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ReS Futurae N°9: Asie de l’Est

ReS Futurae N°9: Asie de l’Est

Publié le par Vincent Ferré (Source : Irène Langlet)

Appel à contributions pour le numéro du printemps 2017 de la revue ReS Futurae

Echéances

Date limite d’envoi des propositions: 1er avril 2016

Les propositions d’articles sont à envoyer à Gwennaël Gaffric: ggaffric@gmail.com avant le 1er avril 2016, accompagnées d’une brève bio-bibliographie. Une réponse sera donnée le 1er mai 2016. Les articles seront à rendre pour le 1er  novembre 2016.

Nous invitons les personnes intéressées à consulter en ligne le processus d’évaluation et les normes de la revue Res Futurae.

Argumentaire général

L’obtention du dernier prix Hugo par l’auteur chinois Liu Cixin pour son roman Les Trois Corps (premier tome de la trilogie des Chroniques de la terre) a contribué à mettre la science-fiction chinoise, et par extension, est-asiatique, sous les feux des projecteurs.

La science-fiction asiatique connaît en effet actuellement un essor sans précédent, comme en témoigne la popularité toujours plus grande des mangas SF, la croissance significative de la production de films SF et leur exportation réussie (on pense aux longs-métrages du Sud-coréen Bong Joon-ho ou au Japonais Mamoru Oshii), l’émergence de jeunes auteurs populaires, les nombreuses traductions dans des langues européennes ou les prix littéraires internationaux… Il apparaît aujourd’hui nécessaire de proposer une réévaluation de la vitalité et de l’histoire d’un genre longtemps négligé tant par les études sur la littérature et le cinéma que par les spécialistes des aires culturelles concernées. Bien qu’un nombre croissant d’études paraissent aujourd’hui dans les pays d’émission des œuvres et en langue anglaise (les études sur la SF asiatique sont d’ailleurs aujourd’hui bien représentées dans les conventions scientifiques internationales sur la science-fiction), celle-ci n’a pour l’heure pas encore fait l’objet d’un grand nombre d’études en langue française. Il en est de même pour les traductions littéraires en français, à l’exception notable du secteur des bandes dessinées.

Or, depuis ses prémisses, la littérature et le cinéma de science-fiction d’Asie de l’Est peuvent être envisagés comme de formidables portes d’entrée par lesquelles entrer au cœur de l’évolution des sociétés asiatiques modernes depuis l’aube du XXe siècle. Comme partout ailleurs, la science-fiction y exprime aussi depuis son émergence les fantasmes, les angoisses et les espoirs d’une époque, témoignant de cette capacité singulière de la science-fiction à penser en même temps avec et contre son temps.

Ce numéro sera circonscrit à l’étude de la science-fiction en Asie de l’Est (Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Japon, Hong Kong, Taïwan), ce moins par souci de délimitation géographique qu’en vertu de cohérence socio-historique au sujet de l’émergence et de l’évolution du genre science-fictionnel dans la région. Le genre fait ainsi une première percée au Japon, en Chine et en Corée par l’intermédiaire de la traduction via l’anglais puis le japonais, notamment des œuvres de H.G. Wells et de Jules Verne (dont les premières traductions, effectuées par certains des plus grands intellectuels de leur temps, paraissent en 1879 au Japon, en 1902 en Chine et en 1907 en Corée), dates qui correspondent avec la naissance de la littérature moderne dans ces pays. Les intellectuels nationalistes de l’époque perçoivent en effet la science – au même titre que la démocratie – comme des avatars naturels de la modernité occidentale appelée à triompher des vieilles idéologies féodales (en Chine, on appelle ainsi « Monsieur Science » et « Monsieur Démocratie » à prendre la place de « Monsieur Confucius »). Ce qu’on appelle alors les « romans scientifiques » apparaissent dès lors comme des œuvres réformistes, susceptibles de favoriser l’avènement d’une nation et d’un homme nouveaux.

