Actualité
Appels à contributions
Présence et force de la multitude : comment représenter les mouvements de foule au théâtre

Présence et force de la multitude : comment représenter les mouvements de foule au théâtre

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Université de Poitiers)

Le LABORATOIRE FORELL B1/B2  de l'UNIVERSITE DE POITIERS organise deux journées d'étude autour de

« Présence et force de la multitude : comment représenter les mouvements de foule au théâtre »

Vendredi 8 et samedi 9 février 2013

Les abstracts sont à envoyer avant le 30 juin 2012 à

pascale.drouet@neuf.fr et francoise.dubor@noos.fr

 

Présentation du sujet

La foule au théâtre, a priori, peut être représentée à grands renforts de moyens, par de nombreux figurants. Mais il faut payer ces figurants, et l’exiguïté du plateau peut en limiter fortement le nombre, au risque d’échouer à représenter la foule. C’est dire que des contraintes économiques et spatiales peuvent inciter à faire preuve d’imagination, et à renoncer à un régime littéral, sinon strictement mimétique, de la représentation. Mais elles ne sont pas les seules en cause. On peut faire valoir le défi que la foule impose à la scène théâtrale, mais aussi des choix d’ordre idéologique, politique ou esthétique susceptibles d’influer sur la conception de la représentation qui se donne la foule pour objet.

On se souvient de la foule initiale des possédées dionysiaques, avec Les Bacchantes d’Euripide. Plus près de nous, la troupe des Meiningen, à l’aube de la mise en scène théâtrale, convoquait une foule structurée de figurants pour représenter la foule dans des drames à vertu historique, dans un souci d’exactitude qui dirigeait jusqu’aux détails des costumes, et en repensant l’espace scénique par  l’apport de marches et de praticables. On pense aussi à Firmin Gémier, qui reportait sa conception du théâtre à l’idée rousseauiste d’une grande fête populaire, et mettait face à la foule publique convoquée au spectacle le spectacle d’une foule en jeu. Piscator représente le destin des masses, dans une perspective politique, en recourant au film, mais aussi à des innovations scénographiques, en termes de construction ouverte de l’aire de jeu ou de dispositifs mobiles. Brecht, à son tour, pense l’articulation entre l’individu et le collectif dans une représentation épique et didactique réinventée. Avec lui, l’individu vaut pour la masse, il est représentatif d’une foule qui constitue le peuple. C’est dire que la conception du héros en est bouleversée, et génère une représentation inédite de la foule, potentiellement portée par un seul personnage.

Tout dépend, en définitive, de la fonction dramaturgique de la foule. Est-ce que la foule, c’est le peuple ? Et si c’est le cas, quel peuple ? populiste ou empreint de noblesse ? Est-ce une force aveugle ? ignorante ? ou légitime, ou soumise, ou entravée, ou en révolte ? S’agit-il d’un groupe dont il s’agirait de s’affranchir, en se dotant d’un visage, d’un nom ? La foule est-elle « un vaste désert d’hommes » ? Innommable, la foule est-elle une force de destruction, comme dans Jules César, Coriolan ou Henry VI (deuxième partie) de Shakespeare (dans les mises en scène, notamment de Deborah Warner, Christian Schiaretti, Jean Boillot ou Michael Attenborough) ? A quelles conditions le héros représente-t-il la foule ? le peuple ? La foule ne renvoie-t-elle, in fine, qu’à une dimension primaire, ancestrale, bestiale, que seule la loi serait en mesure d’endiguer ? de civiliser ? de réduire, en réduisant son anonymat ? La foule représente une meute dont la rare parole est paradoxale en ce qu’elle est à la fois individuelle et anonyme… Peut-être est-ce ce à quoi renvoie Lagarce en nommant certains de ses personnages (Un Guerrier, tous les guerriers ; ou bien : Un Garçon, tous les garçons dans Le Pays lointain), qui typifient alors une foule qui se signale par son homogénéité (chaque membre partageant le même trait avec tous les autres). Peut-être Claudel, dans Tête d’Or, permet-il une distinction par une double scène, la scène épique où l’armée est représentée verbalement mais n’est pas visible, et la scène dramatique, où le peuple du royaume, cette fois visible sur scène, assiste à la prise de pouvoir du héros, au moment où Tête d’Or défait le Roi. La foule est-elle dotée d’une pensée, présentant alors un esprit sans visage ? Ou la foule est-elle le non-lieu de la parole ?

