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Les cultural studies sont-elles une méthode ? Héritages anglo-saxons et évolutions théoriques (Arras)

Les cultural studies sont-elles une méthode ? Héritages anglo-saxons et évolutions théoriques (Arras)

Publié le par Marc Escola (Source : Anaïs Goudmand)

Les cultural studies sont-elles une méthode ? Héritages anglo-saxons et évolutions théoriques 

Journée d’étude organisée le vendredi 9 avril 2021 à l’Université d’Artois (Arras)

par Gabrielle Adjerad (Nanterre Université),

Anaïs Goudmand (KU Leuven),

Marianne Hillion (Sorbonne Université / University of Warwick)

& Marion Leclair (Université d’Artois).

 

Les communications pourront être présentées en français ou en anglais et les échanges se faire dans les deux langues. Les propositions, ne devant pas excéder 2500 signes et assorties d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer jusqu’au 31 janvier 2021 à je.cultural.studies@gmail.com 

 

Appel à communications (scroll down for English version) 

On fait d’ordinaire remonter les Études culturelles, cultural studies en anglais, au milieu des années 1950 en Angleterre : sont publiés, coup sur coup, The Uses of Literacy (1957) de Richard Hoggart, traduit en français en 1970 sous le titre La Culture du Pauvre, et Culture and Society (1958) de Raymond Williams, dont il n’existe, à ce jour, pas de traduction française.

Deux impulsions distinctes sont ainsi données aux cultural studies. Williams, qui est membre du Parti Communiste depuis les années 1930 et participe activement à la fin des années 1950 au renouvellement de la gauche anglaise autour de la New Left Review, s’inspire ensuite davantage de la critique littéraire marxiste continentale. Il développe dans le reste de son oeuvre une théorie - le matérialisme culturel - des productions et des institutions culturelles entendues comme produits sociaux, qu’il applique à des objets aussi divers que la poésie pastorale du dixhuitième siècle, le roman industriel victorien ou les émissions de la BBC.

Parallèlement, se développe à l’université de Birmingham autour de Richard Hoggart, de Stuart Hall, lui-même très influencé par le marxisme, et d’Angela McRobbie, le Centre for Contemporary Cultural Studies, fondé en 1964. Le centre s’intéresse à la question des rapports de pouvoir qui se jouent dans la culture, et s’interroge plus particulièrement sur les stratégies de résistance des classes dominées, à l’articulation complexe des dominations de classe, de genre et de race, remettant ainsi les usages et la réception au coeur de l’analyse. 

C’est cette deuxième branche des études culturelles britanniques qui semble s’être exportée le mieux outre-Manche et outre-Atlantique. Sans doute l’importance qu’elle accorde aux rapports culturels de pouvoir et de domination rendait-elle relativement aisée son acclimatation à des contextes universitaires marqués par la sociologie bourdieusienne et/ou la déconstruction foucaldienne. La diffusion des cultural studies hors du Royaume-Uni s’est accompagnée d’une dissémination en de multiples sous-champs, qui visent à valoriser des sous-groupes ou des objets culturels historiquement méprisés par le monde académique (fan studies, star studies, comics studies, porn studies, game studies, food studies…), et qui croisent le parcours des recherches consacrées aux minorités (women’s studies, gender studies, queer studies, black studies,…). Les cultural studies ont ainsi contribué à l’intégration progressive au canon des études universitaires de ces objets culturels anciennement dévalorisés - même si l’institutionnalisation des cultural studies en France, sous la forme de départements ou de formations spécifiques, demeure timide.

C’est cette deuxième branche aussi qui a surtout retenu les travaux universitaires qui, depuis une dizaine d’années, se sont intéressés aux cultural studies. Hoggart et Hall, et l’apport des cultural studies à la pensée des identités, étaient au coeur du colloque organisé en 2016 par Maxime Cervulle sur les échanges entre cultural studies et critique marxiste. Ils occupent également une place centrale dans l’Anthologie des cultural studies publiée en 2008 par Hervé Glevarec, Éric Macé et Éric Maigret, ainsi que dans l’ouvrage que Maxime Cervulle et Nelly Quemener ont consacré en 2015 à la question des « théories et méthodes » des cultural studies.

La question de savoir s’il existe un dénominateur commun méthodologique entre ces théories plurielles, au sein du champ dynamique et conflictuel que constituent les cultural studies n’a, elle, pas tellement été posée. Elle mérite pourtant particulièrement de l’être, au moment où l’institutionnalisation des cultural studies en France hypothèque leur possibilité de s’y définir plus longtemps par opposition aux disciplines existantes, comme une anti-discipline -- ou, pour reprendre les termes de Fredric Jameson, comme une « post-discipline ». Jameson fait l’hypothèse provocante d’un dénominateur commun essentiellement politique : plus qu’un programme, les cultural studies seraient, à la fin du vingtième siècle, le nom de l’alliance des différentes franges de la gauche universitaire. Les cultural studies présentent aussi, de façon plus évidente, une continuité thématique, dans leur choix de formes et d’objets culturels historiquement peu valorisés.

