Web littéraire
Actualités
Th. Groensteen, Bande dessinée : article

Th. Groensteen, Bande dessinée : article "Avant-garde"

Publié le par Nicolas Geneix

Thierry Groensteen, Bande dessinée : article "Avant-garde"

Article paru sur le site "du9.org", mars 2016.

"La bande dessinée n’a pas épousé le mouvement des avant-gardes dont la succession a écrit l’histoire du modernisme en art. On ne trouvera pas d’équivalent au futurisme, au constructivisme, au suprématisme, au dadaïsme dans les bandes dessinées qui paraissaient à l’époque où ces mouvements s’exprimaient sur la scène artistique. Rien d’étonnant à cela, puisque la bande dessinée, après avoir été, au XIXe siècle, une variante de la caricature, était devenue, pour l’essentiel, une littérature pour enfants (en Europe) et un divertissement de masse (aux États-Unis), en tout cas un phénomène complètement étranger au monde de l’art officiel, celui des salons, des musées, des galeries.

Pour un Gilbert Seldes qui vit en elle l’une des formes artistiques les plus vivantes et authentiques de l’entre-deux-guerres, les autres critiques, soit n’y prêtaient aucune attention, soit n’avaient pas de mots assez durs pour la vilipender. Le plus influent de cette période, Clement Greenberg, avait publié en 1939 un article retentissant intitulé Avant-garde and kitsch », dans lequel la bande dessinée, entre autres, était complètement discréditée. Selon Greenberg, l’avant-garde est un creuset historique destiné à sauvegarder la culture face au capitalisme, tandis que la culture de masse, elle, est par essence ennemie de l’innovation, qu’elle soit artistique ou sociale. Reprenant un terme allemand, Greenberg baptise kitsch cette culture de masse, produit de la révolution industrielle et de l’alphabétisation universelle. Il écrit : « Ersatz de culture, le kitsch [est] destiné à ceux qui, incapables d’apprécier les valeurs de la culture véritable, n’en avaient pas moins soif de divertissements... » Il recouvre « un art et une littérature commerciaux, populaires, avec des chromos, des couvertures de magazines, des illustrations, des images publicitaires, de la littérature facile, des bandes dessinées, de la musique de guinguette, de la danse à claquettes, du cinéma hollywoodien, etc., etc. » En un mot il est « l’exemple même de tout ce qui est frelaté dans notre époque. » (Les idées de Greenberg évolueront par la suite et il dira ensuite que ce qui menace l’avant-garde c’est, davantage que le kitsch, le goût de la bourgeoisie, favorable à l’académisme.) (...)"

Lire la suite