Questions de société

"Pour une réforme des comités de sélection", par Claire Crignon et Véronique Le Ru (juin 2012)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : CNESU)

[Annulations de recrutements de maîtres de conférences ou de professeurs (Strasbourg, Aix, Clermont-Ferrand) - dossier]

 

 

Pour une réforme des comités de sélection

Par Claire Crignon et Véronique Le Ru

 

Nous voudrions témoigner par ce billet d’une situation désastreuse sur le plan institutionnel et humain.

Une série d’annulations de recrutements de maîtres de conférences ou de professeurs vient en effet de frapper le milieu universitaire. D’abord à la faculté de lettres de Strasbourg, ensuite au département de philosophie de l’Université d’Aix-Marseille et en histoire de l’art à Clermont-Ferrand. Ces récents événements viennent confirmer ce que l’on pouvait d’emblée craindre des effets de la réforme des universités initiée au moment de la loi dite LRU. Rappelons que le conseil constitutionnel et le conseil d’Etat ont affirmé que le jury du concours était bien le comité de sélection et que le conseil d’administration ne pouvait pas modifier ni remettre en cause le classement proposé par le comité à moins de pouvoir faire état d’un non respect de la procédure sur un plan administratif ou bien d’être en mesure de montrer que les candidatures retenues compromettent la stratégie de l’établissement (cf. Cons. const. 6 août 2010, déc. n°2010-20/21 QPC ; CE., 15 décembre 2010).

Mais cette procédure à deux niveaux (une liste soumise au CA par un comité qui n’a pas pouvoir décisionnel, un CA qui valide ou non une élection sans avoir assisté aux auditions) conduit à des effets pervers. En effet, d’un côté on a un comité constitué de pairs qui juge qui est le plus qualifié, parmi les candidats, à devenir un des leurs, de l’autre on a un conseil hétérogène où au mieux un ou deux représentants de la discipline dont un poste est mis au concours est représenté. Pour peu que le classement proposé par le comité ne soit pas conforme aux attentes locales et que des pressions s’exercent sur le CA, une élection qui s’est pourtant effectuée selon les règles démocratiques est cassée.

Quelle image l’université française va-t-elle donner à l’étranger si nous acceptons la généralisation de cette situation ? Pouvons-nous accepter que soit annulé l’ensemble d’une procédure qui mobilise entre 5 et 10 candidats, selon les postes, et une douzaine de professeurs et maîtres de conférences ? Avons-nous besoin de rappeler ici la rareté des postes, la difficulté non seulement du parcours qui conduit un doctorant à pouvoir postuler à ces emplois, les conséquences de l’annulation d’une telle décision non seulement pour le dit candidat mais aussi pour l’établissement susceptible de perdre le poste ? S’il est désormais possible d’annuler une élection sous le seul prétexte qu’elle déplaît localement, à quoi bon continuer à constituer des comités en choisissant leurs membres parmi les spécialistes reconnus du domaine dans lequel il s’agit de recruter ? Nous voudrions ajouter que les personnes classées première qui voient ainsi tous leurs espoirs sombrer du fait du népotisme ambiant sont souvent, en ce qui concerne la philosophie du moins, des femmes. Au moment où la parité s’affiche dans le gouvernement, il serait peut-être temps de faire cesser ces injustices ainsi que la disparité flagrante, en philosophie toujours, de la composition des comités de sélection : au mieux y recense-t-on 25% de femmes et souvent entre 0% et 10%.

Face à ces dysfonctionnements, il nous semble urgent d’en appeler dans le cadre de la demande récemment formulée de l’abrogation du décret Pécresse du 23 avril 2009 (n° 2009-460), à une révision du statut des comités qui viserait, toujours en respectant la parité entre membres internes et externes, à leur donner un réel pouvoir décisionnaire et non pas simplement consultatif.

Claire Crignon, MCF Philosophie Université Paris-Sorbonne, Véronique Le Ru, MCF habilitée, Université de Reims.