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Trafics d'influences : nouvelles approches d'une question comparatiste (Nanterre)

Trafics d'influences : nouvelles approches d'une question comparatiste (Nanterre)

Publié le par Marc Escola (Source : Université paris Ouest Nanterre La défense)

Appel à communication pour une journée d'étude

26 mai 2016, Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Trafics d'influences : nouvelles approches d'une question comparatiste

 

Cette journée d'étude est organisée par le Collectif LIPOthétique de l'Université Paris 10.

La parution récente de la traduction en français du classique américain d’Harold Bloom sous le titre L’Angoisse de l’influence (2013), celle du dernier livre de la philosophe Judith Schlanger Le neuf, le différent, le déjà-là, sous-titré « une exploration de l’influence » (2014), témoignent de la vivacité contemporaine et de la pérennité d’une notion épistémologique que d’aucuns jugeaient périmée à l’aube du XXIe siècle.

A l’aube du siècle précédent, 29 mars 1900 à Bruxelles, André Gide se livrait à une apologie provocante de « toutes » les influences, excédant les limites de son sujet, à savoir la littérature. Parti des « plus vagues, [des] plus naturelles » (les astres, le milieu, le climat, la nourriture et les saisons), pour arriver lentement vers les influences produites par les hommes, les livres, les auteurs sur d’autres hommes, livres ou auteurs, l’écrivain français se pose en digne héritier d’une conception goethéenne de la littérature-monde. Il parvient ainsi à fait ternir au sein d’une seule notion toute la diversité des phénomènes qui participent, de près ou de loin, à la genèse d’une œuvre, d’un individu.

Reconnaissons que, si le mot d’influence peut aujourd'hui faire sourire un public de post-structuralistes avertis, il n'a jamais fait l'objet d'un explicite aggiornamento en littérature comparée L’étude des influences semble nous ramener au paradigme positiviste, celui des temps où les pères fondateurs de la discipline, Paul van Tieghem et Fernand Baldensperger entre autres, prônaient la mise en lumière des fameux « faits comparatistes », définis par Pierre Brunel  comme l’affleurement textuel d’éléments étrangers. Avec l’essor de la nouvelle critique, ce cadre fut pointé du doigt comme symptomatique d'une historicisation à outrance du texte littéraire. Afin de se débarrasser de tout soupçon moderniste, la littérature comparée  devait se détourner de ce qui fut son origine épistémologique. L'on ne pouvait décemment pas entrer dans les post- (ceux du structuralisme, comme du modernisme) avec une telle notion comme figure de proue.

A l’aune d’une décennie ayant pensé l’influence principalement sous l’angle de la défiance à l’égard des modèles dominants - que seraient l’européanocentrisme ou l’hétéronormativité - et après la mort annoncée de la discipline (G. Spivak), pourquoi repenser les « faits comparatistes » aujourd'hui ? Comment faire de la réactualisation de l’influence l’occasion d’un renouveau épistémique de notre discipline ?

Ce que nous envisageons dans le cadre de cette journée consiste à problématiser un spectre de relations, qui hante toujours le champ des études littéraires, telle une forme d'économie parallèle du texte, que lecteurs et auteurs doivent sans cesse négocier.

Deux axes nous semblent pertinents pour saisir ce concept. D’un côté, une inscription horizontale de l’influence dans les textes, jouant sur les principes d’inspiration réciproque ou rétrospective. De l’autre, une émanation verticale se traduisant par des rapports de savoir et de pouvoir dans le champ littéraire mondial.

L'influence, serpent de mer des théories de l'intertextualité

Texte(s) sous influence(s)

Le terme d’intertextualité a été forgé par Julia Kristeva dans le cadre du séminaire de Barthes en 1966; il s’agissait alors de rendre compte des travaux de Mickaïl Bakhtine: « Tout texte, écrit-elle, se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. » Mais la notion d’intertextualité désignait alors le dialogue des textes au sens large: entre le dialogisme de Mikhaïl Bakhtine et la perspective anachronique développée par Michel Riffaterre, ce qui est « intertexte » a pu relever d’un champ extrêmement élargi de phénomènes et de pratiques. Et si pour nous, comme l’écrit Barthes en 1974, « Tout texte est un intertexte », alors interroger le sémantisme de ce dernier revient à poser la question de notre propre rapport à ce qui fait texte. Dans cette perspective, on pourra examiner la plasticité de cette notion, en la questionnant au travers du prisme de l’ « influence ».

