Collectif
Nouvelle parution
M. Symington et de B. Bonhomme (dir.), Libres horizons – Pour une approche comparatiste – Lettres francophones – Imaginaires

M. Symington et de B. Bonhomme (dir.), Libres horizons – Pour une approche comparatiste – Lettres francophones – Imaginaires

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Béatrice Bloch)

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Libreshorizons – Pour une approche comparatiste – Lettres francophones – Imaginaires

CentreTransdisciplinaire d'Epistémologie de la Littérature, UFR Lettres, Nice et éd. L'Harmattan, Paris, janv. 2008, 490 p.

 

Sont réunies dans cet ouvrage plus de cinquantecontributions qui, en littérature comparée, en lettres francophones et dans ledomaine des recherches sur l'imaginaire, présentent un état de la critique etdes analyses actuelles. Ce livre est composé en hommage à Arlette et à RogerChemain, professeurs à l'université de Nice, qui ont oeuvré au Congo,  entretenu des liens avec plusieurs paysd'Afrique et du Bassin méditerranéen, et travaillé à faire connaître  et reconnaître les écrivainsfrancophones d'Afrique. Mais loin qu'il s'agisse d'un simple ouvrage de« mélanges », le livre se présente comme un tour d'horizon de lapensée littéraire contemporaine dans trois champs majeurs francophone,imaginaire et comparatiste.

Se faisant l'écho de méthodes en cours detransformation, le volume apporte un témoignage sur un moment de la critique,au sens plus large de réception, et fait référence aux centres d'intérêts dechercheurs, les uns doctorants, les autres confirmés, dans un éventailintergénérationnel. Chaque intervenant a donné le concentré de ses préoccupationset un aspect représentatif de son travail, observe l'auteur(e) de la préface,Eva Kushner (Canada), longtemps présidente de l'Association Internationale deLittérature Comparée.  Ainsi, un structuralisme repensé reste actif dansla communication d'André Patient Bokiba ; la prise en compte descirconstances politiques semble indispensable à une interprétation en termesd'imaginaire, comme le prouvent l'article de Tanella Boni (Côte d'ivoire): Ecrire en état d'urgence, ou celuide Judith Sinanga Ohlman (Rwanda- Windsor-Ontario), et la lecture se constitueen se dégageant progressivement d'une socio-critique systématique et rigide.Enfin, la mythocritique (Gilbert Durand) redevient, tout en renouvelant sasensibilité, actuelle parce qu'elle s'appuie sur le vacillement de la dominantecartésienne et parce qu'elle s'ouvre à la pluralité des conjugaisonsculturelles, c'est-à-dire à la fois aux « pluriels du beau » (intituléde Jean Bessière) et aux approches pluridisciplinaires (selon le souhait du chercheurroumain Basarab Nicolescu), s'inspirant de l'anthropologie, et de laphilosophie. La psycho-critique et la pédagogie, si nous savons entendre YvesDurand, inventeur de l'AT9, ont icides prolongements.

Les réflexions comparatistes se succèdent, d'aborddiverses. Le ton est donné par Miceala Symington (Faire signe à l'autre - Comparatisme - Francophonie et partage)montrant combien le travail d'Arlette Chemain sur le mythe ne se fait qu'enpassant par la prise en compte du contexte historique et social d'écriture. Lacomparaison que fait Danielle Pastor entre Renoir et Monet introduit aux peintresimpressionnistes, à une époque où la modernité offrait enthousiasme etlibération aux créateurs : Libreshorizons pour de libres vibrations.

Les représentants du Groupe de Recherches Coordonnéesdes Centres de Recherche sur l'Imaginaire participent à l'ouvrage avec unensemble important d'articles en synergie. La réflexion sur l'Antiquitégréco-romaine introduite par Joël Thomas (Camille,vierge et martyre)  montre la genèse et les mutations de cette figuremythique, à laquelle se rattachent les Amazones. Claude-Gilbert Dubois retraceavec Io et Europe, en desparcours fulgurants, un élan qui fait se rejoindre par-dessus le Bosphore, les continents : arc double,texte rigoureux et érudit. Le philosophe Jean-Jacques Wunenburger incite à uneréflexion profonde sur le paradoxe de toute localisation, dans son  Approche herméneutique du Lieu, entreimmanence et transcendance. Michel Maffesoli s'appuyant sur les transformationsdes mentalités actuelles, harmonise culture littéraire et sociologie.

Des oeuvres apparemment « excentrées »,confirment un travail de re-mythologisation qui sourd dans la littérature ou lacritique. L'imaginaire est ré-interprété par Béatrice Bloch observant Biblique du dernier geste de l'auteurantillais Chamoiseau, commedémultiplication. Mounira Chatti interroge la genèse d'un mythe historiqueKanake. Agnès Rogliano croise plusieurs approches, rappelant la traditionorale corse et l'imaginaire de la relation mère-enfant. Y.T. Hassanein d'ElMinia (Egypte) renouvelle l'approche de l'imaginaire du feu. Ilmira Dadvarrevient sur la légende de Simorq. Josiane Rieu, dans « L'imaginaire du miroir, de la fontaine et dela licorne dans la 'Délie' », montre comment Maurice Scève participe àun « ré-enchantement » imaginaire à son époque en faisant se joindreforme pure aristotélicienne et incarnation.

