Essai
Nouvelle parution
P. Bayard, Demain est écrit

P. Bayard, Demain est écrit

Publié le par Nicolas Wanlin (Source : Livre reçu)

Compte rendu dans Acta fabula: Hier est récrit, par Arnaud Welfringer.

 ***

Pierre Bayard, Demain est écrit, Les Editions de Minuit, collection “Paradoxe”, 2005, 160 p.

EAN 270731935

15 €

Présentation de l'éditeur:

La littérature peut-elle prédire l'avenir ? La question se pose devant le nombre d'écrivains qui, d'Oscar Wilde à Virginia Woolf ou de Proust à Kafka, anticipent sur les événements majeurs de leur existence - rencontres, accidents, disparitions - et ne semblent pas seulement marqués par ce qui s'est produit hier, mais par ce qui leur arrivera demain. S'il est vrai que la littérature puise une partie de son inspiration dans le futur, il convient d'en tenir compte dans notre perception des oeuvres et de découvrir des conjugaisons nouvelles, de rechercher les traces stylistiques des événements qui n'ont pas encore eu lieu et de raconter la vie des écrivains dans le bon sens, c'est-à-dire en commençant par la fin.

« Ce livre s'inscrit dans le prolongement des précédents, qui visent tous, en réfléchissant sur des paradoxes de la littérature, à nous en faire percevoir des dimensions cachées, et espèrent par là rectifier quelques préjugés, voire corriger quelques injustices. J'ai ainsi dans deux ouvrages, Qui a tué Roger Ackroyd ? (1998) et Enquête sur Hamlet (2002) révélé, preuves à l'appui, qu'il arrivait à des écrivains de se tromper sur les auteurs des meurtres qu'ils racontent et de laisser en liberté les véritables assassins. Dans Comment améliorer les oeuvres ratées ? (2000), j'ai ouvert un vaste chantier de refonte de la littérature, en partant de cette constatation que même les plus grands auteurs peuvent avoir leurs moments de faiblesse et qu'il revient alors au critique de se substituer à eux. Enfin, dans Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ? (2004), j'ai essayé de montrer que la littérature ne devait pas seulement servir à confirmer les thèses freudiennes, mais pouvait elle-même aider à inventer de nouveaux modèles psychologiques.
Au titre des préjugés qui nuisent à notre accès à la littérature on peut ranger cette idée trop répandue que les oeuvres puiseraient leur inspiration dans ce qui les précède. Mais pourquoi ne s'inspireraient-elles pas également de ce qui les suit ? Chacun connaît des exemples où il est manifeste que l'écrivain avait à l'esprit des événements non pas antérieurs, mais postérieurs à l'oeuvre qui les raconte. Ainsi Rousseau prend-il exemple sur Sophie d'Houdetot pour créer la Julie de La Nouvelle Héloïse, même s'il ne rencontre Sophie qu'après la création de Julie. Émile Verhaeren, pour décrire avec justesse les trains terrifiants qui traversent ses poèmes, n'hésite pas à s'inspirer de l'accident ferroviaire qui lui coûtera la vie. L'oeuvre de Virginia Woolf ne baignerait pas autant dans un imaginaire de l'eau et de la mort si elle n'avait su tirer parti de ce que lui avait enseigné son futur suicide. Et Maupassant ne décrirait pas avec une telle justesse la folie dans Le Horla si lui-même, quelques années plus tard, n'en avait fait la douloureuse expérience.
Pour comprendre que des textes littéraires puissent décrire des événements postérieurs, ce livre examine plusieurs hypothèses. Les hypothèses paranormales qui postuleraient l'existence de forces que nous ne connaissons pas ne sont pas à exclure, mais elles ne sont pas les seules. Les esprits forts se rallieront ainsi aux hypothèses rationnelles et feront remarquer que nous prêtons attention aux coïncidences, mais délaissons les nombreux épisodes de la vie des écrivains qui n'ont pas été annoncés dans les oeuvres. Les psychanalystes mettront l'accent sur la place du fantasme, qui, en se traduisant à la fois en textes et en événements, peut laisser croire que les premiers ont provoqué les seconds. Et on ne peut non plus oublier l'hypothèse selon laquelle la littérature, fonctionnant comme une plaque sensible, serait à même de capter les débuts de séismes psychiques, inaperçus de l'attention consciente.
Quelle que soit l'hypothèse à laquelle on se rallie pour expliquer ces phénomènes, il est important d'en tirer toutes les conséquences dans notre lecture des oeuvres. Ce livre se propose ainsi d'inventer de nouvelles formes de conjugaison permettant de faire sentir que certains événements se situent à la fois dans le passé et dans l'avenir. Il s'attarde aussi à remettre en question notre conception traditionnelle du déterminisme, prisonnière de ce postulat que les causes précéderaient nécessairement les conséquences, alors que les exemples du contraire abondent en littérature. Il propose de reconstruire la stylistique autour de cette idée que les images et les figures d'un texte ne doivent pas seulement être pensées par rapport au passé mais aussi en fonction de l'avenir qu'elles préfigurent.
C'est peut-être dans le champ de la connaissance historique que cette méthode peut le mieux porter ses fruits. Elle devrait permettre en effet, pour des auteurs des siècles précédents que nous connaissons mal, de deviner des événements de leur existence que leurs textes annoncent, voire des événements qui allaient se produire, mais que la mort les a empêchés de connaître. Ainsi est-il possible de raconter avec une assez grande précision la rencontre de Kafka avec la femme qui allait bouleverser sa vie, rencontre dont ses textes donnent une description précise, mais que la mort du romancier a rendue impossible. Il n'est pas jusqu'au genre biographique qui ne mériterait d'être réévalué à la lumière de cette méthode. Le livre comporte ainsi une biographie de Wilde écrite dans le bon sens, c'est-à-dire de la fin vers le commencement. On y voit clairement comment, des dernières années de prison jusqu'à la rencontre avec Alfred Douglas l'amant maléfique, de cette rencontre jusqu'à sa description deux ans « avant » dans Le Portrait de Dorian Gray, et du Portrait aux années de jeunesse et d'enfance, tous les faits de vie et d'écriture s'enchaînent avec une parfaite logique à condition de les saisir de l'avenir vers le passé, chacun entraînant celui qui précède. Et comment à l'évidence, là encore, demain est écrit. » (P. Bayard)