Mais l’enjeu de cette journée d’études sera, précisément, d’essayer d’envisager les cultural studies non pas comme un ensemble thématique défini par leur objet, mais comme une méthode. Elle s’inscrit, ce faisant, dans la continuité de deux précédentes journées d’études organisées autour des questions des méthodes de la critique littéraire (« Approches matérialistes du réalisme » et « Pour une critique matérialiste des oeuvres littéraires - quoi ? comment ? pourquoi ? ») par le Séminaire Littéraire des Armes de la Critique (SLAC) de l’ENS - Ulm, dans le cadre duquel le projet de la présente journée d’études a vu le jour. On s’efforcera donc de dégager au sein des cultural studies un parti-pris méthodologique commun, en s’intéressant aux concepts-clés qu’elles ont mobilisés et aux évolutions de leurs usages.

Que reste-t-il des notions héritées de l’approche empirique des textes fondateurs ? Du matérialisme culturel d’un Raymond Williams ? Les cultural studies sont-elles, à proprement parler, matérialistes ? De quels remaniements ont-elles fait l’objet ? Quels concepts tendent à s’imposer de nos jours ? Plus largement, les cultural studies peuvent-elles être considérées comme une méthode, en dépit de leur rejet du positivisme ?

Les contributions pourront explorer les pistes de réflexion suivantes, sans s’y limiter :

Catégories d’analyse : 

  • Les catégories de « populaire » ou de « culture de masse » (Adorno, Ecole de Francfort) sont-elles considérées comme obsolètes par les chercheur.euse.s en cultural studies ? Un relatif effacement du terme « populaire » a été noté par Jan Baetens en 2005, qu’en est-il aujourd’hui ?
  • La catégorie d’hégémonie (ou de domination), a-t-elle, notamment chez Stuart Hall qui l’emprunte à Gramsci, évincé la catégorie de classe sociale ?
  • Les évolutions autour de la notion de résistance : le rejet de la figure du consommateur passif et aliéné a été structurant pour les cultural studies, qui ont cherché à s’extraire de représentations misérabilistes majoritaires pour insister sur le rôle actif et producteur des publics. Plusieurs études viennent désormais nuancer une telle approche et pointent les risques d’idéalisation qu’elle implique. Les questionnements récents des fan studies, par exemple, sont particulièrement éclairants de ce point de vue : à la célébration de la créativité fanique (Henry Jenkins), succèdent désormais des travaux consacrés à la toxicité des fans (Matt Hills).

Méthodologie : 

  • La démarche des études culturelles repose-t-elle avant tout sur un choix d’objet ?
  • Comment le présentisme revendiqué des études culturelles s’applique-t-il à des objets culturels non-contemporains ?
  • La volonté de revaloriser les cultures subalternes est-elle le signe d’un glissement d’un paradigme descriptif vers un paradigme normatif ?

Questions d’ordre institutionnel : 

  • Quelles ont été les relations des Études culturelles dans le champ culturel français avec la sociologie ? avec l’histoire culturelle ? avec l’anthropologie ? avec les sciences de l’information et de la communication ?
  • Comment des paradigmes théoriques comme la théorie postcoloniale ou les études de genre (ou même ethnic studies aux US) se positionnent-elles vis-à-vis de cet héritage marxiste des cultural studies ? Dans quelle mesure peut-on parler de dissociation ?
  • L’essor des cultural studies et des Études culturelles peut-il se comprendre comme le résultat d’une injonction à l’interdisciplinarité qui valorise la polyvalence dans une conjoncture universitaire marquée par une certaine pénurie de postes ?
  • Comment expliquer la place croissante accordée au paradigme d’ « études » (études culturelles, mais aussi études théâtrales ou études de genre) dans le champ universitaire français ?

Are cultural studies a method? 

Cultural Studies are usually traced back to the 1950s and the publication, in close succession, of Richard Hoggart’s The Uses of Literacy (1957) and Raymond Williams’s Culture and Society (1958). While the former was translated into French in 1970 as La Culture du Pauvre, there has been, to this day, no French translation of the latter.

Two distinct paths thus opened to the career of Cultural Studies. Williams, who had been a member of the British Communist Party since the 1930s and was taking in the 1950s an active part in the renewal of the British Left around the New Left Review, drew increasingly on continental marxist literary criticism. In the rest of his work, he developed a theory of culture (both as institution and art) -- cultural materialism -- understood as social product, taking in his stride an impressively varied range of cultural practices, from eighteenth-century classical poetry to the Victorian novel and BBC programmes.

At the same time, Richard Hoggart, joined by Stuart Hall and Angela McRobbie, founded the Centre of Contemporary Cultural Studies in 1964 at the University of Birmingham. Its prime interest was for culture as a field of opposing forces competing for hegemony, and it focused especially on strategies of cultural resistance from the dominated, on the complex articulation of class, gender and race, asserting the significance of a work’s use and reception as an object of study in its own right.

