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Bruits et chuchotements (revue Socio-anthropologie, n° 41)

Bruits et chuchotements (revue Socio-anthropologie, n° 41)

Publié le par Marc Escola (Source : Éditions de la Sorbonne)

Socio-anthropologie, Éditions de la Sorbonne, 2018.

Numéro coordonné par

Christophe Granger (historien au Centre d’histoire sociale du xxe siècle – CNRS/université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

et Anne Monjaret (ethnologue à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain – CNRS/EHESS)

 

 

L’univers des pratiques sonores est aujourd’hui au centre de l’un des plus vifs renouvellements des sciences sociales. Non seulement s’ébauche un domaine académique tout entier consacré aux sound studies, mais la plupart des disciplines s’efforcent, avec des outils analytiques souvent distincts, de mêler à leurs questionnements les bruits, les sons, le silence et les manières changeantes de les écouter ou d’en faire usage.

Le présent appel, ouvert aux différentes sciences sociales et aux différentes aires géographiques, s’inscrit dans ce renouvellement et tout à la fois voudrait en décaler l’objet. Le bruit des villes, la patiente recomposition des « paysages sonores », ou encore la dimension auriculaire des formes de communication ont fait l’objet déjà de nombreux travaux (notamment pour les plus récents : Péqueux, 2012 ; Robert Beck et al. 2013 ; Terrain, no 68 ; Politiques de communication, no 1 ; ou encore ceux développés par l’équipe grenobloise du CRESSON).

Il s’agira ici de se concentrer sur les bruits de l’intimité. Que sait-on, par exemple, des usages du silence dans les pratiques familières de la maisonnée ou dans les modalités du recueillement, du « parler bas » dans les rapports sociaux de travail, du chuchotement qui organise l’entre-soi du ragot ou de la médisance, ou encore du recours au gémissement dans l’acte amoureux ? Que peut-on savoir de la façon dont s’organisent, en privé, différemment selon les temps, les cultures et les classes, cette sorte d’« art de faire » fait de détournement et d’accommodement qu’a commandé la longue disqualification sociale des bruits du corps (roter, péter, siffler, etc.) ? De même, comment se formalisent les mémoires de ces sonorités de l’ordinaire, par exemple celles de notre enfance ou de notre jeunesse, etc. ? Comment nous accompagnent-elles dans notre vie du présent ? Et où trouver, plus encore, les moyens de produire un savoir assuré sur cette multitude de choses sonores ? Comment jouer sur des registres sonores communément appréhender ?

En ne voulant considérer ici que l’ordinaire des bruits humains qui peuplent le quotidien, du bruissement d’une robe à la cadence des pas pressés sur la chaussée, et ceux du corps pour commencer, des cris aux larmes, qui n’ont rien d’une évidence de nature, ce numéro n’entend pas seulement proposer un changement d’échelle : il veut comprendre les enjeux sociaux qui se réalisent dans tous ces bruits et chuchotements et qui, tout à la fois, prennent vie à partir d’eux. L’ordre ordinaire du sonore, si irréductiblement intimes qu’en paraissent les manifestations, si éloigné qu’il semble de la geste des grands rites collectifs, n’échappe pas au travail des institutions sociales.

Le fait de crier ou de babiller, de bâiller ou de rire, le fredonnement ou le murmure, les manières de restituer par les mots ces sons dans la littérature, l’art de filmer les bruits et les silences – par exemple ceux de la vie monastique pour rendre au mieux une atmosphère –, l’art de bruiter les échanges sociaux au théâtre, au cinéma ou dans la bande dessinée, l’art de composer des morceaux de musique à partir des bruits de couloir dans un hôpital ou de ceux des machines en usine comme peut le faire Nicolas Frize, sont autant de contextes qui nous intéressent ici.

Toutes ces conduites sonores, toujours porteuses de ruses, de transgressions et d’appropriations qu’il faut aussi prendre pour objet, reposent sur la production, le partage et la maîtrise pratique de règles qui s’ignorent en tant que règles. On ne gémit pas parce qu’on éprouve du plaisir, mais parce que c’est ce qui se fait en pareille circonstance ; et en retour ces pratiques sonores de l’ordinaire contribuent au façonnement du monde qui les rend légitimes et signifiantes : elles participent à la spécialisation de temps et d’espaces dévolus à certaines activités (dormir, lire, prier, etc.), elles contribuent à instituer les cadres élémentaires d’une intimité ou d’un échange social dont elles peuvent être la condition première. Sortir de ces cadres normés peut provoquer un désordre – on pense aux conflits de voisinage dus à tous ces bruits qui agacent : meubles déplacés, pas trop insistants, voix d’une dispute, ébats amoureux, etc.

Poser le problème du sonore sous cette forme revient, en d’autres termes, à vouloir prendre au sérieux non pas seulement les raisons d’être du bruit en société, mais les mécanismes historiques, sociaux et politiques suivant lesquels le sonore devient à la fois une ressource « pratique » pour les acteurs et un mode de production « sensible » de la société où ils sont pris. Parce qu’elle suppose de réfléchir à la production de « sources » appropriées et de façons de leur donner la parole, l’exploration ainsi conçue se double d’une mise à l’épreuve des démarches analytiques, qu’il s’agisse d’enquête ethnographique ou d’élucidation généalogique.

Dans la mesure où ce sont ces enjeux, à la fois vastes et resserrés, qui structureront le numéro, il est résolument ouvert aux spécialistes d’histoire, de sociologie, d’anthropologie, d’ethnologie et de science politique.

Nous attendons donc des propositions qui s’emparent des termes de cet appel et permettent ainsi d’entamer cette réflexion collectivement.

Modalités de soumission

Une intention argumentée d’environ 5 000 signes est attendue pour fin janvier 2019. Elle précisera l’objet et le questionnement de recherche, les données et la méthodologie mobilisées, comme les enseignements tirés, afin de faciliter le travail d’arbitrage.

Elle doit être adressée aux deux coordinateurs du numéro : granger.chris [at] dbmail.com ; anne.monjaret [at] ehess.fr

La notification des propositions pré-sélectionnées sera donnée aux auteurs mi mars. La remise des textes rédigés (entre 25 000 et 35 000 signes) est fixée au 30 mai 2019.

La parution du numéro 41 « Bruits et chuchotements » aura lieu en mai 2020.