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Revue Alkemie, n° 15 : Éros

Revue Alkemie, n° 15 : Éros

Publié le par Marc Escola (Source : Aurélien Demars)

Éros

Appel à contribution pour le numéro 15 d’Alkemie

revue de littérature et de philosophie

 

Ni agapé (charité), ni philia (amitié), ni storgê (affection familiale) : mais éros. De toutes les composantes de l’amour, l’éros se distingue paradoxalement par sa sphère plus individuelle et intime, voire égotique, centrée sur le sujet, sphère où l’autre ne fait plus qu’un avec soi, et qui devient parfois même égoïste.

Mais ce n’est pas la seule ambiguïté ni propriété de l’éros. Il se caractérise également par son langage. La langue d’éros se veut séductrice (à l’exemple de Casanova, amoureux sincère de toutes les femmes, il use d’un discours pour les en convaincre), tentatrice (à l’exemple de Don Juan, amoureux de l’amour, il cherche à posséder les femmes et il use d’un discours pour les tromper), jouissive (à l’exemple de Sade, qui se délecte avec et dans les mots d’une jouissance certes par procuration mais qu’il peut raffiner et mettre en scène à l’envie). Là où éros est considéré comme passion, comme délire d’amour, comme folie… sa langue trahit un art méticuleux, une rhétorique, un calcul, une stratégie… C’est notamment ce qu’illustre Les Liaisons dangereuses de Laclos. Loin d’être pacifique ou irrationnel, d’une part l’éros implique intrinsèquement une tension, un combat, à l’instar de ce que déclarent aussi bien la cosmogonie d’Empédocle (l’amour alterne avec la haine) que la psychanalyse freudienne (Éros, pulsion de vie, fait face à Thanatos, pulsion de mort), et, d’autre part, l’art d’aimer implique un exercice de la raison, avec ses techniques, ses stratagèmes, sa logique. L’art de l’éros ne rend pas forcément aveugle, mais éveille les sens, attire l’attention, excite la connaissance… Éros et logos se conjuguent donc ensemble. On peut alors se demander si l’éros témoigne toujours de la duplicité et de l’antique tension entre l’apollinien et le dionysiaque, mis en lumière par Nietzsche, ou si l’un n’est pas le visage masqué de l’autre.

Toutefois, si l’éros stimule et implique une connaissance, toute connaissance est-elle érotique ? Du reste, la curiositas ou la libido sciendi ne constituent-elles pas le premier mobile – passionnel avant d’être rationnel – de la connaissance ? Le plaisir serait-il le premier mouvement de la pensée et de l’être ? La satisfaction du goût ou la curiosité sont-elles des défauts ou des qualités ? Ces différentes interrogations qui opposaient en leur temps Épicure à Cicéron, Augustin ou Thomas d’Aquin à Montaigne ou à Bacon, Pascal ou Bossuet à Hume ou à Diderot, taraudent autrement nos contemporains. Ainsi que l’a noté avec justesse Clément Rosset à propos de Cioran, dans son « Post-scriptum » à La Force majeure, « De toutes les contradictions dont ait à connaître la philosophie, celle que pose ici Cioran est sans doute la plus grave et la plus sérieuse : y a-t-il une alliance possible entre la lucidité et la joie ? » Question cruciale et complexe à laquelle Cioran répond négativement. Alors que Pascal Quignard estime fondamentalement que « La lucidité est l’état joyeux du cerveau humain » dans le récent Mourir de penser (neuvième volume de Dernier royaume).

Les mots modernes de l’éros ne se contentent plus de chanter les joutes entre amants et leurs états d’âme, et, une fois revenu de l’idéalisme du romantisme de l’amour (on connaît les affres de Kierkegaard et d’Amiel), la fin du XIXe et le début du XXe siècles sont marqués par la multiplication des philosophies désillusionnées de l’amour (Schopenhauer, Simmel, Weininger, Klages, Ortega y Gasset…). Avec la psychanalyse et l’anthropologie philosophique, en particulier de Foucault, l’analyse des fonctionnements du désir, de ses dispositifs et de sa normativité ne réduit-elle pas désormais l’éros à une structure ou à un mécanisme social et psychologique ?

