Revue
Nouvelle parution
Une nouvelle revue de poétique: Balises

Une nouvelle revue de poétique: Balises

Publié le par Marc Escola (Source : Livre reçu)

Vient de paraître:

Balises. Cahiers de poétique des Archives & Musée de la Littérature (Bruxelles), 1/2, 2002: Politique et style.

Éditorial:

Nous avons besoin d'écrivains.

Explorateurs du monde à venir, navigateurs solitaires sur l'océan des possibles. Les balises sont ces points de lumière qui donnent leur position: latitude de la langue, longitude de la pensée. Savants dispositifs pour ne pas les perdre de vue. Les relier. Les accompagner dans leur course. Car " Homme libre, écrit Baudelaire, toujours tu chériras la mer ".

Les balises ont les formes les plus variées: l'étude scientifique répond au témoignage, l'essai à l'interview, la fiction à l'archive. Elles sont d'ici et d'ailleurs. Elles jouent du direct et de l'écho.

Nous les savons plus que jamais nécessaires car l'académisme ne résiste pas à leur mesure. Grâce à elles, nous tenterons d'échapper encore et encore aux nouveaux conformismes de pensée, de célébration et d'exclusive qui caractérisent trop souvent l'approche du champ littéraire.

Nous nous attarderons parfois auprès d'une figure singulière, phare à la croisée des chemins. Ou nous affronterons une question cruciale, pas toujours inédite, mais toujours renouvelée par notre volonté d'être pluriels, concentrés, légers, à vif.

Politique et style. L'union de ces deux mots peut paraître aujourd'hui obsolète ou provocatrice. Nous les reprenons sciemment. D'abord parce que ces mots renvoient à ce que la langue, dans son imprécision même, porte de plus juste et de plus provocant. Ensuite, parce que ces termes prennent distance avec d'autres, qui paraissent proches, mais constituent une tout autre façon de poser la question: "littérature et engagement", par exemple, ou "écriture et transformation". Ces deux expressions ne suffisent plus aujourd'hui pour interroger le fait littéraire dans sa complexité et son irréductibilité. L'intrication du fait esthétique et des positions idéologiques, politiques ou spirirtuelles, dans la marque personnelle de l'auteur, avec tout le désir que porte son uvre, est loin, nous semble-t-il, de se limiter aux appartenances, voire aux positions affirmées par l'écrivain. Le style en porte clairement la marque.

Existe-t-il un rôle spécifique qui revienne au poète dans le monde et dans le politique? En invitant les auteurs à s'interroger sur les tensions et liens entre politique et style dans leur uvre, on obtient souvent une définition en creux de la création, de sa vitalité, et de sa place dans le monde.

Les points de vue développés dans ce numéro soulèvent évidemment, et très logiquement, plus de questions qu'ils n'y répondent. Dans la variété même des propos tenus sous forme d'interviews ou de témoignages, on peut lire l'acuité et la complexité d'un problème que les études plus fouillées permettent de redéployer concrètement.

Éric Clémens donne ainsi une première approche, vécue, du passage de "littérature et engagement" à "politique et style". Tout autre, mais complémentaire, est l'approche de Nathaniel Tarn qui lance des pistes à propos de la pression politique exercée sur et par la traduction. C'est encore à une piste un peu en biais que recourt Noël Cordonier lorsqu'il montre que la réception du style de Ramuz par les critiques grammairiens révèle leur propre a priori politique.

Des écritures contemporaines aussi contrastées que celles de Christine Angot, Michel Houellebecq, Pierre Mertens ou Jean-Louis Lippert qui plongent toutes, d'une façon ou d'une autre, dans la réalité historique et sociale contemporaine posent, directement mais d'une façon distincte de celle qui prévalut après 1945, la question des sujets de l'écriture et de l'histoire. Si Jacques Dubois parvient à relever des traces de " message " dans le style de Christine Angot, Rokus Hofstede et Martin de Haan démontrent, eux, la réalité du style chez Houellebecq, généralement réduit à son " message ". Et c'est de l'importance de rester fidèle à soi comme sujet lyrique, ainsi que du danger de confondre les espaces poétique et politique que parlent, entre autres, les textes de Petr Kral, d'Ôzdemir Ince, de Lakis Proguidis ou de Kenneth White.

Les remarques d'un Ant6nio Lobo Antunes ou d'un Jean-Claude Pirotte, personnages douloureusement marqués par l'Histoire, mettent à la fois à distance les équivalences que l'on cherche parfois trop aisément à tracer entre uvre et pays et font découvrir l'atelier personnel du créateur. Elles n'épuisent pas les questions de l'historicité du texte et des façons, très diverses d'ailleurs, dont usent leurs plumes pour la diluer ou la pluraliser. Elles les relancent.

D'autres, enfin, tel Franck Venaille, parlent du bonheur du style ou c'est le cas de Michel Gheude de la fantastique portée symbolique d'un stylo perdu et retrouvé. Il nous plait de clore ce premier numéro sur cette fable.

En lançant ce thème qui espère rappeler le pouvoir d'interpellation de l'uvre, il nous semble utile de citer deux monstres sacrés de la littérature française du XX~ siècle, que l'on rapproche rarement et que leurs " engagements " ont souvent confinés dans un confortable no man's land qui permettait à beaucoup de n'avoir pas à les lire.

Dans une lettre à Albert Mockel, Paul Claudel écrit: " Rien ne m'a paru plus beau que la parole humaine; c'est pourquoi je l'ai étalée sur le papier, rendant visibles les deux souffles, celui de la poitrine et celui de l'inspiration. " Dans un tout autre genre, Louis Aragon se penchant rétrospectivement sur la genèse des Cloches de Bâle notait que: " Le style, contemporain de qui le crée, devient la vision du passé pour l'avenir, la plus haute approximation après coup de la réalité. "

Ces formules marquent bien l'imbrication du corps propre et de l'Histoire.

Balises, la nouvelle revue des Archives et Musée de la Littérature, prend le relais du Courrier du Centre international d'Études Poétiques. Avec un rythme de parution annuel ou bisannuel, Balises n'entend pas se limiter à la poésie. Ni participer à la sacralisation dont celle-ci fait souvent l'objet depuis des décennies. Balises ne porte pas pour autant au pinacle le roman ou le théâtre, mais tente de susciter des débats et de dessiner des chemins complexes. Balises entend en outre approcher les autres formes de création artistique.

Notre démarche part de connexions et d'un lieu précis. Celles-ci ne sont pas pour autant exclusives. La Belgique et les autres aires francophones font partie de nos investigations mais elles ne s'y limitent pas.

Pour approcher ce qui noue le désir créateur et donne forme à l'uvre, nous souhaitons demeurer toujours pluriels.

Notre prochain numéro, qui verra le jour fin 2002, se repenchera sur la " crise de vers " mise en exergue par Mallarmé, telle qu'elle se vit aujourd'hui.