Actualité
Appels à contributions
Serial tourists. Loisirs, tourismes et touristes (Lille)

Serial tourists. Loisirs, tourismes et touristes (Lille)

Publié le par Marc Escola (Source : Matthieu Freyheit)

Serial tourists

Loisirs, tourismes et touristes

Colloque international

Université Charles de Gaulle Lille 3

2 et 3 novembre 2018

Laboratoire CECILLE (Centre d’Études en Civilisations, Langues et Lettres Étrangères – E.A. 4074)

 

« À condition de se poster aux bons endroits, suggérait Jonathan Swift, adepte des modestes (et cyniques) propositions, le touriste est plus facile à exterminer que la vipère. » Si le mot est fort, il convient de relever qu’il n’est pas simple aujourd’hui de trouver au sujet du touriste une assertion qui ne sonne ni comme une condamnation, ni comme une sentence. Aurions-nous quelque chose à dire au (et du) touriste que nous sommes ?

Défini par le groupe MIT comme un projet ayant pour but la récréation, le tourisme articule les espaces et les pratiques, et constitue en ce sens un objet d’investigation (et de fictionnalisation) particulièrement riche. Si le tourisme contemporain est souvent perçu comme un tourisme de masse, il convient cependant de rappeler que son émergence aux XVIe et XVIIe siècles coïncide avec la naissance de ce que l’on pourrait nommer « le regard savant » qui associe perception et savoir ; les élites européennes qui entreprennent au XVIIIe siècle leur « Grand Tour » contribuent ainsi à leur façon à une sorte d’inventaire méthodique de la Création (Adler : 1989). 

Avec la naissance de la culture de masse au XIXe siècle, rendu possible par le quadrillage du chemin de fer, le tourisme s’associe à la consommation, celle de la société du loisir théorisée aux États-Unis par Veblen en 1899. Le tourisme invente un regard spécifique (Urry : 1990) ; y a-t-il une attention touristique, comme il y a une « attention esthétique » (Citton : 2014) ? Découverte d’une altérité domestiquée, le tourisme peut aussi, inversement, cimenter une appartenance ou fonder une identité nationale par la contemplation simultanée, et socialement approuvée, d’un même objet. On pense aux chutes du Niagara, monument de la nature, qui offrent explicitement une réponse américaine à l’hégémonie culturelle européenne des monuments historiques. De manière particulièrement symptomatique, les expositions universelles, dont « l’accouplement avec les industries de plaisance est significatif », selon Walter Benjamin, témoignent d’un rapport « muséologique » au monde. Les merveilles technologiques et architecturales sont expérimentées à la fois ici et maintenant mais aussi sous forme de représentations de l’exotique et du lointain, sur un mode qui chevauche la perception informée et consciente d’un simulacre et l’expérience d’une immédiateté.

En tant que mobilité qui s’inscrit dans le loisir, lui-même défini par opposition au travail et à la production, le tourisme s’apparente à un espace liminal qui active des modes complexes de représentation qui se superposent parfois, comme dans le tourisme littéraire ou le tourisme d’écran (screen tourism). Dès le XIVe siècle, les admirateurs de Pétrarque se rendent en Provence à la recherche de « Laura », guidés par des cartes indiquant les lieux référencés par les poèmes (Hendrix : 2009) ; la même raison pousse les lecteurs de Bram Stocker à devenir les clients de tour-opérateurs proposant un circuit en Transylvanie : sous couvert de changer de lieu, le touriste tente de passer dans un autre univers ontologique. En cela, la démarche se rapproche possiblement de celle du visiteur d’un parc à thème. C’est pourquoi les pratiques touristiques (la « découverte », les « expériences ») peuvent être étudiées à travers le prisme de la performance (Edensor : 2001) et non seulement de l’éducation à la bonne manière de recevoir l’héritage culturel (Chambre avec vue) ou de profiter des attractions. Les touristes inventent constamment eux-mêmes de nouvelles pratiques, ce qui rapproche le touriste du fan dans un contexte de convergence entre culture de masse et tourisme à grande échelle (les lieux de tournage devenant des lieux de pèlerinage culturel – ainsi de certains paysages du Lord of the Rings adapté au cinéma par Peter Jackson).

Parfois décrié comme touristification ou disneyfication, ce mouvement vers l’esthétisation du monde (Lipovetsky : 2013) a pour reflet inversé la sédentarisation des lieux touristiques, notamment les stations balnéaires devenues avec le temps des villes comme les autres (Urry : 1994), ou les villes résidentielles conçues sur le modèle d’un parc à thème, comme Celebration en Floride, destinée à l’origine aux employés de Disneyworld et qui en reprend le code architectural. On remarque par ailleurs que les enclaves touristiques comme Cancun au Mexique, ridiculisée sous le nom de « Gringolandia », influencent les modes de consommation locaux (rituel du repas chez McDonald’s pour les familles).

