Krystyna Wojtynek-Musik, Poétiser à la manière symboliste, Wydawnictwo Uniwersytetu Slaskiego, Katowice 2000 (170 p).
Le récent ouvrage de Krystyna Wojtynek-Musik, Poétiser à la manière symboliste, se présente comme une étude particulièrement riche et claire de la poésie symboliste, envisagée tant sur le plan du contenu que sur le plan formel. Outre une interrogation sur l'imaginaire et les thèmes privilégiés des symbolistes, on trouve en effet de nombreuses analyses techniques sur le rôle de la rime, de l'allitération, ou encore les relations métro-syntaxiques, qui permettent de bien mettre au jour la "manière" symboliste, dans la mesure où ces questions de versification ne sont jamais envisagées pour elles-mêmes : reliées soit aux théories poétiques des symbolistes (rappelées et analysées en profondeur dans le chapitre 1), soit à l'atmosphère de leurs textes, soit à leurs motifs favoris, ces analyses, qui pourraient ailleurs sembler ingrates et sèchement formelles, nous entraînent au cur de la poétique symboliste, dans une constante et convaincante oscillation entre la forme et le fond qui permet de bien comprendre la raison d'être de chaque procédé. Les titres de certains chapitres donnent d'ailleurs la parfaite mesure de l'ambition de l'auteur, qui, en étudiant "l'image symboliste comme forme de synthèse" (chapitre 2), "la fabrication du mystère par les symbolistes" (chapitre 3) ou encore "la dynamisation symboliste du texte poétique" (chapitre 8) a voulu dégager les principaux processus de fabrication du poème symboliste. Le pari est dans l'ensemble tenu puisque le dernier chapitre, qui tire les conséquences des précédents, permet de donner une vision remarquablement intéressante et nouvelle du poème symboliste. Au terme d'une montée en puissance qui parcourt l'ensemble de son étude, Krystyna Wojtynek-Musik montre que dans le poème symboliste, "l'attention du poète symboliste tourne [...] autour d'un seul thème majeur, mais montré sous plusieurs points de vue" ; "le discours poétique des symbolistes est en fait monothématique mais abonde en nuances ; il se concentre sur des détails apparemment secondaires, en les montrant avec minutie et toujours sous un aspect nouveau" (p. 147). Cette esthétique se comprend dans la mesure où le but des symbolistes est de "sonder la complexité du phénomène observé afin de dépasser son stade descriptif (p. 147), pour pénétrer l'essence des choses, et, au-delà, de "franchir la limite entre la matière et l'esprit" (p. 162).
Pareille vision s'avère particulièrement stimulante puisqu'elle présente avant tout la poésie symboliste sous l'angle de la dynamique, loin des clichés mélancoliques qui en ont souvent donné une vision réductrice, inexacte et, il faut le dire, un peu déprimante et ennuyeuse. Car, si le spleen et de mélancolie sont bien, Krystyna Wojtynek-Musik le rappelle, des thèmes symbolistes majeurs, le poème symboliste est, lui, un "art intérieurement mobile" (p. 158) à la construction duquel les lecteurs prennent une part active : les poètes "invitent le lecteur à chercher avec eux, en dynamisant le texte par la technique [] de la juxtaposition de plusieurs variantes d'une même matrice thématique. La confrontation de quelques prises de vue du même objet ou de la même situation donne au texte la structure d'une succession circulaire []. Un tel type de composition impose une lecture très attentive, que M. Riffaterre nomme rétroactive, et qui consiste en ce que le lecteur, tout au long de son contact avec le poème, doit se souvenir des informations déjà lues, en les comparant avec celles qui suivent. Il a l'impression de prendre sa part dans le processus de la production de l'uvre et d'assister à tous les doutes et toutes les tentatives de son auteur" (p. 15). Ces conclusions viennent contrebalancer un début d'ouvrage peut-être un peu plus décevant, car plus classique : l'auteur, en particulier, rappelle et commente à nouveaux frais, en citant aussi bien les symbolistes eux-mêmes que les critiques littéraires (ainsi de G. Michaud, Message poétique du symbolisme) les théories poétiques des symbolistes, en les situant dans le temps et dans l'Histoire de l'esthétique... Ce passage pour ainsi dire obligé des études symbolistes (et qui n'apporte pas véritablement d'idée neuve) lui permet de dégager les grands principes de la poésie symboliste, sur laquelle elle fondera par la suite son étude : la suggestion, le symbole, la synthèse (synthèse du concret et de l'abstrait, de la terre et de l'esprit, du profane et du sacré notamment) et l'analogie. L'étude de "l'archétype du vol", dans le chapitre 4, est elle aussi (quoique bien menée) un lieu commun des études sur le symbolisme, et ne prend son réel intérêt qu'une fois les dernières pages du livre lues.
Néanmoins, l'ouvrage apporte beaucoup par la méticulosité et la variété des analyses textuelles, qui nous emmènent aussi bien du côté des symbolistes consacrés (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé) que des poètes moins reconnus, que Krystyna Wojtynek-Musik ne néglige pas : les poèmes d' A. Samain, H. de Régnier, G. Kahn, J. Moréas, R. Ghil occupent une place importante dans les analyses de versification, et montrent une parfaite connaissance du corpus symboliste. L'essayiste se montre également très heureuse et rigoureuse dans les analyses techniques : chiffres, tableaux statistiques, comparaisons entre poètes ou types de poésies (vers réguliers et vers libres, par exemple) révèlent un dépouillement méthodique et très patient des poètes symbolistes de langue française (belges et français), dans la grande tradition des études de versification, telle que J. Mazaleyrat (l'une des références de ce livre) ou B. de Cornulier ont pu l'illustrer, et que Krystyna Wojtynek-Musik, là encore, connaît et exploite fort bien.
Anne LE FEUVRE