Actualité
Appels à contributions
Tableaux vivants et images animées (revue Écrans)

Tableaux vivants et images animées (revue Écrans)

Publié le par Marc Escola (Source : Olivier Leplatre)

« Tableaux vivants et images animées »

Revue Ecrans[1]

Anne-Cécile Guilbard-Olivier Leplatre

(Remise des manuscrits au 1er mars 2020)

 

« Nous entrons. Dans le fond un espace de lanterne magique : on baisse la lumière et alors nous assistons à des tableaux vivants extraordinaires » (Anatole France)

 

Le tableau vivant, conçu comme performance intermédiale[2], sera interrogé dans son transfert de la peinture aux espaces de représentation qu’investissent les images mobiles (celles du cinéma, de l’art vidéo, du jeu vidéo), en passant par la scène, où le tableau vivant naît au milieu du XVIIIe siècle et par la photographie, dont les mises en scènes commencent pratiquement dès son invention à imiter le théâtre.

Ce questionnement porte, en somme, sur les limites et la porosité des régimes représentatifs.

Proposition d’axes

1-Modalités d’insertion et de présence du tableau vivant dans le film

 On pourra étudier les mises en œuvre du tableau vivant, les rythmes et la plasticité de son échange avec l’image mobile, ses modes de présence et de co-présence (citation, allusion, contamination, dilution du tableau dans le déroulement de l’action, tableau enkysté…).

Seront distingués par exemple :

-les tableaux vivants à l’origine d’images qui les déploient en les rendant vraiment vivants, c’est-à-dire mouvants : toiles qui s’animent dans les premiers temps du cinéma (Méliès);

-les scènes immobiles qui se dynamisent (Andy Guérif, Maesta) ;

-les films entièrement imaginés d’après des tableaux (Peter Greenaway, La Ronde de nuit) ;

-les images mobiles qui se suspendent (définitivement, ponctuellement, transitoirement) en tableaux vivants (Ruiz, Godard…) ou les tableaux vivants qu’un film cherche à composer, que ces tableaux préexistent (Pasolini, La Ricotta d’après Pontormo et Rosso Fiorentino), qu’ils soient imités ou donnés comme des simulacres (Hitchcock, Fenêtre sur cour). Ces stases (on pensera à comparer le tableau vivant et l’arrêt sur image) peuvent être le point d’aboutissement du travail des images, l’image mobile tendant alors au tableau vivant dont le film aura déroulé le processus.

Déjà ambigu par principe en ce qu’il est une performance sur le fil entre art et vie, le tableau vivant amplifie son statut incertain (oxymorique) dès qu’il entre en contact avec l’image mobile : selon la nature de ce contact, l’accent sera mis sur la naturalisation ou l’artificialisation de l’image.

Existent encore tous les processus d’enchâssement (encadrement-décadrage) : en particulier, les tableaux insérés dans un film et qui deviennent vivants (Fritz Lang, La Femme au portrait).

Dans tous les cas, ont lieu des phénomènes d’intrusion, de passage, de circulation (Jean-François Laguionie, Le Tableau). Comme s’il s’agissait de prendre au pied de la lettre le désir manifesté par certaines images de déborder de leurs cadres (figures hors de leurs niches, faisant signe d’un hors champ…). Dans ce cas, comment l’image gère-t-elle le basculement d’une autre image, interne, qui tend à s’animer ? Attente de l’animation, spectacularité, désynchronisation de l’image… Dans quelle mesure la lumière, le son… contribuent-il à ces processus ?

Plus généralement, on envisagera ce qui, dans le tableau lui-même, favorise et même réclame la possibilité de son animation (déséquilibres au sein du tableau, esquisses de mouvement – voir les dépositions chez Pasolini…) ; de même, ce qui dans l’image mobile prépare ou impose son arrêt (observer les éléments de transit, de contiguïté : morphologie iconique de la métonymie).

