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Les genres de l'essai (EHESS, Paris)

Les genres de l'essai (EHESS, Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Laélia Véron)

 

La séance aura lieu de 14h30 à 17h30. Elle est ouverte à toutes et à tous

Le séminaire littéraire des Armes de la critique (SLAC) s’intéresse cette année à la manière dont les genres littéraires peuvent être porteurs, en tant que tels, de discours idéologiques cristallisés, ou refléter par leurs formes une situation historique donnée – Barbéris proposait ainsi de lire le théâtre comme genre par excellence de la société d’ancien régime, et on connaît la fortune des analyses de Lukacs sur le roman comme genre bourgeois. Autrement dit, il s’agit d’aller aussi loin qu’il est possible de le faire dans une analyse matérialiste des genres.

Cette séance, la troisième de l’année, concernera les genres de l’essai : essais proprement dits, pamphlets, manifestes, discours philosophiques, libelles, traités, etc. On les envisagera à partir de deux questions, liées entre elles :

1) Au-delà des tentatives de typologie statique, que peut-on dire de l’histoire de ces genres : quand naissent-ils, comment évoluent-ils, et surtout, pourquoi ?

2) Dans quelle mesure peut-on dire que ces genres sont intrinsèquement porteurs de certaines tendances idéologiques ?

On connaît le grand livre de Marc Angenot sur La parole pamphlétaire (1982), qui caractérise le pamphlet par son tropisme réactionnaire ; inversement, il apparaît que le « manifeste » semble facilement investi d’un contenu progressiste ou révolutionnaire, du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels aux divers manifestes surréalistes, ou à celui des « 343 » pour la légalisation de l’avortement. Ces analyses peuvent-elles être confirmées, infirmées, précisées ? Et peut-on les appliquer à d’autres genres de l’essai ?

Le pamphlet : genre libéré ou concentré d’idéologie ? Vincent Berthelier (ENS Ulm)

À la lumière de plusieurs travaux universitaires (notamment ceux de Marc Angenot et de Cédric Passard) sur la parole pamphlétaire, nous interrogerons le statut de ce genre littéraire et le contexte historique de son apparition, et de sa possible disparition. Le pamphlet est un genre dont les frontières sont instables, il est malaisé de le définir par son support ou sa forme (petit livre, journal, lettre ouverte), et les registres (polémiques et satiriques) qu’il emploie ne lui sont pas propres. C’est peut-être au moyen des déterminations historiques (économiques, sociales, politiques et juridiques) qui pèsent sur lui, et sur l’orientation idéologique que ce contexte favorise, que nous pourrons comprendre la spécificité de ce genre. Enfin, l’analyse du pamphlet comme mode particulier de production d’idéologie nous éclairera sans doute de manière plus générale sur les autres formes de littérature d’idée.

Mise en débat du marxisme et enjeux rhétoriques dans les textes de présentation des revues intellectuelles de l’immédiat après-guerre Thomas Franck (Université de Liège)

À la suite d’une analyse de la mise en débat du marxisme au sein des revues intellectuelles de l’immédiat après-guerre1 et d’une étude de la trajectoire idéologique d’un intellectuel particulier, Gérard Genette, au sein de l’espace des revues militantes2, nous souhaiterions analyser le cas particulier de la revue Socialisme ou barbarie dans une double perspective d’analyse du discours et de philosophie politique. Notre hypothèse serait la suivante : les revues favoriseraient, par leur matérialité discursive et éditoriale, l’émergence de débats idéologiques plus ou moins polémiques et oppositionnels autour du marxisme. En replaçant la création de ces revues dans leur contexte socio-discursif, nous entendons interroger la manière dont les textes de présentation singularisent, tout en les reproduisant, un interdiscours et une socialité bien précis. Si l’étude des articles parus dans Les Temps Modernes et Critique de mai à décembre 1946 a pu mettre en relation une obsession discursive quant aux marxismes orthodoxes et hétérodoxes et à la montée historique du P.C.F., le contexte de création de Socialisme ou barbarie (1949) nous obligera à tenir compte d’événements politiques et culturels divers (Guerre froide, constitution des deux Allemagnes, création de la revue La Table ronde, parution d’articles consacrés aux évolutions politiques et idéologiques dans Les Temps Modernes, Critique et Esprit, Traité de Londres, création de la République Populaire de Chine, centenaire du Manifeste du parti communiste, etc.).

Notre communication se concentrera plus particulièrement sur le texte de présentation de la revue dans ce qu’il dit d’une historicité discursive et idéologique précise. Les textes de positionnement et de repositionnement des revues permettent en effet de dégager un ensemble d’enjeux et de tensions à l’oeuvre au sein de la communauté intellectuelle. Leur caractère plus ou moins affirmatif, parfois à la limite du pamphlétaire, entraîne une série de traits rhétoriques significatifs (attaques ad hominem, questions rhétoriques, allo-attributions, registre polémique, vocabulaire de l’attaque-défense, ironie, etc.), traduisant des positions idéologiques, qu’il sera nécessaire d’analyser dans le premier texte de la revue de Castoriadis et Lefort. L’attention portée aux thématiques marxistes se justifie par la véritable croissance des discours à ce propos dans l’immédiat après-guerre et par le besoin réel qu’éprouvent les intellectuels français de se positionner par rapport au P.C.F. et aux autres mouvances marxistes.

Un rapport particulier se crée dès lors entre le savoir et une certaine temporalité que le genre de la revue met en oeuvre au travers de son éclatement et de sa périodicité. En effet, par la transmission d’un état des travaux non abouti et par l’urgence de sa situation sociale, il permet de saisir sur le vif un savoir en cours d’élaboration, constituant ainsi une forme de « mémoire immédiate » faisant état d’une histoire des idées collectives. Le rythme des publications, les stratégies de positionnement idéologique, la circulation des concepts et la nécessité de répondre aux besoins des lecteurs rendent ces savoirs intrinsèquement dynamiques et critiques, dans une constante interaction entre le monde social et les idées qui le façonnent. Comme le note Yves Peyré, dans Les Revues littéraires au XXe siècle, on trouve, d’une part, un « acte militant à la racine même de la revue » et, d’autre part, la réponse à un besoin de mettre en scène, par une polyphonie de voix, un dialogue agissant sur la réalité sociale et se construisant par le profit de débats, de dissonances et de dissensions internes et externes.