Nous nous attacherons à la représentation de la foule sur la scène théâtrale contemporaine, les metteurs en scène recourant, le cas échéant, à des pièces de répertoire européennes qui impliquent peu ou prou de représenter la foule, et non pas à une multiplicité de personnages qui rendent le théâtre dans son entier à une pure utopie, comme les Romantiques, notamment, en donne de nombreux exemples (mais ils mettent aussi la foule en scène, très souvent). Si la foule est un objet romanesque ou cinématographique courant, est-ce aussi un objet théâtral ? Les moyens de sa représentation seront rapportés à ses enjeux dramaturgiques.

Nous nous interrogerons donc sur le rapport entre le potentiel spatial de l’espace scénique et les effets d’affluence menaçants, débordements populaires et émeutes, que requièrent certaines pièces de théâtre. Comment montrer une foule sans une multitude de figurants ? Comment rendre la présence menaçante d’un flot humain chaotique devant des spectateurs de facto plus nombreux que les acteurs ? Quelle élasticité est-il possible de donner à un espace scénique codifié ? Quels types d’interaction peut-on envisager avec les spectateurs ? L’intensité de la kinésique et de la proxémique permettrait-elle de compenser la présence numérique ? Quel rôle peuvent jouer supports vidéo, projections, théâtre de marionnettes, ou autres objets ? Tel est le type de questionnement que soulève la représentation de la foule dans le théâtre contemporain, et auquel nous tenterons de donner des éléments de réponse, lors de deux journées d’étude conjointes.

Quelques pistes bibliographiques

AMIARD-CHEVREL Claudine, L’Ouvrier au théâtre de 1871 à nos jours, Travaux de recherches sur les arts du spectacle du CNRS, Cahiers théâtre Louvain 58-59, 1987.

BRILL Lesley, Crowds, power, and transformation in cinema, Detroit, Wayne State University Press, 2006.

BROCH Hermann, Théorie de la folie des masses, édition établie par Paul Michael Lützeler ; traduit de l'allemand par Pierre Rusch & Didier Renault, Paris, Éd. de l’Éclat, 2008.

CANETTI, Elias, Crowds and Power, Translated by Carol Stewart, New York, Farrar, Straus and Giroux Editions, 1984.

DELOUVÉE Sylvain, La psychologie des foules, recueil de textes, XIXe et XXe siècles, postface de Michel-Louis Rouquette, Paris, L’Harmattan, 2007.

DROUET, Pascale, “Popular Riot in Shakespeare’s 2 Henry VI”, in David Bell and Gerald Porter, ed., Riots in Literature, Newcastle, CSP, 2008, p. 1-20.

GREENBLATT, Stephen, Shakespearean Negotiations: The Circulation of Social Energy in Renaissance England, Oxford, Clarendon, 1997.

HOWARD, Jean E., The Stage and Social Struggle in Early Modern England, London and New York, Routledge, 1994.

KONIGSON Elie, Figures théâtrales du peuple, Editions du CNRS, 1985.

LE BON Gustave, Psychologie des foules, Paris, Flammarion, 2009 [Nouvelle éd.].

MEYERHOLD, Vsevolod, Du Théâtre, in O.C., présenté par B. Picon-Vallin, Lausanne, L’Age d’Homme, 2005.

MUNRO Ian, The figure of the crowd in early modern London : the city and its double, New York, Palgrave Macmillan, 2005.

PATTERSON, Annabel, Shakespeare and the Popular Voice, Oxford, Blackwell, 1989.

PAUL Jean-Marie (dir.), La foule : mythes et figures : de la Révolution à aujourd'hui, Centre d'Etudes et de Recherche sur Imaginaire, Ecritures et Cultures, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2004.

PEARL Lydie, Que veut la foule ?: art et représentation, Paris, L’Harmattan, coll. « Nouvelles études anthropologiques », 2005.

TARDE Gabriel, L'opinion et la foule, Paris, F. Alcan, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1901.

THALMANN Daniel, MUSSE Soraia Raupp, Crowd simulation, London, Springer, 2007.

WOOD, Andy, Riots, Rebellion and Popular Politics in Early Modern England, Basingstoke, Palgrave, 2002.