Essai
Nouvelle parution
Traversées, histoires et mythes de Djibouti

Traversées, histoires et mythes de Djibouti

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : Biringanine Ndagano)

Revue de l'Université de Djibouti, "Traversées, histoires et mythes de Djibouti", Amina Saïd Chire et Biringanine Ndagano (dir.)

KARTHALA, 2011.

150 p. - 19€

EAN13 : 9782811105273.

 

Les articles réunis dans ce numéro ont fait l’objet de communication dans le cadre des « Journées scientifiques » de l’Université de Djibouti, complétés par d’autres contributions centrées sur l’histoire de Djibouti, en particulier, et de la Corne de l’Afrique en général. Cette région est encore très peu connue, et beaucoup de zones d’ombre  de son histoire subsistent. Tel est le cas du secteur bancaire qui fait ainsi l’objet de l’article de Colette Dubois. Dans le but d’animer les échanges et de favoriser le développement de la Corne de l’Afrique, notamment par la création d’une ligne ferroviaire entre  Djibouti et Addis-Abeba de 1887 à 1917, un établissement bancaire de tout premier plan s’est s’implanté à Djibouti : la Banque de l’Indochine fortement sollicitée par le gouvernement français, délaisse l’Asie, son champ d’action jusqu’alors privilégié, pour Djibouti.

La contribution de Simon Imbert-Vier part des documents inédits plus contemporains concernant la Côte française des Somalis pour retrouver  des pièces illustrant les débuts de la ville de Djibouti. Il s’agit d’un plan de 1889, d’un projet d’urbanisme et d’une description de 1892. Et c’est sans doute à ce niveau que la réflexion d’Adawa Hassan Ali vient en complément, pour mettre en évidence comment les groupements humains vivant  dans le territoire qui, aujourd’hui, ceinture le golfe de Tadjoura – la République de Djibouti –, et qui sont le fruit des migrations régionales successives ont influé sur la carte d’urbanisme et se sont amplifiés au fur et à mesure du développement économique de Djibouti-ville. 

Michel Tuchscherer invite, quant à lui, à explorer ce qu’il considère comme le berceau non seulement de la consommation du café mais aussi de la domestication du caféier. C’est là que croît à l’état naturel l’espèce coffea arabica primitive, à l’origine de toutes les variétés de cette espèce cultivées aujourd’hui à travers le monde. C’est là aussi que l’homme s’est mis à consommer de manières multiples les baies de cet arbuste. C’est là encore que le coffea arabica a été domestiqué et mis en culture.

La contribution de Sagal Mohamed Djama explore une pratique traditionnelle qui continue à jouer tout son rôle dans la société moderne, à savoir le rôle et la fonction d’un chef traditionnel dans la représentation symbolique du monde des Somali-issa. Son analyse repose sur ses observations faites à l’occasion du couronnement du XIXè Ugass des Somali-issa en 2010, un long processus de nomination et d’intronisation d’un chef traditionnel dans le pays Ciise, à la pointe Est de la région dite « Somali » dans la République fédérale de l’Ethiopie. Un chef traditionnel reconnu par le système à l’occidental, pourrait-on dire : voilà qui permet de s’interroger sur la cohabitation et l’harmonisation de deux systèmes,  une des voies possibles de paix sociale dans l’Afrique moderne.

La deuxième orientation de ces contributions établit une jonction entre l’Histoire et les mythes ans leur interaction. Les articles retenus en proposent un exemple, le mythe de Caraweelo, traité d’un point de vue historique et littéraire. Caroweelo est, dans la culture somali, un de ces personnages dont il est difficile de distinguer la part du mythe et celle du réel. Pour Abdirachid Mohamed Ismaël, ce personnage féminin est si présent dans la culture et la conscience collective du peuple somali qu’il semble peu vraisemblable de n’être qu’un produit de l’imagination populaire. L’auteur présente des arguments historiques, ainsi qu’un certain nombre d’éléments d’ordre anthropologique et linguistique  qui  permettent de placer Caroweelo dans une perspective historique, ou pour le moins, de sortir ce personnage de la fantasmagorie nébuleuse dans lequel il a été enfermé pendant des générations. Hibo Moumin, quant à elle,  prend le versant opposé, celui du traitement littéraire de ce personnage. S’apuyant sur les théories de la mythocritique, elle s’interroge sur les différentes formes ou fonctions de réécriture de ce mythe fondateur de la ville de Djibouti, en partant des textes d’Abdourahman A. Waberi, d’Ali Moussa Iye et enfin d’Omar Ali Youssouf.

L’article de Djama Saïd Ared qui clôt ce numéro n’est pas sans rapport  avec les mythes dans la société djiboutienne. Aussi, lorsqu’il analyse le statut de la femme en littérature et qu’il s’appuie, comme Hibo Moumin, sur les textes de Waberi, notamment, il prend bien en compte les représentations  héritées de la conscience collective, ou mieux : de l’inconscient collectif dont relèvent les mythes en cours dans les diverses communautés qui constituent finalement la société djiboutienne actuelle.