This second branch of Cultural Studies seems to have been more successfully exported than the other across the Channel and the Atlantic. The stress it lays on cultural power relations enabled it to adapt all the better, perhaps, to academic contexts susceptible to the influence of French theory and sociology. As they spread outside Britain, Cultural Studies divided into multiple sub-fields, aiming at the study and revaluation of a range of cultural practices historically devalued by academia (fan studies, star studies, comics studies, porn studies, game studies, food studies…), cross-fertilising minority studies (women’s studies, gender studies, queer studies, black studies,…). Cultural Studies have thus played a part in reshaping academic syllabuses, into which formerly devalued cultural objects have found their way -- even though Cultural Studies departments or degrees are still rarely found in France.

This second branch of Cultural Studies has also attracted the more scholarly interest from academics in the last ten years. Hoggart et Hall, and the contribution of Cultural Studies to identity politics, were at the heart of the conference organised in 2016 by Maxime Cervulle on Cultural Studies and Marxist criticism. They are also given pride of place in the French anthology of Cultural Studies edited in 2008 by Hervé Glevarec, Eric Macé and Eric Maigret, as well as in the 2015 book by Maxime Cervulle and Nelly Quemener on the methodological and theoretical axioms of Cultural Studies.

But the question remains, whether the swiftly evolving, partly conflicting and theoretically varied field of Cultural Studies offers anything like a common methodological ground. Yet, such a question is very much in need of asking, at a time when the institutionalising of Cultural Studies in France compromises their ability to define themselves any longer against existing academic subjects, as an anti-discipline or a post-discipline. Jameson provokingly suggested that Cultural Studies share a political programme more than anything else -- that they are a banner under which the different trends of the academic Left have rallied since the 1980s. The case could also be made for a thematic common ground to Cultural Studies, in their preferred focus on historically devalued cultural practices.

The purpose of this conference, however, will be to try and approach Cultural Studies not as a thematic unit defined by its choice of object, but as a unified methodology. So doing, the conference seeks to continue the work of two previous conferences on the method of literary criticism (“Materialist approaches to realism” and “For a materialist critique of literary works”) organised by the Séminaire Littéraire des Armes de la Critique (ENS - Ulm), within which the present conference on Cultural Studies was first conceived. It will seek to find a methodological common ground to Cultural Studies, by focusing on the key-concepts it has elaborated and on subsequent changes in their uses.

What has been the conceptual legacy of the empirical approach of the founding authors of Cultural Studies? What is left of Raymond Williams’ cultural materialism? Are Cultural Studies, properly speaking, materialist? How have they evolved? What concepts do they chiefly rely on today? More generally, can Cultural Studies, despite their rejection of positivism, be considered as a methodology?

Papers can address, but are not limited to, the following topics:

Concepts & categories 

  • Are such categories as “popular” or “mass culture”, developed by the Frankfurt School in the postwar decades, considered as obsolete by present-day scholars in Cultural Studies? Has anything changed since the constatation made by Jan Baetens in 2005 of a relative decline in the use of “popular”?
  • Has the concept of hegemonic groups or the dominant/dominated binary, inherited from Gramsci via Stuart Hall or from French sociology, replaced that of class?
  • How central to Cultural Studies is the notion of resistance, from the understanding of cultural audiences as active partakers in cultural production (rather than alienated and passive consumers) and Harry Jenkins’s celebration of fan creativity, to the more nuanced focus on “toxic fans” in the works of Matt Hills?

Methodology 

  • Are Cultural Studies essentially defined by their choice of object?
  • How does the militant contemporariness of Cultural Studies apply to non-contemporary works of art?
  • Has Cultural Studies’ ambition to revalue formerly devalued works implied a correlated shift from a descriptive to a normative paradigm of cultural criticism?

Institutional questions 

  • What have been Cultural Studies’ links with sociology in the French academic field? With cultural history? With anthropology? With communication and media studies?
  • Can the rise of Cultural Studies be understood as a response to the growing imperative of interdisciplinary versatility in an academic context where permanent positions are scarce?
  • What is the significance of the recent development of studies (cultural studies, gender studies, theatre studies etc.) within the French academic field?
  • Where do postcolonial theory and gender studies (or ethnic studies in the US) stand on the question of the marxist legacy of cultural studies? To what extent can this be called a dissociation?

BIBLIOGRAPHIE 

Baetens, Jan, 2005, « La culture populaire n’existe pas, ou les ambiguïtés des cultural studies », Hermès, 2005/2, n°42, p. 70-77.

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Cervulle, Maxime et Quemer, Nelly, 2018 [2015], Cultural Studies. Théories et méthodes, 2ème édition, Paris, Armand Colin.

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Hoggart, Richard, 1970, La culture du pauvre : étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, trad. Garcias, F. & J.-C. & Passeron, J.C., prés. Passeron, J.-C., Paris, Éd. de Minuit, « Le sens commun ».

Jameson, Fredric, 1993, « On “Cultural Studies”», Social Text, n°34, p.17-52.

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