La confrontation des régimes d’images va éventuellement jusqu’à une certaine violence : que l’action réelle déchire le tableau ou qu’inversement la réalité (ou sa représentation, selon quels degrés ?) tombe, se glace dans le tableau.

Le transit entre les strates de la représentation, les formes d’activité de l’image, module des métalepses qui brouillent les frontières entre la réalité et la fiction et entre les niveaux fictionnels eux-mêmes, articulés de manière plus ou moins fluide. Le tableau bascule dans la vie, la vie devient tableau avec de fortes différences d’approche : exploitation de la réserve vitale supposée en puissance en toute œuvre (« syndrome Pygmalion ») ; mise en valeur du devenir art de la vie voire superposition de l’art et de la vie (vivre dans une image, esthétiser la vie, concevoir la vie comme une œuvre). Autant de situations dans lesquelles la vie se souvient de l’art (fonction mémorative du tableau vivant) et l’art de la vie.

Le tableau vivant montre le résultat d’une image en même temps que sa production. Par ses effets de bougé, il dévoile l’action créatrice, il renvoie au temps de pose précédant la pause, elle-même ouverte à sa correction, son réajustement, sa répétition. La mise en relation avec l’image mobile permet d’insister sur la spécularité du tableau vivant et d’entrer davantage encore dans les coulisses de l’image, dans les arcanes de sa fabrique. Mais symétriquement, l’image mobile active ce que l’image a condensé, resserré dans son moment prégnant. Elle reprend, développe, force éventuellement le récit dont le tableau vivant aurait arrêté le flux (amplifications, interpolations, extrapolations…). Filmer le tableau vivant, c’est le raccorder à une histoire, déplier ce que cette histoire recèle, promet : un récit, fût-il minimal, quoique essentiel, comme le film de la vie vers la mort (Sam Taylor Wood).

2-Opérations phénoménales : vitesse et émotion

L’une des principales opérations qu’exerce l’image mobile sur le tableau vivant (ou inversement) a trait au mouvement (animation et/ou immobilisation plus ou moins marquée). Accomplissant le désir de mouvement de l’image fixe, elle contiendrait une charge de vitalité capable de se transformer en vitesse, en énergie. Rêvant, revenant à la fixité de son photogramme originel, la pellicule cinématographique trouve dans le tableau vivant une forme de suspension et d’étirement de sa saccade.

Encore ces actions de statufication et, en même temps, de dynamisation, qui donnent la sensation d’un réveil de l’image ou au contraire d’un endormissement, connaissent-elles de multiples variations et constantes de vitesse : ralentissement, coulée, catalepsie, accélération (Sam Taylor Wood : la vidéo révèle le flux du temps qui affecte les objets inanimés dans la nature morte en accélérant la durée ordinaire du temps)...

Ce travail sur le flux et les syncopes de l’image engage une expérience de l’espace (compartimentage, porosité, infusion des espaces ; l’image comme lieu ou milieu) et, corollairement, une expérience des temporalités. Ce qui est gagné ou perdu, selon le point de vue : la durée ou l’éternité. Mais la question se pose aussi de l’instant, de la coupe d’un instant privilégié (du film au tableau vivant) ou de la productivité et de la dissémination d’un instant performé.

Le tableau vivant est un art de l’incarnation problématique : elle est animation naturelle d’un artifice, mise au point (optique) d’un simulacre que mime un corps. Le langage performatif du corps se fond dans celui de l’art selon une théâtralité variable. Il comporte en lui-même une tension puisque, sur scène, les tableaux vivants n’ont jamais été réellement figés. Qu’en est-il de la photographie dans son rapport à ce figement tremblé sinon un redoublement, ridicule selon Baudelaire, car le tableau vivant trahissait doublement, l’histoire dans la scène représentée et l’art sublime du comédien dans l’effort de représentation. Les mises en scènes photographiques contemporaines, de Jeff Wall à Erwin Olaf en passant par Gregory Crewdson, ont, elles, pour modèles les compositions et les lumières de la peinture, du cinéma ou de la télévision, Dans ces dernières allusions à la narration filmique, les images fixes se présentent comme tableaux vivants saisis dans un film jamais réalisé mais dont la photographie simule à la fois l’indice, l’extrait et la synthèse. L’image mobile à l’inverse se saisira du frémissement et l’approfondira, la déploiera. Pasolini, dans La Ricotta, s’amuse à aggraver ce mouvement (ce risque du mouvement) en indiscipline, en anarchie.

