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Nouvelle parution
Protée, vol. 36, no 2 (automne 2008): Éthique et sémiotique du sujet

Protée, vol. 36, no 2 (automne 2008): Éthique et sémiotique du sujet

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la revue)

Protée est une revue universitaire dans le champ diversifié de la sémiotique, définie comme science des signes, du langage et des discours. On y aborde des problèmes d'ordre théorique et pratique liés à l'explication, à la modélisation et à l'interprétation d'objets ou de phénomènes langagiers, textuels, symboliques et culturels, où se pose, de façon diverse, la question de la signification.

Vol. 36, no 2 (automne 2008) - Éthique et sémiotique du sujet
Sous la direction de Maria Giulia Dondero

PRÉSENTATION

Maria Giulia Dondero
Pour une approche sémiotique des pratiques éthiques
Ce numéro de Protée souhaite proposer une réflexion sur ladescription – et la descriptibilité – de la subjectivité par le biaisd'une étude sur l'éthique. Ce numéro vise plus précisément un doubleobjectif : tout d'abord, rendre compte d'un changement épistémologiqueà l'intérieur de la discipline sémiotique, de plus en plus intéressée àanalyser des pratiques plutôt que des textualités, et, ensuite, décrirecomment ce changement épistémologique est fondamentalement lié à unenouvelle approche du sujet humain. Comme le postule la majorité destextes recueillis ici, le sujet ne se caractérise plus seulement commeune position syntaxique à l'intérieur d'une narration clôturée, mais ilest analysé en tant que subjectivité pleine en train de se constitueret de s'interroger sur elle-même. Par le biais d'une étude surl'éthique, qui est le domaine où la subjectivité se manifeste danstoute sa nature problématique, la sémiotique se confronte aux relationsentre le sujet conçu en tant que produit discursif et le sujet en tantque personne qui agit dans le monde : elle vise en somme à analyser ladynamique identitaire entre l'expérience in vivo et l'expérienceracontée. (Extrait)

ARTICLES

Jacques Fontanille
Pratique et éthique. La théorie du lien
Le concept de « valeur » occupe une place centrale dans les sémiotiquesd'inspiration linguistique, issues des travaux de Saussure, Hjelmslev,Benveniste et Greimas, et ce, au nom du principe différentiel qui lesfonde. Parmi ces sémiotiques, la tendance massive des vingt dernièresannées, pour de multiples raisons, a consisté à traiter de ces valeursdans une perspective esthétique. Sans renier les travaux de cettepériode féconde, qui a privilégié la voie phénoménologique, la relationau monde sensible, les esthésies et la culture artistique, de nombreuxsémioticiens s'intéressent aujourd'hui à des discours, à des objets età des pratiques qui relèvent de toute évidence d'un autre ordre devaleurs, qui impliquent des normes, une déontologie : en somme, despositions et des valeurs éthiques. L'approche sémiotique de ladimension éthique, dans la perspective ouverte par les recherches surles pratiques et les interactions sociales, ne peut se cantonner à uninventaire des contenus sémantiques et modaux des valeurs. La forme deces pratiques et de ces interactions sociales s'exprime essentiellementdans l'ordre syntagmatique, et le traitement sémiotique de l'éthiquedoit donc être syntagmatique et stratégique. La rhétorique générale dePerelman comporte à cet égard un ensemble de propositions trèséclairantes et pourtant faiblement exploitées aujourd'hui : il s'agit,en l'occurrence, de la « théorie du lien », des liaisons et desdéliaisons, des ruptures et des freinages qui affectent les relationsentre les éléments de la scène argumentative. Cet essai se propose dereprendre ces éléments, d'en formuler une articulation systématique etplus étendue que celle de Perelman, pour en rendre possiblel'application aux pratiques sémiotiques en général. L'éthique despratiques prend alors la forme globale d'une rhétorique des stratégiessociales.

Maria Giulia Dondero
Le jugement éthique : le cas du pardon
Dans notre contribution, nous voudrions aborder les pratiques dupardonner en relation avec les pratiques institutionnelles etjuridiques de l'amnistie. À ce propos, nous distinguerons le jugementéthique du jugement moral afin de lier le discours sur la subjectivitéau discours sur les domaines culturels, tels le droit et lajuridiction. En effet, la dimension éthique est suspendue entrel'institutionnalisation des valeurs (protocole, procédure, loi) etl'autoréglage du sujet agent (pratiques d'autoréflexion et gestion desoi-même) : dans la dimension éthique, le sens reste toujoursquestionnable. L'imperfectivité de la clôture sémantique (le« pourquoi » de l'action) entraîne pour toute pratique éthique lanécessité de se « justifier » et, surtout, le devoir de rendre comptede son fondement dans la durée. Tout cela met au coeur de l'éthique despratiques la décision, c'est-à-dire une négociation de la pratique surson propre bien-fondé, son « caractère sensé », dans une tensioninterprétative qui connecte la motivation à la loi. Enfin, nouspointerons du doigt le fait que, dans le régime de l'éthique, existe unfort besoin de reconnaissance réciproque, telle la reconnaissanceréciproque et publique de la culpabilité et du pardon. La relationentre victime et coupable ne touche pas seulement à la relation intimeentre les deux, ni seulement aux pratiques de sanctions juridiques,mais aussi aux jugements de l'opinion publique, voire de la doxa, carc'est cette dernière qui encadre la relation et construit lesfrontières entre le pardonnable et l'impardonnable.

