Questions de société

"Ni prof ni chercheur, pourquoi je suis derrière leur mouvement" (S. Quadruppani, Rue89, 24/03/09)

Publié le par Sophie Rabau

"Ni prof ni chercheur, pourquoi je suis derrière leur mouvement",Serge Quadruppani, Rue 89, 24 mars 2009

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Ni enseignant ni chercheur, je souhaite la victoire desenseignants-chercheurs, des étudiants, et des personnels de l'Education, de lamaternelle à l'université.

Je souhaite leur victoire dans leur combat contre la réformePécresse [6] et pour la remise en cause de la LRU et des réformes Darcos, parcequ'il faut nous débarrasser une fois pour toute de l'argument de la luttecontre les « privilèges » brandi par les porteurs de Rolex à 9000euros.

Outre qu'il suffit de s'informer un peu pour vérifier que lesuniversitaires travaillent plus que beaucoup, nous avons l'occasion, en leurmanifestant notre solidarité, de rompre enfin avec la logique dirigeante qui,en s'attaquant aux avantages acquis dans les luttes passées, n'a cessé dedresser des catégories les unes contre les autres.

Cette machine à diviser et à niveler par le bas a déjà trop bienfonctionné aux dépens des intermittents du spectacle et des régimes spéciaux deretraite, avec l'appui plus ou moins direct des syndicats. Il est totalementfaux de prétendre que les enseignants feraient la grève sans risque parcequ'ils seraient payés mais si c'était vrai, il faudrait s'en réjouir.

Sauf chez les esprits totalement soumis à l'impératif néolibéralde concurrence généralisée, quand des salariés s'appuient sur lesparticularités de leur propre statut pour mieux lutter, cela renforce lacombativité générale. Le démontre a contrario la défaite des grèves de 2003dans le secondaire, qui a durablement affecté la combativité des profs,laquelle a bien manqué aux mouvements lycéens qui suivirent. Le retour dans lesrevendications de toutes les professions de l'exigence du paiement des jours degrève, serait l'indice sûr que nous commençons à sortir du laminageréactionnaire des dernières décennies.

Je souhaite la victoire des enseignants-chercheurs parce que lesconditions de production et de transmission des savoirs sont l'affaire de tous,et plus que jamais aujourd'hui parce que le savoir est devenu le principalproducteur de richesse. Parce qu'aussi bien la pesanteur mandarinale que lemépris ultra-radical pour la parole des chercheurs (« Le clapet àmerde » des profs, pour reprendre une tiquunerie d'une célèbreproclamation lors du mouvement anti-CPE) empêchent de comprendre comment lesavoir pourrait être réapproprié et co-produit par tous.

Un seuil nouveau dans la brutalité répressive a étéfranchi

Je n'ignore pas les lourdeurs de l'institution, les jeux depouvoir dont elle se délecte et son incapacité actuelle à définir ce quidevrait être son but : produire des intellectuels critiques et non pasd'impossibles élites de masse. Mais parce que, comme tous ceux qui cherchent àcomprendre le monde, je sais ce que je dois aux travaux de Foucault, Bourdieu,Braudel et tant d'autres universitaires, je ne me résigne pas à abandonnerl'université à des gens qui veulent y appliquer la réduction de toute activitéhumaine au modèle de l'entreprise -cette recette dont les résultatscatastrophiques n'ont pas fini de s'étaler sous nos yeux.

Certes, comme dit Rancière : «  ni l'université nil'école ne sont émancipatrices en elles-mêmes, à la différence des luttes pourles porter au-delà de leur logique actuelle en créant des formes de pensée etde savoir qui excèdent les limites de leurs mécanismes “. Mais cesluttes-là seront infiniment plus difficiles si nous laissons s'installer lacontre-réforme sarkozienne.

Je souhaite la victoire des enseignants-chercheurs et des autresparce qu'un seuil nouveau dans la brutalité répressive a été franchi (gazage àStrasbourg , tabassages à Lyon et à Amiens), les ramenant ainsi au sort commundes opposants à la régression oligarchique -des sans-papiers aux sans-toits enpassant par les délocalisés et tous les exploités.

Programmés qu'ils sont pour répéter en boucle les mantrasnéolibéraux, les gouvernants (et leurs copies ‘de gauche') continuent sur leurlancée comme les personnages de dessin animé poursuivant leur course au-dessusdu vide. A coups de tonfa, ils voudraient nous y pousser avec eux. De larésistance des Guadeloupéens hier et de celle du monde de l'enseignementaujourd'hui peut naître la résistance de tous.