Depuis la Renaissance, une tentative humaniste ne cesse pourtant de renouer avec Le Banquet de Platon, l’art antique d’aimer et sa science de la beauté qu’il s’agit de savoir voir, savourer, comprendre. L’éros véhicule une philosophie du corps, une esthétique des formes, mais il mobilise également une poétique de la beauté de l’être aimé, au-delà même de sa joliesse : son charme, son aura, son irrésistible attraction. D’ailleurs, mutatis mutandis, sur le plan sociologique de l’amour intellectuel, le principe wébérien du charisme ne participe-t-il pas d’une quasi érotique politique ? Quoi qu’il en soit, les fantasmes exprimés par la littérature érotique procèdent d’une fantasia poiétique, créatrice de soi. Il faut alors distinguer l’éros de la libido, cette énergie génitale où s’accomplit physiquement l’éros. Dans l’expérience érotique, le sujet se veut en même temps qu’il désire, il s’extériorise en l’autre pour jouir d’une plénitude non pas seulement sensorielle mais sensuelle et émotionnelle. L’éros est également porteur d’une ontologie de l’individu, quitte à transgresser les règles morales, les conventions sociales et les normes politiques. Le combat de l’art d’aimer est donc aussi un principe de liberté et de choix du singulier, en même temps qu’une ontologie, qui engage et qui crée l’être – et qui l’interroge. À ce titre, Georges Bataille souligne dès la première page du premier chapitre de L’Érotisme : « L’érotisme est dans la conscience de l’homme ce qui met en lui l’être en question ».

La fécondité de l’éros empêche de voir en lui, comme jadis, un simple défaut, c’est-à-dire un vice et un manque. L’éros s’avère une puissance existentielle et métaphysique, qui se trouve à l’origine des êtres auxquels elle donne naissance, sur un mode sexuel, esthétique, philosophique ou divin comme l’illustrent la biologie, la création artistique, la maïeutique socratique, l’extase des mystiques... C’est qu’il existe même une érotique divine. L’éros possède primitivement une nature sacrée : il désigne originellement la divinité primordiale grecque de l’amour, qui n’engendre pas par elle-même, mais permet au Chaos et à Gaia d’enfanter. De même, dans la religion hindoue, Kâma, dieu de l’érotisme, est une divinité primordiale, qui s’est engendrée d’elle-même. Selon Alain Daniélou (Mythes et dieux de l’Inde), Kâma est un dieu du mental, distinct du Désir et qu’il prend pour femme (Ratî). Il est remarquable que, sous une forme ou sous une autre, la sacralité de l’érotisme qui s’engendre de lui-même et qui féconde et sublime le désir physique, semble une conception universellement répandue. Mais peut-être seul le christianisme a-t-il frappé d’interdit l’érotisme avec tant de force en l’isolant des autres composantes de l’amour, ce qui intensifie d’autant plus la puissance de transgression de l’éros.

Et ce n’est sans doute pas le dernier des paradoxes de l’éros que celui qui consiste à mobiliser toute une littérature, en restant, dans une certaine mesure, un mystère : « L’érotisme est défini par le secret. Il ne peut être public. » estimait encore G. Bataille, dans son étude sur « La sainteté, l’érotisme, la solitude ». Et peut-être la philosophie est-elle tout entière dans le sacrifice de ce secret. L’éros se révèle ainsi à lui-même son propre excitant et n’en finit plus de se renouveler et d’interroger la conscience humaine.

 

C’est à ce re-questionnement littéraire, philosophique, esthétique, politique, mystique… de l’éros, de ses paradoxes, de ses réalités complexes et ambiguës que convie le n° 15 de la revue Alkemie.

Les contributions, inédites et en langue française, sont à envoyer jusqu’au 1er janvier 2015. Les textes doivent être transmis au comité de rédaction, à l'adresse info@revue-alkemie.com (en format Word, 30 000 à 50 000 signes maximum, espaces compris). Nous vous prions d'accompagner votre article d’une courte présentation bio-bibliographique (en français), d'un résumé et de cinq mots-clefs en anglais et en français.

Date limite : 1er janvier 2015.

Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com

Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR (mihaela_g_enache@yahoo.com)