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Les femmes savantes dans les Mille et une nuits

Les femmes savantes dans les Mille et une nuits

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Aboubakr Chraïbi)

Les femmes savantes dans les Mille et une nuits

Colloque International

Tunis 26-27-28 février 2009

Organisateurs :

Hédia Khadhar, Université de Tunis Aboubakr Chraïbi, INALCO, Paris

Manoubia Meski, ISLAIN(Nabeul)

Comité Scientifique :

Claude Bremond, EHESS, Paris

Mounira Chapoutot, Université de Tunis

Aboubakr Chraïbi, INALCO, Paris

Hédia Khadhar, Université de Tunis

Abdelfattah Kilito, Université Mohammed V, Rabat

Ulrich Marzolph, Académie de Göttingen

Argument :

Pour la littérature médiévale, et dans de nombreuses cultures, le savoir s'exprime rarement au féminin. Théologie, médecine, philosophie, géométrie, rhétorique, grammaire, astronomie et astrologie, tout cela est affaire d'hommes. Voilà pourquoi, il y a peu de temps encore, « les femmes savantes » représentaient, en elles-mêmes, le lieu d'une intéressante tension dramatique : une sorte de paradoxe pour tout public, tantôt comique, tantôt frisant le merveilleux et l'extraordinaire, que les récits, les romans, les contes, comme les pièces de théâtre d'ailleurs, n'ont pas manqué d'exploiter.

Si l'on se tourne alors vers les Mille et une nuits, le problème pourrait sembler réglé d'avance : Shahrazâd a fait plusieurs fois le tour du monde comme femme savante, belle, jeune et intelligente, qui a réussi à ramener la paix et la quiétude d'esprit au roi son mari et à tous les habitants du royaume. Mais même Shahrazâd, aussi connue soit-elle, a un passé et un avenir, de nombreuses jumelles, sans doute moins connues, éparpillées un peu partout dans le monde, qui ont joué des rôles similaires ou à qui on a délibérément déformé ou supprimé le rôle. Il suffit de citer ici, par exemple, le thème international de « la jeune fille intelligente » qui sauve son père de la mort et épouse le roi. Mais il est également arrivé à Shahrazâd d'être dépossédée de sa science, au profit d'un vieillard à la barbe blanche (concurrent redoutable, archétype du sage et du philosophe par excellence). Il lui est arrivé même d'échouer dans son entreprise, aussi bien dans des ouvrages orientaux qu'occidentaux, que ce soit sur le mode du pastiche ou bien dans un texte assumé (Naguib Mahfouz, Edgar Allan Poe).

En réalité, même si Shahrazâd tient la vedette et impose de loin sa singularité et son image, les femmes savantes sont bien plus nombreuses dans les Mille et une nuits et, plus généralement, dans la littérature médiévale qu'on ne pourrait le croire. L'autre personnage qui vient immédiatement à l'esprit, à la suite de Shahrazâd, est la jeune esclave Tawaddud : André Miquel a montré qu'il s'agit là d'un personnage exceptionnel, une sorte d'encyclopédie vivante (ANE, I, 408 ; B&M, II, 276), qui possède d'ailleurs son équivalent occidental sous le nom de la « Docte Théodore ».

Deux exemples encore, assez différents de Shahrazâd comme de Tawaddud, en ce sens que l'érudition des femmes concernées, quoique manifeste, est utilisée, ici, d'une manière bien curieuse. Le premier exemple concerne une femme qui a choisi la voie mystique (ANE, I, 291 ; B&M, II, 242), et qui a pris l'habitude de tenir séance, pour enseigner la théologie et admonester son auditoire ; elle entreprend une controverse avec un homme d'âge mûr, fort savant lui aussi, à propos de la supériorité relative, en amour, des deux sexes. L'autre récit concerne deux jeunes femmes, des concubines de Hârûn al-Rashîd, qui vont argumenter l'une contre l'autre à coup de traditions prophétiques, de hadîth, pour savoir laquelle pourra jouir des faveurs du calife et partager sa couche (ANE, I, 205 ; B&M, II, 155). Les deux cas sont particulièrement intéressants, parce que le savoir des femmes est exposé ici pour un usage à la limite du sérieux et du frivole, en ce qui concerne le premier débat (femme/homme) et puis il bascule totalement dans la dérision lors du second débat (femme/femme) : est-ce là, implicitement, les limites d'un tel savoir ?

Il reste une troisième catégorie de femmes savantes, fort puissantes et fort spécialisées : les magiciennes. Celles-ci se manifestent subitement dans le récit, car il s'agit le plus souvent d'un savoir secret. Elles semblent partager leur science non pas avec les hommes, mais d'abord entre elles : un savoir de femme donc ; elles partagent aussi ce savoir avec les démons : cela disqualifie-t-il de telles compétences ? Elles sont filles de paysan ou de boucher, princesses, épouses, reines, et, curieusement, dans plusieurs contes des Nuits, elles ont tendances à être groupées par couple, une bonne et une mauvaise : la mauvaise magicienne trompe son marin et le métamorphose généralement en chien (on trouve d'ailleurs dans les Nuits un avatar de Circé) ; la bonne magicienne reconnaît la créature humaine sous les apparences de la bête et contribue à la libérer, à lui rendre sa forme première et à punir sa rivale (ANE, I, 378 ; B&M, I, 27) . Les sources et les enjeux d'un tel savoir échappent aux hommes, qui en sont les jouets inconscients, et cela semble créer comme une ligne de séparation supplémentaire, au niveau du savoir, entre les deux sexes.

En somme, les Mille et une nuits et leurs avatars dans les littératures arabes et européennes offrent un lieu parfait pour s'interroger sur la place de ses « femmes savantes » en Orient comme en Occident. Cette réflexion sur les enjeux et le partage du savoir pourra se faire selon trois axes, en considérant, comme il a été dit, à la fois les Mille et une nuits et les textes connexes (arabes et non arabes) :

I- Les représentations des femmes savantes

II - Les femmes intelligentes ; les femmes érudites et les femmes expertes en « sciences occultes ».

III- Les enjeux et le partage du savoir entre les femmes et les hommes

ANE: The Arabian Nights Encyclopedia, Ulrich Marzolph et Richard Van Leuwen (dir.), ABC-CLIO, 2 vol., Santa Barbara, 2004.

B&M : Bencheikh, Jamel Eddine et Miquel, André (trad.), Les Mille et Une Nuits, 3 vol., Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 2005-2006.

Modalités de participation

Les personnes désireuses de participer sont priées d'envoyer le titre de leur communication, accompagné d'un abstract (500 signes environ), à Hédia Khadhar ( hediakadar@yahoo.fr ) et à Aboubakr Chraïbi ( aboubakr.chraibi@free.fr ) avant le 31 décembre 2008. Une circulaire comportant de plus amples détails sur l'organisation et les modalités de participation sera envoyée dans le courant du mois de janvier 2008 aux seules personnes dont la communication aura été acceptée.

La durée de chaque communication sera de 15-20 minutes ; elle sera suivie par le commentaire et les questions d'un Discutant (5-10 mn), puis d'un débat. Les langues officielles du colloque seront l'arabe, le français et l'anglais. Les articles destinés à être publiés dans les actes ne devront pas dépasser les 30 000 signes ; ils feront l'objet d'une lecture par les membres du comité scientifique.