L’appel à l’écriture d’une science-fiction aux particularités nationales pour guider le pays vers la route de la modernité lancé au début du XXe siècle se prolongera durant toute la seconde moitié du siècle, en suivant certes des trajectoires diverses – quoique souvent en miroir les unes des autres – sous l’influence des traductions d’œuvres américaines (à Taïwan, en Corée du Sud et au Japon) et soviétiques (en Chine et en Corée du Nord). Bien souvent, il lui faut répondre aux impératifs politiques des utopies et des dystopies officielles (l’anticommunisme à Taïwan, le techno-capitalisme au Japon et en Corée du Sud, le maoïsme en Chine, l’idéologie du Juche en Corée du Nord…). Les modèles de propagande science-fictionnels prennent d’ailleurs principalement la forme d’utopies destinées à un public enfantin (comme c’est le cas de la revue Adong Munhak (Corée du Nord) ou le bestseller Le voyage de Xiao Lingtong dans le futur (Chine)). À d’autres moments de son histoire, il lui arrive parfois même d’être mise au ban des pratiques littéraires et cinématographiques, comme c’est le cas dans les années 1980 en Chine où elle est traitée, au même titre que d’autres formes d’expression artistique, de « pollution spirituelle » car opposée à la « véritable science » : le matérialisme dialectique.

Pour autant, dès les années 1960, le cinéma et les récits science-fictionnels parviennent également à se développer indépendamment de la doxa officielle, notamment grâce à l’essor des revues spécialisées et de la popularité nouvelle d’autres médias, comme les bandes dessinées au Japon. Les années 1980 et 1990 voient elles la science-fiction asiatique engager des stratégies fictionnelles nouvelles : space operas, univers parallèles, uchronies, cyberpunk, etc. Elle entreprend d’explorer des thématiques privilégiées de la science-fiction : crise environnementale, espoirs et dangers de la technoscience, paradoxes temporels, contact et communication avec des « intelligences » extraterrestres, interactions et fusions entre humain, non-humain et post-humain… sans négliger d’investir des thématiques plus géographiquement situées (narrations de catastrophes naturelles et/ou artificielles régionales, réappropriations d’une tradition textuelle ou religieuse, réécritures uchroniques…). Elle se retrouve enfin à l’avant-garde des luttes sociales qui secouent les sociétés asiatiques dans les années 1980 et 1990 : revendications ethniques, postcoloniales, féministes ou encore homosexuelles et queer, accordant à des voix jusqu’alors marginales un espace d’expression alternatif. À l’opposé, la science-fiction sert parfois la logique des soft power nationaux (ainsi en est-il de Liu Cixin – qui au lendemain de la réception du Hugo – est invité par le vice-président chinois à diffuser à travers le monde la puissance du « rêve chinois »).

Et qu’elles se mettent ou non au service d’un nationalisme culturel, certaines de ses productions, notamment en bande dessinée (on pense aux œuvres de Miyazaki Hayao ou Shirō Masamune au Japon), influencent en effet profondément la littérature et le cinéma mondial depuis les années 2000. Aujourd’hui, elle va même jusqu’à réinventer les frontières du genre en élaborant de nouvelles grammaires narratives. Ainsi en est-il par exemple du nouveau « sous-genre » créé par le Sino-américain Ken Liu qui, avec le néologisme cryptoculturaliste de « silkpunk », suggère une esthétique science-fictionnelle marquée par les récits de l’Asie pré-moderne ou de Bong Joon-ho qui réoriente l’esthétique du film de catastrophe.

Cse numéro ne se donne pas pour projet de contraindre la science-fiction asiatique, riche d’une histoire façonnée par les traductions, les adaptations et les réinventions, dans une sphère autoréférentielle qui ferait le jeu des projections culturalistes et orientalistes les plus simplistes et généralisantes. Ce numéro propose au contraire d’examiner avec une perspective transculturelle et historiquement située l’introduction et l’évolution (du dix-neuvième au vingt-et-unième siècle) de la science-fiction en Asie de l’Est, aussi bien en tant que genre littéraire et cinématographique possédant ses propres ressorts poétiques qu’en tant que média de réflexion spéculative sur le futur de leur lieu d’émergence comme sur le reste du monde.

Dans ce cadre, diverses interrogations, non exclusives, pourront être explorées :

–  Quels ont été les liens entre la naissance et le développement de la science-fiction en Asie de l’Est et la croyance dans le mythe du « progrès scientifique », perçu à l’époque comme une émanation de l’Occident ?

–  Quelle écriture de la science dans la SF en Asie de l’Est ? Existe-t-il une « hard SF » asiatique ? La science apparaît-elle comme une discipline géographiquement et historiquement située ou comme un système universel ? Depuis les prémisses du genre jusqu’à l’ère contemporaine, la science et la technique y sont-elles envisagées comme inéluctablement liées au progrès social ?

–  Quels rôles ont joué les utopies et les dystopies dans le développement socio-historique et les processus de démocratisation des pays et comment celles-ci se sont-elles élaborées en complicité ou en rupture avec les idéologies officielles ?

