rhizomatique de la transmission ? On s'attachera à éclairer les liens avec les auteurs « ex-centriques » du premier XXe siècle et la littérature allemande de l'exil, mais aussi à l'inverse avec les oeuvres canonisées. La place de ces oeuvres dans le champ littéraire national: la production d'écrivains germanophones « cosmopolites » est encouragée et médiatisée par le biais de prix littéraires spécifiques, mais également de festivals, d'expositions, de lectures publiques. Quelle place ces événements occupent-ils dans le champ littéraire global et comment celle-ci évolue-t-elle ? Quelles répercussions l'encouragement institutionnel sur le mode de la discrimination positive a-t-il sur le travail des auteurs ? Quel est d'autre part l'impact de la récupération des stratégies (sub-)culturelles subversives des minorités par le marketing et la publicité ? La résonance internationale: dans quelle mesure la reconnaissance de cette « autre littérature allemande » dépasse-t-elle les frontières ? Comment se fait son transfert vers d'autres aires culturelles, notamment francophone, par le biais de la traduction ? Quel accueil les textes traduits trouvent-ils à l'échelle internationale, et selon quelles grilles de lecture sont-ils appréhendés dans les différents espaces ?

 

Nous adopterons une démarche comparatiste, tant au niveau des oeuvres, en établissant des liens avec le travail d'écrivains d'autres aires linguistiques, qu'au niveau des approches théoriques, en croisant les réflexions de la germanistique avec celles menées dans les domaines de la francophonie et de la littérature dite du Commonwealth, de manière à esquisser les contours et les limites de ce que pourrait être une « germanophonie » littéraire cosmopolite.

La langue du colloque est l'allemand.

Christine Meyer

Programme du colloque / Tagungsprogramm

Beginn: Donnerstag, 26. Mai 2011, ca. 09.30

Begrüßung der Teilnehmer

Christine Meyer, Veranstalterin des Symposiums

Eröffnung des Symposiums

Wolfgang Sabler, Dekan der Sprachenfakultät der Universität Amiens

Allgemeine Überlegungen

Kien Nghi Ha (Berlin)

Koloniale Paradoxien: Hybridität als Zeichen der "Rassenvermischung" und des kulturellen Widerstands

Immacolata Amodeo (Bremen)

Migration und Literatur: Überlegungen aus komparatistischer Sicht

Azade Seyhan (Bryn Mawr, PA)

Interkulturelle Hermeneutik: Der transnationale Autor als Übersetzer

Traditionslinien (I): Ahnen

Christine Meyer (Amiens)

Elias Canetti, ein Vorläufer der postkolonialen Literatur im deutschsprachigen Raum?

Andrea Lauterwein (Paris)

"Mehrheimatlich-patriotisch verheddert": Paul Celans postnationale Poetologie

Traditionslinien (II): Kanon und Überlieferung

Benoît Ellerbach (Paris)

Elemente zur Klassifikation von Rafik Schamis Werk in die deutschsprachige Literatur

Bernard Banoun (Paris)

Außenseitertum, Gegenkanon und nicht-deutschprachiger Raum bei Josef Winkler

Katja Schubert (Paris)

Überlieferung, Postkolonialismus und die Poetik der Globalisierung: Jeannette Lander und Emine S. Özdamar

Rezeptions- und vergleichsorientierte Analysen

Manfred Schmeling (Saarbrücken)

"Es gibt nur ein perspektivisches Sehen, nur ein perspektivisches 'Erkennen'" (Nietzsche):

Erkenntniskritische und poetologische Aspekte des Kulturtransfers in der modernen deutschen Literatur

Haimaa El Wardy (Kairo)

Sprache und Nation: Migrantenliteratur in Deutschland und littérature beur in Frankreich als Beispiele der postnationalen Literatur in Europa (Azouz Begag / Rafik Schami)

Myriam Geiser (Grenoble)

Migration und "Neue Weltliteratur"? Vergleichende Studie zur Rezeption postnationaler Gegenwarts-literaturen in Deutschland und Frankreich

Identitätskonstruktion und kulturelle Verortung

Marion Dufresne (Lille)

Der Begriff der Fremde in den Romanen Franco Biondis

Frank Stucke (Berlin)

Relativierte Identitäten: Wladimir Kaminers Ironisierung gesellschaftlicher und nationaler Identitäts-Konstruktionen

Sieglinde Klettenhammer (Innsbruck)

"Transit. Transfinit. Transnationality" oder "Ich ist viele" - Transkulturelle Konstruktionen des Selbst in Ilma Rakusas Autobiographie Mehr Meer (2009)

Michael Hofmann (Paderborn)

Shoah und Genozid an den Armeniern bei Zafer Şenocak

Linda Koiran (Paris)

"Mischling" mit Haut und Wort ? Anmerkungen zu literarischen Grenzgängern

Karin Emine Yeşilada (Paderborn)

Poesia post Solingen - Literarisches Gedächtnis in der türkisch-deutschen Lyrik

Erzählverfahren und Ausdruckssysteme

Leslie A. Adelson (Ithaca, N.Y.)

Kosmopolitisch und parallel? Unterwegs auf "verrosteten Schienen" mit Yoko Tawada im postnationalen Roman Das nackte Auge (2004)

Nilüfer Kuruyazıcı (Istanbul)

Unterschiedliche Schreibstrategien in der jüngsten Phase der deutsch-türkischen Literatur (Özdamar, Zaimoglu, Özdogan)

Penka Angelova (Rouse)

Magischer Balkan-Realismus bei drei Chamisso-Preisträgern (Ilija Trojanov, Dimitre Dinev, Tzveta Sofronieva)

Abschluss der Tagung: Samstag, 28. Mai, ca. 13.15