Sous le titre « Contacts de culture », unregroupement d'articles consacré à l'Afrique comme lieu des gestationsactuelles d'écritures, donne une impulsion au recueil. La section conduite parAbel Kouvouama s'enrichit entre autres des contributions de Marc Gastaldi,Abdellah Hammouti, Raphaël Safou, Jean-Baptiste Tati Loutard, et décryptel'hymne à la tolérance qu'impliquent les mémoires d'Hamadou Hampaté Ba.

La section « Orients en miroirs », dont lesecond terme rappelle le projet comparatiste, regroupe les articles concernantle Maghreb, le Liban, et le Makrech, conformément au classement d'Etiemble dans l'Histoire des littératures de« La Pléiade ». Regina Keil, poète et traductrice, ose une prestationinsolite et une mise en résonance des langues arabe, française, allemande.Samira Douider inaugure les recherches reliant Maghreb et Afrique subsaharienne.Szonja Hollosi introduit le regard d'une Europe hongroise nostalgique de laMéditerranée. Seza Yilancioglu donne une voix aux auteurs féminins en France eten Turquie. D'un Orient plus lointain nous parviennent des échos de la Corée duSud, avec l'article de Sookhee Chae, et de la Chine grâce à la contribution deSun Chao-Ying Durand. Daniel-Henri Pageaux interroge une francophonie chinoise.Ainsi se prolonge un échange et un dialogue au « rendez-vous du donner etdu recevoir »  appelé parLéopold Sédar Senghor.  

Dans la partie médiane, le chapitre « Résurgenceset réciprocité » relie destextes de la littérature française intégrés sous l'intitulé « Lettresfrancophones ». Anne Martineau fait le lien entre les chants de l'époquemédiévale et un roman au tournant du XXIème siècle : La dame du Lac gelé, essai sur ‘Geai' de C. Bobin, texte suggestif,éclairé de l'intérieur, légende et récit initiatique autour des lacs demontagnes. A l'orée des siècles classiques, Sylvie Puech dans son Portrait du lecteur en singe gourmand(Thomas More) fait vivre une intertextualité ludique en un texte pleind'humour, érudit et maîtrisé. Jacques Domenech, analysant Le rôle duprêcheur dans les romans apologétiques autournant des lumières, apporte une contribution dense et paradoxale quilaisse entendre combien littérature « mineure » de l'époque etécrivains reconnus (Sade, Laclos) se répondent. Andrée Mansau puise dans lesromans de Stendhal et de Fuentes une méditation sur les tombeaux de Rome. Nekrassof  réactualisé en Ontariopar Adrian van den Hoven, apparaît comme une auto-satire de Sartre parlui-même. Le XXe siècle fait une place à Italo Calvino écrivant en français oumis à la portée du public français par Sandra Garbarino.

Jean-Marie Seillan dans Réflexion sur un genre mineur : le roman aérostatique de Léo Dex,réussit  à montrer avec unevirtuosité pleine d'humour les préoccupations d'un auteur sachant associer autournant du XXe siècle, navigation aérienne, Afrique subsaharienne et éducationdu lecteur. Colette Guedj tresse autour de l'Hexagone, une couronne de versetspoétiques, dits en notre langue autour de la thématique de l'eau comme lieu dejonction : par extension, c'est une vaste culture arabe et africainequ'elle fait revivre Autour de l'altérité, titre qui faitécho aux travaux de Nathalie Duclot. Celle-ci montre comment les héroïnes deMorrison, de Condé et de N'Diaye se construisent non à partir de la communautémais dans la recherche de ce qui fonde leur singularité.

Outre des réflexions sur la littérature, le volumepropose des oeuvres de création : celle Béatrice Bonhomme, poète etvingtiémiste dont les paroles s'insinuent entre les traits du peintre SergePopof. Plus avant dans la publication, une écriture au sens de créationpoétique, tient lieu de points d'orgue. Marie-Hélène Cotoni trace des profilsfortement ciselés dans un récit aux résonances littéraires etphilosophiques, Voltaire, Rousseau, Diderot en arrière-plan (Horizons parallèles). Testimonia de Claire Legendre introduit un récit poétique, nostalgique où se superposent un passéautobiographique, la fidélité aux siens, et la pensée des demeures-refuges, unlac où la barque appareille ... Un poème francophone de la vallée d'Aosteau début du XXème siècle, a sa pertinence, si l'on tient compte de la proximitésavoyarde. Frédérique Monneyron nous entraîne dans une contrée lointaine etfloue où se cherche la communication entre différents milieux, à une époquepost-coloniale.

Les illustrations en contrepoint à cet ensemblelittéraire, suggèrent une évolution perceptible, des tableaux précédents deGilbert Durand aux dominantes beiges, vert-sapin, noir profond (La forêt qui nous regarde) jusqu'auxcouleurs éclatantes de l'oeuvre retenue pour la page de couverture : Le grand bleu, le lac profond.

Le recueil encadré  par la Lettred'accueil de Henri Lopes, et par les Lignes d'avenir  deSimone Vierne : Pour ce quel'imaginaire est (aussi) le propre de l'homme, amorce une« reliance » entre les Lettres et les arts, entre le vécu et le rêve,les attendus de la doxa et l'épreuve de l'écriture. L'émotion n'est plusexclusivement « nègre », ni la raison « hellène ».Subvertissant les formules tant citées, la sensibilité, et la sensualiténourrissent l'écriture, et en modifient la réception, comme en témoignent lesarticles confrontés.

                                                             Arlette Chemain et Béatrice Bloch