–  Comment la littérature et le cinéma science-fictionnels d’Asie de l’Est négocient-ils les tensions entre local et global à l’ère de l’Anthropocène ? On pourra à ce sujet s’interroger sur l’omniprésence de thématiques éminemment globales, alors même que les critiques de science-fiction asiatique revendiquent souvent paradoxalement le caractère « authentiquement » national de celle-ci.

–  Comment l’imaginaire de la catastrophe s’exerce-t-il dans la science-fiction est-asiatique ? (séismes, tsunamis, catastrophes nucléaires, épidémies bactériologiques…)

–  Quelle visibilité et quelles représentations des populations marginales (minorités ethniques, communautés LGBT, immigrants…) dans la science-fiction est-asiatique ?

–  Comment appréhender le rôle de la bande dessinée SF dans la construction d’une culture de la science-fiction en Asie et de son influence au niveau mondial ?

–  Est-il possible de distinguer dans la production science-fictionnelle asiatique des mécaniques narratives et/ou visuelles spécifiques ou bien la tentative de créer des schémas supposés propres à la science-fiction en Asie de l’Est relève-t-elle d’un projet orientaliste globalisant ?

–  Comment expliquer l’intérêt récent des études littéraires et cinématographiques asiatiques pour le genre science-fictionnel et comment lier cette tendance aux paradigmes épistémologiques contemporains (philosophie postmoderne, posthumanités, humanités numériques, écocritique…) ?

 

Liste indicative d’auteurs et de réalisateurs susceptibles d’être étudiés

CHINE : Han Song韩松, Liu Cixin刘慈欣, Wang Jinkang王晋康, Ye Yonglie叶永烈…

COREE DU SUD : Bong Joon-ho봉준호, Kim Kyung-uk김경욱, Lee Si-myung이시명, Djuna…

HONG KONG: Dung Kai-cheung董啟章, Ngai Hong倪匡, Peter Mak麥大傑, Wong Kar-wai王家衛…

JAPON : Abe Kōbō安部公房, Komatsu Sakyō小松左京, Ōtomo Katsuhiro大友克洋, Yoshihara Rieko吉原理恵子,…

TAIWAN : Chang Hsi-kuo張系國, Chi Ta-wei紀大, Egoyan Zheng伊格言, Wu Ming-yi吳明益…

 

Bibliographie indicative (en langues occidentales)

Perspectives Chinoises, Numéro spécial « Fictions utopiques et dystopiques en Chine contemporaine », Wang Chaohua and Song Mingwei (ed.), n°1, 2015

Science Fiction Studies, “Special Issue on Chinese Science Fiction” (ed. by Wu Yan and Veronica Hollinger), #119, Vol. 40, Part 1, 2013.

Science Fiction Studies, “Special Issue on Japanese Science Fiction” (ed. by Tatsumi Takayuki, Christopher Bolton, and Istvan Csicsery-Ronay, Jr), #88, Vol. 29, Part 3, 2002.

BERTHELLIER Benoît, “From Pyongyang to Mars: Sci-fi, Genre, and Literary Value in North Korea”, Sino NK, 2013, URL: http://sinonk.com/2013/09/25/from-pyongyang-to-mars-sci-fi-genre-and-literary-value-in-north-korea/.

COLSON Raphaël et RUAUD André-François, Science-fiction. Les Frontières de la modernité, Lyon : éd. Mnémos, 2008.

JAMESON Frederic, Archaeologies of the Future: The Desire Called Utopia and Other Science Fictions, Verso, 2007.

KUVIN Darko, Pour une poétique de la science-fiction, trad. de Gilles Hénault, Qéubec : Presses de l’Université du Québec, 1977.

LAMARRE Thomas, The Anime Machine: A Media Theory of Animation, Minneapolis: University of Minnesota Press, 2009.

LYNN Daneel, “The Long and Winding Road to Science Fiction: A Brief Overview of SF Development in Taiwan”, Foundation: The International Review of Science Fiction, n°94, 2005.

LANGLET Irène, La science-fiction : Lecture et poétique d’un genre littéraire, Paris : Armand Colin, 2006.

PACQUET Darcy, New Korean Cinema: Breaking the Waves, Wallflower Press, 2010.

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SARDAR Ziauddin and CUBITT Sean (ed.), Aliens R Us: The Other in Science Fiction Cinema, London: Pluto Press, 2002.

TANAKA Motoko, Apocalypse in Contemporary Japanese Science Fiction, New York: Palgrave Macmillan, 2014.

WANG David Der-wei, Fin-de-siècle Splendor: Repressed Modernities of Late Qing Fiction, 1849-1911, Stanford: Stanford University Press, 1997.

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