Collectif
Nouvelle parution
P. Boucheron, V. Azoulay (dir.), Le mot qui tue. Les violences intellectuelles de l'Antiquité à nos jours

P. Boucheron, V. Azoulay (dir.), Le mot qui tue. Les violences intellectuelles de l'Antiquité à nos jours

Publié le par Marc Escola

Le mot qui tue - Les violences intellectuelles de l'Antiquité à nos jours
Patrick Boucheron , Vincent Azoulay


Paru le : 01/04/2009
Editeur : Champ Vallon
Collection : Epoques
ISBN : 978-2-87673-504-0
EAN : 9782876735040

Prix éditeur : 27,00€


Il est des mots qui tuent - symboliquement, lorsqu'il s'agit de ruiner la réputation d'un adversaire, ou physiquement, quand le mot d'ordre se fait slogan.

Dès lors, s'interroger sur la notion de violences intellectuelles revient à poser la question de la responsabilité de ces professionnels de la parole que sont les intellectuels. Ce livre collectif entend le faire dans la longue durée de l'analyse historienne : de l'attaque ad personam dans la rhétorique romaine à l'imaginaire guerrier des intellectuels contemporains, en passant par les formes de la dispute médiévale ou de la controverse savante à l'époque moderne.

Dans tous les cas, il s'agit bien de mettre au jour les règles et les usages de la polémique, mais aussi d'identifier les moments où les règles sont transgressées, remettant en cause l'ensemble du système.

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On peut lire sur le site nonfiction.fr un article sur cet ouvrage:

"À la fin de l'envoi, je touche", par R. Mathis.

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Dans Le Monde des Livres du 2/5/9, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:

Critique "Le mot quitue. Une histoire des violences intellectuelles de l'Antiquité à nosjours", sous la direction de Vincent Azoulay et Patrick Boucheron :manier l'épée en même temps que la plume LE MONDE DES LIVRES | 30.04.09 | 10h53  •  Mis à jour le 30.04.09 | 10h53
Ilexiste mille et une façons de domestiquer les intellectuels. L'une desplus courantes consiste à fustiger leurs tendances brutales, leurfascination pour la violence, voire leur essentielle férocité. En tempsnormal, dit-on, ces arrogants s'attribuent une position de surplomb,ils s'autorisent de leur science pour dynamiter le sens commun, tracerde nouvelles frontières entre le vrai et le faux, régenter nosconceptions du monde. En temps de crise, ces pyromanes multiplient lesdiscours incendiaires, ils mettent le feu aux esprits, ils préparent lepire des embrasements.

35326534393030383437353938663730?&_RM_EMPTY_ Tout cela n'est pas faux. En atteste le richevolume collectif qui paraît sous la direction de Vincent Azoulay etPatrick Boucheron. A coups d'"anachronismes contrôlés", unevingtaine d'historiens y décrivent les formes de la violenceintellectuelle depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, et de l'exécutionde Socrate jusqu'à "l'affaire Sokal". Mais si l'on trouve dans ce livrequelques exemples de l'abjection dont se sont rendus coupables, au fildes siècles, certaines femmes et certains hommes d'idées, on y repèreégalement une entreprise plus discrète, plus originale : la remise àl'honneur de la pensée comme geste offensif, du champ intellectuelcomme champ de bataille.

Née dans le fracas de l'affaire Dreyfus,la notion même d'intellectuel implique l'urgence du combat à mener. Etpar-delà les situations où un engagement ouvertement politiques'impose, toute théorie digne de ce nom constitue en tant que telle unpassage à l'acte. Quiconque tient à une idée sait que sa victoireimplique nécessairement un coup de force. Bien sûr, les savants aimentà se présenter comme les membres d'une communauté policée, où leséchanges obéissent à une éthique du dialogue respectueux quiremonterait à l'humanisme classique.

Or l'humanisme fut tout sauf une révolution de velours. Son héros, Pétrarque, définissait le théâtre des opérations comme une "arène poussiéreuse et bruissante d'injures". Lui-même prisait l'intimidation, l'invective, l'attaque ad hominem, jusqu'à en faire des armes de destruction massive, comme le rappelle Etienne Anheim. "Te craindre, toi, avec ton cerveau engourdi, ta plume émoussée, ta langue qui fait des noeuds ?", lançait Pétrarque à l'un de ses détracteurs en 1355.

Quantaux philosophes de la Renaissance, ils pratiquaient souvent l'escrime,et réglaient leurs affrontements sur le modèle du duel. Soulignant lesliens qui unissaient alors passion du vrai et "sentiment du fer", Pascal Brioist cite ces mots du mathématicien milanais Jérôme Cardan : "Je maniais le poignard en même temps que l'épée, la pique ou la lance (...). Sans armes je savais arracher à mon adversaire un poignard dégainé."

Parcequ'il exige une confrontation des thèses et des arguments, le monde desidées est un univers impitoyable. Il arrive que ces face-à-facesécrètent des procédés indignes, quand le polémiste nourrit un purdéchaînement de haine : il s'en prend au corps de l'adversaire, il faitdes jeux de mots sur son nom... bref, il se déshonore. Mais il estaussi des cas où la plus virulente des joutes provoque une avancée del'esprit. Jérémie Foa avance l'exemple des disputes théologiques quiopposèrent catholiques et réformés durant les guerres de religion.D'une cruauté implacable, ce conflit n'en favorisa pas moins "un essor remarquable de la connaissance érudite". Surtout, il mit en lumière cette fonction des bagarres intellectuelles : "par elles se découvrent ceux qui ont la grâce et ceux qui ne l'ont pas", ceux qui peuvent s'affranchir des règles établies et ceux qui y resteront à jamais enfermés.

LA FRANCHISE PROSCRITE

Dece type de "grâce", notre société semble ne plus vouloir. D'un côté,elle célèbre les pamphlétaires venimeux, qui ne souhaitent rien d'autrequ'anéantir leur cible, ayant tout autre chose en tête que le triomphede la Vérité. De l'autre, elle chasse les esprits critiques, ceux quiestiment encore assez leurs contemporains pour tenter de lesconvaincre, quitte à leur dire les choses en face. De là ce phénomèneangoissant : dans les colloques académiques comme sur la scènemédiatique, la franchise se trouve désormais proscrite. Exprimez ledébut d'un désaccord avec tel "cher collègue", l'esquisse d'unedivergence avec tel "cher confrère", et vous passerez aussitôt pour unebrute.

"Dans l'état actuel des choses, constate le sociologue Bernard Lahire dans sa postface, celuiqui exerce son sens critique est souvent soupçonné d'agressivité, deméchanceté ou de dureté, et ce, indépendamment de la justesse de lacritique. La rigueur intellectuelle est, pour certains, un simple signede rigidité morale ou psychique, et l'exercice de la critique estréduit à une entreprise malveillante, voire terroriste."

LE MOT QUI TUE. UNE HISTOIRE DES VIOLENCES INTELLECTUELLES DE L'ANTIQUITÉ À NOS JOURS. Sous la direction de Vincent Azoulay et Patrick Boucheron. Champ Vallon, "Epoques", 382 p., 27 €.

Signalons l'ouvrage collectif dirigé par Marc Deleplace, Les Discours de la haine. Récits et figures de la passion dans la Cité (Presses universitaires du Septentrion, 348 p., 25 €).


Jean BirnbaumArticle paru dans l'édition du 02.05.09