Denis Bertrand
L'émotion éthique. Axiologie et instances de discours
Comment peut-on parler d'« émotion éthique » et dépasser le caractèreparadoxal de cette expression ? Après avoir évoqué l'apparenteincompatibilité conceptuelle entre éthique et émotion, l'étude chercheà identifier les différentes localisations du pathémique dans la tramede la signification éthique. Elle y reconnaît ainsi une véritablesyntagmatique de l'émotion, en une succession de séquences. Elle sefonde tout d'abord sur le concept de transduction (G. Simondon) pouranalyser le rôle de l'émotion dans le passage du pré-individuel àl'individuel et au trans-individuel. Elle développe ensuite la thèse deLévinas qui fonde la responsabilité éthique sur l'émotion du visage del'autre. Elle analyse enfin l'éthique sensitive de Jean-JacquesRousseau en amont des obligations morales. Cette reconnaissance del'émotion éthique permet de dégager la spécificité d'une approchesémiotique des axiologies de la responsabilité : elle approfondit lelien entre structures discursives, assomption subjective et valeurs.

Pierluigi Basso Fossali
Éthique et sémiotique des destins croisés. La négociation de l'agir sensé entre formes de vie
L'éthique est liée à une sémantique de l'action qui dépasse la raisoninstrumentale ; en effet, selon un regard éthique, le caractère senséde l'agir relève d'une inclusion de chaque scénario pratique – délimitéet focalisé par une visée – dans un cadre de traductibilité des mobileset des valences. La perspective éthique s'enracine ainsi dans undétachement critique par rapport à l'immersion dans les scénariosd'action. L'éthique est élaborée par un discours vertigineux quidevrait s'étendre au-delà des morales ; ces dernières, en tant queformes culturelles stratifiées dans le temps, devraient être décrites àpartir d'une observation de deuxième ordre par les mêmes communautés dediscours qui les ont élaborées. L'éthique concerne la gestion desvaleurs identitaires par rapport à leur horizon destinal. Chaquecommunauté de discours élabore une axiologie fondée sur laredistribution commensurable des destins ; mais la tensioninter-communautaire fait émerger constamment l'exigence de répondre àla division des morales par la neutralisation d'une destinalitéséparée. L'éthique est donc le niveau de négociation de l'agir senséqui dépasse les garanties de sens données par les domaines sociaux etles différents jeux linguistiques, et qui conduit les formes de vie àreconnaître le scandale représenté par une Babel des destins. L'éthiqueest le bord d'une forme de vie qui doit se dépasser, s'étendre au-delàde ses buts et de sa propre finitude. Pour cette raison, le caractèreapparemment intraitable des questions éthiques sub specie semioticadevient un domaine d'investigation potentiellement électif de ladiscipline, car cette tension des formes de vie au-delà d'elles-mêmesest, à bien voir, la structuration primaire, quoique tacite, d'uneculture : croiser des destins.

Louis Panier
Une posture éthique en deçà des valeurs ?
L'éthique et la sémiotique ont en commun de poser la question del'identité et de la construction de valeurs et de décrire les modalitésde constitution d'un sujet relatif aux valeurs et à leur mise enpratique. Après avoir repris la problématique sémiotique classique desvaleurs et des objets-valeurs, cet article envisage, à la suite del'analyse d'un court récit-parabole, la possibilité d'une constitutionéthique du sujet instauré en deçà des valeurs et des objets où elless'investissent, dans la posture qu'il prend relativement à l'altéritéet à la nécessaire absence d'une instance d'énonciation.

Angèle Kremer-Marietti
Moi réel / monde réel ou la constitution éthique du moi réel face au monde réel
Cet article traite de la constitution psychique et éthique du moi réelface au monde réel, en partant de la subjectivité vive et del'individualité organique pour aller vers la personnalité et le sujetdit moral. Sur la base de la sensibilité du moi profond, étayant lastatique de la personnalité en vue de sa dynamique, le langage est lenoyau de tout le mouvement autour du corps. Corps et langage serenvoient l'un l'autre et interfèrent au point de rencontre avecl'autre par lequel se découvre la source du souci éthique.

Sandra Laugier
La volonté de voir. Éthique et perception morale du sens
Le présent article propose une approche pragmatique de l'éthiqueinspirée de la seconde philosophie de Wittgenstein. Après avoirprésenté le projet d'une éthique « sans ontologie », déplacée desconcepts généraux vers l'exploration des pratiques et la vie ordinaire,elle met en évidence la nécessité d'une compétence éthique propre,articulée sur la capacité à voir le sens de l'action et sur laperception de l'importance. C'est à donner un contenu à ce concept del'importance qu'on peut alors s'attacher, pour définir le sens moralcomme base de la perception morale.

HORS DOSSIER

Anne Beyaert-Geslin
De la texture à la matière
Si la sémiotique a montré l'importance de la texture dans lasignification, la dimension de la matière a été largement négligée.L'article s'efforce de distinguer ces deux dimensions et decaractériser la matière de façon à en montrer l'intérêt pour lasémiotique. En première approximation, la texture se laisse concevoirrelativement à la pratique de la peinture alors que la matière noussitue généralement en dehors des pratiques ; mais, en certains cas,elle peut caractériser la peinture et décrit alors une épaisseur dutableau, une tridimensionnalité. Nous partirons de ce constat pourdécrire, au travers des oeuvres de Joseph Beuys, la matière comme unactant pouvant régir, au-delà de la forme énoncée, la significationdans son acception la plus large. Décrire ces oeuvres telles des naturesmortes nous permettra de montrer que la matière est une structurenarrative imposant dès l'abord une axiologie.