Essai
Nouvelle parution
M.-T. Mathet, L'Irreprésentable.

M.-T. Mathet, L'Irreprésentable.

Publié le par Marc Escola

LIncompréhensible. Littérature, réel, visuel, sous la dir. de Marie-Thérèse Mathet, Paris, lHarmattan, 2003, " champs visuels ", 29 euros.







Cet ouvrage collectif poursuit la réflexion menée dans LEcran de la représentation (compte rendu sur Fabula : http://www.fabula.org/revue/cr/385.php ) ainsi que dans La Scène. Littérature et arts visuels (http://www.fabula.org/revue/cr/134.php ). Il sinscrit par ailleurs dans la perspective de louvrage de Stéphane Lojkine (La scène de roman. http://www.fabula.org/revue/cr/406.php).

Ces ouvrages analysent la façon dont les structures ou configurations internes au texte ouvrent sur le non représentable, quon le nomme incompréhensible, hasard, brutalité, complexité ou " réel " (par opposition à la réalité). Ces transcendances ont été longtemps exclues de la critique par souci de méthode : elles génèrent parfois un rapport extatique aux textes peu propice à lanalyse de leur fonctionnement interne. Pourtant, la quête de lirreprésentable en légitime aussi souvent lorganisation : on a dabord vu comment les multiples écrans structurant images et textes (paravents, tentures, voiles, portes, fenêtres) pointent et occultent simultanément lincompréhensible quils tentent de circonscrire ; on a vu ensuite quune " scène ", quelle soit romanesque, poétique ou théâtrale sorganise paradoxalement autour de ce qui la désorganise (pas deffet de scène sans perturbation). LIncompréhensible, troisième volet de la réflexion, sinterroge sur cet élément hors cadre qui fait paradoxalement tenir du dehors tous les cadres de la représentation.

La première partie du livre (" La tragédie herméneutique ") se place du point de vue du lecteur et pose, avec Jean Bessière, la question de la " pertinence " dans linterprétation des textes. Viennent ensuite les études de D. Wieckowski sur le sonnet en X de Mallarmé, dE. Aragon sur Les Amours jaunes de Tristan Corbière, et dArnaud Rykner sur Henry James. Il sagit de voir à chaque fois comment le texte organise lui-même la résistance à linterprétation. Henri Meschonnic montre enfin comment le rythme du texte régule la lecture tout en faisant achopper le sens (" Le poème, crise de signe ").

La seconde partie, plus narratologique, passe au texte lui-même en sinterrogeant sur le " cur incompréhensible du récit ". M.-T Mathet montre à propos dun roman de Barbey dAurevilly que le vecteur des actions (passions, Destin, inconscient, etc.) soumet le schéma actantiel à des forces échappant paradoxalement à toute catégorisation ; G. Larroux réfléchit sur limportance de la distance dans le système des personnages : un personnage est souvent défini par la distance le séparant de lélément incompréhensible autour duquel le récit se construit. Cet incompréhensible prend lui-même des formes variées : V. Dupuy envisage le rapport à lAutre dans A la recherche du temps perdu, M-T. Mathet le rapport à la vérité dans Bouvard et Pécuchet, P-Y Boissau le rapport à labsurde chez Gogol et Dostoïevski, enfin A. M. Lefebvre le rapport au surnaturel dans la littérature fantastique.

Passant du texte à son univers de référence, la troisième partie sintéresse à la question de la brutalité en littérature, notion moins cadrée et moins symbolisée (sociologiquement et esthétiquement) que la violence. S. Lojkine montre comment la fameuse ironie voltairienne crée du " pas de sens " pour mieux révéler la barbarie des institutions ; G. Plissonneau analyse le lien entre échec de linterprétation et revanche du réel dans Bouvard et Pécuchet. Karla Grierson analyse les témoignages des rescapés des camps de concentration dans une perspective pragmatique : comment représenter ce que personne ne désire se représenter ?

Dans la conclusion, Ph. Ortel approfondit la notion de " dispositif " et tente de comprendre comment le texte articule le nombre fini de ses moyens poétiques et rhétoriques aux différents infinis quil prétend évoquer.