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"Montaigne sur toutes les plages. Le best-seller inattendu d'A. Compagnon", par Th. (lefigaro.fr)

Publié le par Marc Escola

SUCCÈS - Un petit texte d'Antoine Compagnon sur Les Essais bat les records de ventes. Décryptage d'un best-seller inattendu.

Par Th. Clermont, 9/8/13.

http://www.lefigaro.fr/livres/2013/08/09/03005-20130809ARTFIG00437-montaigne-sur-toutes-les-plages.php

C'est une couverture jaune citron illustrée par la silhouette d'un homme supposé chauve, portant fraise en dentelle ; il est assis sur une chaise de jardin, un livre ouvert sur les genoux, à l'ombre d'un parasol. Cet homme, c'est Michel Eyquem, qui fut un temps maire de Bordeaux, plus connu sous son nom de plume: Mon­taigne1 (1533-1592), auteur des volumineux Essais, composés et complétés durant une vingtaine d'années, jusqu'à sa mort. Le titre du petit livre est Un été avec Montaigne, écrit par Antoine Compagnon. C'est un des plus grands succès de librairie de ces dernières semaines, en tête des ventes dans la catégorie essais-documents, selon le dernier palmarès de L'Express. Toutes catégories confondues, selon le classement établi par la Fnac, Un été avec Montaigne occupe même la cinquième place des ventes, derrière Dan Brown 2(Inferno) ou les Cinquante nuances de Grey. Des best-sellers qui seront tombés dans l'oubli dans quelques mois, alors que Montaigne, qui avait pris la plume sous Henri III, perdurera. Apparu en librairie à la mi-mai, Un été avec Montaigne a déjà séduit plus de 60.000 lecteurs. Le cap des 100.000 pourrait être franchi avant la fin de l'été. Le bouche-à-oreille a parfaitement fonctionné, relayé par l'enthousiasme de la journaliste Olivia de Lamberterie sur le plateau de Télématin, fin juin.

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Couverture d'Un été avec Montaigne. Crédits photo : Editions des Equateurs

Comment expliquer le succès inattendu de ce livre de 170 pages au charme fou, propice à une lecture jubilante? Cela tient essentiellement au parti pris d'Antoine Compagnon, polytechnicien, professeur au Collège de France, spécialiste de Montaigne et de Proust, auteur du désormais classique Les Antimodernes. En quarante chapitres, il nous présente une lecture simple, un commentaire pertinent des Essais, à travers les thèmes éternels de l'amitié (celle que Montaigne vécut avec La Boétie), de l'amour, de la mort, de l'inanité de nos faiblesses («le mentir est un maudit vice») ou de nos péchés… Le livre reprend la série d'émissions qu'il avait données sur ce grand peintre de la nature humaine, au micro de France Inter l'été dernier, à l'heure du premier apéritif. Il est édité par les Équateurs, maison d'édition établie sur la côte normande depuis une dizaine d'années et créée par le romancier et essayiste Olivier Frébourg.

Le temps de vivre

Montaigne nous enseigne la nécessité cardinale de prendre le temps de vivre, alors qu'aujourd'hui nous sommes pris dans les tourbillons de la vitesse et dans la servitude de l'immédiateté via le tout-numérique qui a abouti à l'écrasement du présent. Montaigne, cité par Compagnon, confiait: «Quand je danse, je danse: quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promène solitairement dans un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps: quelque autre partie: je les ramène à la promenade.»

Faisant écho à Montaigne, Compagnon nous le rappelle à bon escient: le monde n'est qu'un théâtre, notre vie, une comédie: «La plupart de nos vacations sont farcesques», notait l'homme de la Renaissance. Conçu comme une «marqueterie mal jointe», Les Essais, ce «livre de bonne foi», se prêtent aux picorées, aux flâneries à travers leurs pages sans âge. Il y a un siècle et demi, Saint-Beuve y voyait «une épigramme continue, une métaphore toujours renaissante». Assiste-t-on à un retour de Montaigne? L'auteur est bel et bien dans l'air du temps. Au printemps dernier, une biographie de Montaigne écrite sous la forme d'un guide spirituel par l'Anglaise Sarah Bakewell3 avait été bien accueillie par la critique et le public français. Autre signe, le récent succès rencontré par un autre penseur de la frugalité et de la sobriété heureuse, loin de tout hédonisme échevelé: Pierre Rabhi4. Le mot de la fin, laissons-le à Mon­taigne: «La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l'écoute.» Bonne lecture!

 

Antoine Compagnon: «Une éthique de vie qui n'a pas pris une ride»

-En quoi Montaigne est-il toujours notre contemporain, plus de cinq siècles après sa mort?

Le vif intérêt des Essais est lié aux thèmes abordés et qui sont toujours les nôtres: l'amour, la mort, la vanité, l'amitié, les voluptés, l'amour des livres, la fascination pour la beauté, la maladie… Sans oublier son engagement politique à un moment critique de l'Histoire de France. Montaigne est un humaniste, un partisan de la tempérance, un homme de la modération.

-Comment expliquez-vous  le succès rencontré par Un été avec Montaigne ?

Mis à part l'excellent titre, très séducteur, ce succès public et critique répond à une attente: celle de découvrir ou redécouvrir un auteur classique, un sage, qui a rédigé un véritable exercice spirituel, fragmenté, et ce avec une grande liberté de ton. Reste que cet accueil est aussi réjouissant que déconcertant… L'éthique de vie que propose Montaigne n'a toujours pas pris une ride. C'est également une esthétique, un art de vivre en beauté, qui ne peuvent que séduire. Il nous incite, par-delà les siècles, à profiter, à jouir du moment présent dans sa plénitude, sans appréhension de la mort. D'une certaine manière, il rejoint là son cher Horace et son fameux «Carpe diem»: cueille le jour présent, sans te soucier du lendemain.

-Pensez-vous que votre livre incitera à la lecture des Essais ?

C'est même là son seul et unique but: que l'on retrouve directement et intégralement ces pages magnifiques, et qui sont d'une lecture aisée, vivifiante, malgré quelques chapitres, il est vrai, un peu plus difficiles, notamment celui sur l'apologie du théologien catalan Raymond Sebond. D'ailleurs, les bonnes éditions en format poche des Essais ne manquent pas. Pour ma part, je n'ai joué que mon rôle de passeur, d'intercesseur, avant de m'effacer devant cette œuvre magistrale.