Postures d’auteur

Le renouveau actuel de l’histoire littéraire nous invite à reconsidérer la figure de l’auteur et l’importance de son parcours biographique, à tenir compte notamment des manières variées qu’a la mémoire individuelle de se rapporter à la mémoire littéraire collective dans l’espace de la république mondiale des lettres. Les connotations personnalistes qui affectent la notion d’influence sous la plume de Gide et qui la rapprochent de celle de « modèle » suggèrent également que les influences s’éprouvent avant tout dans la vie des écrivains. Elles participeraient dès lors d’un répertoire de « formes stylistiques » (Marielle Macé) ou de « postures d’auteur » (Jérôme Meizoz) réappropriables par les écrivains en deçà et au delà de leurs productions textuelles. Goethe et Dostoïevski, par exemple, ne constituent-ils pas pour André Gide des « fantasmes d’écrivain » avant de venir nourrir l’intertexte des œuvres publiées, s’apparentant ainsi à ce que Gide a lui-même pu représenter pour Roland Barthes ? C’est à cette épaisseur existentielle de l’influence que nous voudrions faire une place en la confrontant à une diversité de contextes nationaux et aux nouveaux outils épistémologiques de la discipline comparée.

Epistémè comparatiste

Dans une perspective épistémologique voire sémiotique, on pourra s’interroger sur les mots/notions qui ont remplacé progressivement le terme d’ « influence », si courant dans les intitulés de thèses en littérature comparée dans la première moitié du XXe siècle. Quelles nuances une notion comme celle de « transfert culturel » apporte-t-elle à la méthodologie de la discipline ? Ne sont-ils que des synonymes qui continuent de dire ce que la notion d’influence recouvrait déjà ou mettent-ils au jour la complexité socio-historique des phénomènes ?

Le texte-trafiquant : influence, domination, contagion

Mise au jour des mécanismes de domination ?

La mise en réseau des textes ne doit pas faire oublier les rapports de force et de domination, qui structurent les contacts entre littératures et cultures. En ce sens, on pourra voir en quoi la notion d’influence peut se révéler opérante pour modéliser les jeux de pouvoir discursifs à l’œuvre dans toute production littéraire.

Pragmatique de la littérature : le lecteur sous influence?

On pourra s’intéresser aussi aux théories de l’influence du littéraire sur le social, aussi bien de sa contamination suivant le modèle du cas Werther, que de son aspect potentiellement pernicieux engageant en réaction un rôle conservateur de la littérature.

Approches cognitivistes du texte

La croisade lancée par Christian Salmon contre le « storytelling » à l’ère néolibérale  amène aujourd’hui la critique littéraire à reconsidérer les pouvoirs manipulateurs du texte. De la rhétorique aristotélicienne aux stratégies du néo-management contemporain, on pourra interroger le pouvoir d’influence du texte littéraire sur le lecteur au regard des dernières découvertes faites en sciences cognitives.

 

Les propositions de communication (300 mots maximum) sont à renvoyer avant le 31 janvier à l’adresse suivante : lipothetique@gmail.com

Une réponse sera donnée fin février. Une publication des communications de la journée est envisagée.

Organisateurs de la journée : Sébastien Wit, Nicolas Aude, Amandine Lebarbier, Pierre Boizette, Manon Amandio, Émile Rat, Julie Brugier, Raisa França Baistos.

 

Bibliographie

 

BAYARD, Pierre, Le Plagiat par anticipation, Paris, éditions de Minuit, 2008

BLOOM, Harold, L’Angoisse de l’influence (1973), traduit de l’anglais Maxime Shelledy et Souad Degachi, Paris, Aux forges de Vulcain, 2013

CLAYTON, Jay et ROTHSTEIN, Eric (éd.), Influence and Intertextuality, The University of Wisconsin Press, 1991

ESPAGNE, Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, Presses universitaires de France, 1999

GIDE, André, De l’influence en littérature, Allia, Paris, 2010

HADDAD, Karen, et FERRE, Vincent, Proust, l’étranger. Des cercles de l’Enfer aux eaux du  Bosphore, Rodopi, C.R.I.N, 2010

MACE, Marielle, Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, 2011

MEIZOZ, Jérôme, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine érudition, 2007

MUDIMBE, Valentin Yves, L’Odeur du Père. Essai sur des limites de la science et de la vie en Afrique noire, Paris : Présence Africaine, 1982

SAÏD, Edward, Culture and Imperialism, New-York : Vintage Books, 1993

SAINT-GELAIS, Richard. Fictions transfuges, la transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Le Seuil, 2011

SALMON, Christian, Storytelling. La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007

SAMOYAULT, Tiphaine, L'intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2012

SCHLANGER, Judith, Le neuf, le différent et le déjà-là. Une exploration de l’influence, Paris, éd. Hermann, 2014.