Référence bibliographique : Tristan Corbière, ffocsoR (l'album Louis Noir), Françoise Livinec, 2013.
Tristan Corbière - ffocsoR (l'album Louis Noir) - oeuvre picturale et poétique inédite
L'aventurière passe errant dans l'étendue
(Vigny, La bouteille à la mer)
Les éditions Françoise Livinec publient un album inédit de 30 feuillets de textes et de peintures créé par le poète Tristan Corbière (1845-1875) à la fin des années 1860. Ce manuscrit, que l’on croyait perdu, a appartenu à Jean Moulin. Il s'agit d'un document poétique de premier ordre.
Dans Roscoff – « Roscoff » écrit à l’envers –, Tristan Corbière décrit et peint ses contemporains de la côte du Finistère. Mendiants, pilleurs d’épaves, matelots, douaniers, gendarmes, touristes et commerçants sont représentés avec vitalité et humour.
Corbière multiplie les innovations artistiques et poétiques : son album fait souvent penser à des oeuvres d’avant-garde du siècle suivant. L’artiste cherche une nouvelle manière de peindre et d’écrire la Bretagne. Collages, montages, déchirures, oeuvres parodiques et marines spectrales confèrent à l’ensemble une étonnante modernité. Sur le plan poétique, Corbière se révèle être, avec cet album, l’un des premiers poètes français à libérer le vers traditionnel ; il supprime parfois la ponctuation, 40 ans avant Guillaume Apollinaire, et tente de retranscrire le parler populaire de sa région.
La place donnée à la peinture dans cet album, dont une dizaine de pages sont uniquement picturales, et une autre dizaine montrent un dialogue remarquablement élaboré entre texte et peinture, rend manifeste l’originalité de la recherche artistique de Tristan parmi les poètes de sa génération.
Admiré des Surréalistes et d’Ezra Pound, Tristan Corbière était jusqu’ici connu pour son recueil Les Amours jaunes, publié confidentiellement en 1873 et découvert par Verlaine dix ans plus tard. On savait que le poète, qui était également peintre et caricaturiste, avait créé un important album quelques années avant de publier son livre. Jean Moulin, passionné par Corbière dont il voulait écrire une biographie, avait acquis l’album avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale. Mais cette oeuvre était considérée comme perdue depuis 1975. Doctorant en littérature française, Benoît Houzé a enquêté pendant plusieurs mois avant de retrouver la piste de l’album en Écosse, dans la succession d’une amie de Laure Moulin, soeur du résistant. En 140 ans, l’album est passé dans les mains de huit propriétaires différents mais est resté, par miracle, en parfait état.
L’éditeur a choisi de reproduire cette oeuvre exceptionnelle en fac-simile grandeur nature, dans un format proche du A3. Les 30 feuillets du manuscrit original (39,5 x 27,5 cm) sont regroupés, avec un cahier critique, dans un carton à dessin (40 x 28 cm ) identique à celui utilisé par Tristan Corbière pour rassembler les feuilles de son album. Également proposé séparément à la vente, le cahier critique comporte la retranscription de tous les textes de l’album et la reproduction de ses feuillets en format réduit. Plusieurs spécialistes (dont André Cariou, ancien Conservateur du Musée de Quimper, Jean-Luc Steinmtez, biographe de Tristan Corbière) y abordent dans une langue passionnée et accessible les circonstances de création de l’album, son histoire depuis 1870 marquée par l’achat de Jean Moulin, et ses caractéristiques artistiques. Tout lecteur, quelle que soit sa culture artistique et la nature de son intérêt pour cette oeuvre, pourra ainsi prolonger l’émerveillement de la découverte.