Le tableau vivant intensifie l’émotion du geste, geste en attente dont l’image mobile serait l’explication. A l’arrêt rhétorique du geste (idéal du beau geste, sublime, juste, le numen du tableau historique que décrivait Barthes), au sentiment de son caractère posé (actio), elle associerait ou opposerait une certaine fluidité pathique (Bill Viola). A rebours, l’image figée surinvestirait, en le fétichisant, le geste pris dans son continuum (geste/gestus) ; exposition susceptible de faire supporter au corps un fort investissement érotique et une puissance de symptôme. Est-ce ce à quoi le film qui suspend la pose ou s’attarde sur une œuvre de peinture voudrait parvenir ?

3-Effets d’énonciation/de réception

L’apparition, la mise en forme, la déclinaison de tableaux vivants impliquent d’associer l’image créée à des images déjà créées et reconnues (ou à reconnaître : le spectateur peut être entraîné dans un jeu de piste, une énigme du tableau à identifier, au moyen d’indices). Mais on parlera plus globalement d’effet de tableau vivant pour des images qui, sans repère intericonique identifiable, relèvent d’un « faire tableau » (B. Vouilloux[3]). L’inclusion ou la fabrication de tableaux vivants dans/par des images mobiles peut dès lors être contradictoirement interprétée comme un hommage ou une transgression :

- référence-révérence à la peinture : la présence du tableau vivant participe d’un art de mémoire, elle permet d’esthétiser des images en quête de légitimité, elle affiche, impose la vertu artistique de l’image mobile, atteste qu’il existerait un fond de peinture en toute image ; elle participe aussi d’un jeu, sous la forme d’un défi d’art ;

-déconstruction, destruction de la peinture (idéal encombrant voire bourgeois, dénoncé pour son artificialité et son illusion) ; émancipation (mise en scène du meurtre symbolique de la peinture).

Symétriquement, le spectateur est invité à s’émerveiller des possibilités de l’art : sidération de l’arrêt de la vie en tableau (point sublime de l’existence), séduction de la magie de l’image mobile (le tableau vivant s’offrant comme scène originelle de la merveille : l’instant où l’image que l’on a crue immobile s’anime, on ne sait comment).

La suspension de l’image est un temps d’épreuve (elle fait éprouver toute la densité d’une image ; le tableau vivant est alors perçu comme une image cristallisée) mais également un temps de pensée (le tableau vivant se fait image pensive ou image à penser dont la vérité dépend d’une distanciation : il y aurait une force critique du tableau vivant comme le pense Brecht). Mais elle peut être également ressentie comme une mascarade, une création purement factice et potentiellement ridicule ou bien ironique : la séduction de la théâtralité (une théâtralité sans théâtralité, qui rejoint la beauté du naturel : Diderot) dégénérant en adhésion perturbée, en refus du surjeu, en dénonciation critique.

Les propositions sont à envoyer au plus tard au 15 octobre, sous la forme d’un titre (même provisoire) et d’un résumé, à l’adresse suivante :

olivierleplatre@hotmail.com

 

 

[1] https://classiques-garnier.com/ecrans.html

[2] Le Tableau vivant ou l’image performée, sous la direction de Julie Ramos, Paris, Mare et Martin, « Institut de national d’histoire de l’art », 2014.

[3] B. Vouilloux, Le Tableau vivant. Phryné, l’orateur et le peintre, Paris, Flammarion, « Idées et recherches », 2002.