Questions de société

"Pour en finir avec le latin et le grec", par Pascal Engel (9 avril 2015)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

Pour en finir avec le latin et le grec

 Pascal Engel, Libération, 9 avril 2015

Les uns en veulent à La princessse de Clèves, les autres au latin et au grec.
Ignoramus et ignorabimus. Et toc !

Il faut applaudir des deux mains le projet de suppression de l’enseignement du latin et du grec dans les lycées et collèges. Ces langues ont fait assez de mal à des générations d’enfants soumis à la férule de maîtres imbéciles. Comme disait Leibniz, Nec proinde culpandi sunt quod ista sunt prosecuti, sed quod pueros fatigarunt. Elles les ont éloignés de la vie réelle. Non vitae, sed scholae discimus. On me dira que la connaissance des humanités contribue à l’éducation des citoyens. Mais quel rapport entre le monde ancien et le nôtre ? Ne savons-nous pas que chaque culture a son monde propre, intraduisible dans un autre ? Qui, à part Paul Veyne, peut encore lire l’Enéide ? Qui de nos jours agirait comme Regulus ou les Gracques ?

Le latin et le grec ne font que renforcer les inégalités sociales et bloquent l’intégration républicaine. Ils perpétuent des aristocraties académiques indignes de la démocratie du savoir, et empêchent les collégiens d’accéder aux matières utiles à la vie comme la conduite automobile, l’éducation civique et sexuelle. Litterae non dant panem. Ces langues misogynes réduisent la femme à une harpie ou à une ancillaire. Kakon anankaoion gunè ! Et qui, sur Facebook et Twitter parle latin ? Il n’y a même pas de mot pour désigner Internet en latin. Même les catholiques n’ont plus la messe en latin. Veut-on conserver le privilège ultramontain ? Quant au grec, ses locuteurs ne vont-ils pas sortir de l’Europe, et n’ont-ils d’ailleurs pas abandonné le grec ancien il y a des siècles ? Quod periit, periit !

Quelques propositions simples permettront d’éradiquer définitivement le latin et le grec, et de faire des économies. Nervus gerendarum rerum pecunia. La plus simple consistera à supprimer les professeurs de langues anciennes du secondaire et du supérieur, mais aussi une bonne partie des archéologues. Cela ne les mettra pas au chômage, car on leur proposera, comme pour les postiers, de se reconvertir en moniteurs du permis de conduire. On demandera ensuite à l’Académie de toiletter la langue française en supprimant toutes les expressions grecques et latines, telles que statu quo, a priori ou et cetera, puis les mots à racine grecque et latine, comme abdominal, belliqueux, anonyme ou misanthrope, pour ne garder que ceux qui viennent du gaulois, de l’arabe ou de l’anglais. On supprimera des dictionnaires les pages roses, qui ne servent qu’aux pédants. On demandera à Uderzo d’enlever des albums d’Astérix toutes les allusions ridicules qu’y glissait Goscinny, telles que exegi monumentumalea jacta est ou acta est fabula. On se passera des locutions latines en droit, auxquelles personne ne comprend rien, comme mens rea ou inter partesSummum jus, summa injuria ! Par la même occasion, on débarrassera la médecine de ses noms antiques de maladies, comme le lupus, le tetanos ou le delirium tremens, qui nous embrouillent.

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