Cette porosité entre le quotidien et le loisir, censé pourtant incarner la rupture d’avec la routine du travail, problématise la corrélation entre l’identité et le lieu ; elle s’établit désormais au pluriel et sur le mode hypothétique. La métaphore de Zygmunt Bauman, qui montre le touriste prendre la place du pèlerin à notre époque (Bauman: 1998), est devenue littérale ; nous serions désormais des consommateurs sans foi ni loi, et l’espace lui-même n’échappe pas à notre désir capricieux. Le touriste s’impose comme la version radicale et stylisée du consommateur.

Le « tournant récréationnel » (Stock : 2007) correspond à la prise de conscience du monde académique de l’importance du loisir pour rendre compte de la marchandisation, de la globalisation, et plus généralement du fonctionnement de la société contemporaine. Notre monde est un monde de touristes. Celui-ci se dit non seulement dans une circulation des hommes, mais dans un circuit des images, car « les touristes transforment en images un monde lui-même envahi par les images » (Marc Augé: 1997). Les nouvelles technologies, les réseaux sociaux tout particulièrement, contribuent en grande partie au sentiment de singularité qui accompagne l’expérience touristique (Buhalis et Law: 2008), et on peut se demander si elles font désormais partie intégrante de l’ « authenticité » de l’expérience touristique. Condition à remplir pour ne pas s’assimiler à « l’idiot du voyage » (Urbain : 2002), l’ « expérience »  floute la ligne de partage entre le noble voyageur et l’ignoble touriste : il ne s’agit plus tant de vendre au touriste une destination ou une attraction qu’une image satisfaisante de lui-même, un récit dans lequel se glisser pour échapper à « l’horreur touristique » (Collectif Offensive : 2010).  L’industrie du loisir n’échappe pas, à ce titre, au mouvement du « tournant narratif », usant du storytelling comme d’une arme de réenchantement de la récréation dont il faudrait reconstituer la portée symbolique pour effacer ce que le tourisme produirait d’ « usure du monde » (Christin: 2014). Il convient à ce titre de s’interroger également sur le devenir fictionnel du touriste et sur la façon dont il s’intègre au récit comme personnage à part entière ou comme figure repoussoir mettant en valeur les bonnes compétences à acquérir en termes d’évasion et de mobilité. À quoi reconnaît-on un touriste, et quelles sont les stratégies à observer pour ne pas être reconnu comme tel ? Le touriste fait-il nécessairement l’objet d’une caricature, révélateur de notre « empire du kitsch » (Arrault : 2010), ou existe-t-il encore une neutralité dans la représentation du touriste ?

Voici la liste, non exhaustive, des pistes pouvant être explorées :

— Quel est le lien entre loisir, fiction, et expérience ? Parcs à thème et fiction : va et vient entre parcs à thème qui incarnent un univers diégétique et qui deviennent à leur tour l’objet de la fiction (Jurassic Park, Westland, Le Park…) ; tours littéraires et maisons d’écrivains ; tourisme d’écran ;

— Quel est le statut de l’espace dans l’expérience touristique ? Lieux conçus, héritage culturel, patrimoine, défamilarisation et appropriation. Quel partage des lieux ?  Rapports entre usagers et employés, touristes et locaux, oppositions et influences ;

— Quelles nouvelles pratiques et quels nouveaux tourismes ? Tourisme culturel, tourisme littéraire, tourisme et cultures fans, dark tourism, abandoned tourism, screen tourism, tourisme gatronomique, tourisme minier, tourisme industriel, narco-tourisme, tourisme sexuel, tourisme communautaire (homosexuel par exemple), etc. ;

— Loisirs et communication, usages et médias sociaux, publicité touristique, stratégies marketing de l’industrie du loisir ;

— Tourisme et retour du corps : promenade, marche, treck, tourisme des sensations ; etc. ;

— Tourisme et socialisation, loisir et rituel, folklorisation du monde ;

— Représentations du touriste et du tourisme dans la fiction, qu’elle soit littéraire, cinématographique, télévisuelle, ou tout autre support.

 

Modalités de soumission : La manifestation se veut interdisciplinaire. Les propositions, d’une quinzaine de lignes environ et suivies de quelques lignes de présentation de l’auteur-e, sont à envoyer pour le 15 juillet 2018 aux trois adresses suivantes :

isabelle.boof@free.fr

antrodriguez52@gmail.com

matthieu.freyheit@gmail.com