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Le fait divers dans la fiction contemporaine : approches stylistiques (Recherches et travaux 2018/1)

Le fait divers dans la fiction contemporaine : approches stylistiques (Recherches et travaux 2018/1)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Laetitia Gonon)

Le fait divers dans la fiction contemporaine : approches stylistiques

Appel pour Recherches et travaux 2018/1

 

Il n’y a pas d’actualité du fait divers, parce que le fait divers est toujours d’actualité : c’est dans les quotidiens des années 1830 que naissent, non pas les faits divers, qui existaient déjà sous la forme de canards, feuilles volantes et autres occasionnels, mais la rubrique qui porte ce nom. Elle rassemble chaque jour de petites nouvelles hétéroclites et juxtapose accidents, crimes, suicides, catastrophes naturelles, cas médicaux étonnants, merveilles de la nature, etc., en particulier « incident[s] de caractère dramatique et, souvent, criminel » (Dictionnaire de l’Académie, 9e édition, 1992-…). Les « chiens crevés », comme on les appelle à la fin du xixe siècle, permettent à partir des années 1860 le développement d’une petite presse non politisée, dont les tirages augmentent considérablement grâce aux faits divers ; on sait l’attrait toujours renouvelé de ces derniers depuis, la fascination un peu morbide qu’ils suscitent, les récupérations politiques dont ils sont l’objet. Le fait divers occupe aujourd’hui les médias papier, électroniques, télévisés, radiophoniques ; il est cité, contrefait, transposé, dans les romans, les blogs, les films, les bandes dessinées, les séries télévisées.

La critique narratologique s’est souvent penchée sur cette forme, parce qu’elle est brève, close, « immanente » comme le propose Barthes (« Structure du fait divers », Essais critiques, 1964) : « point besoin de connaître rien du monde pour consommer un fait divers », qui n’est ni politique, ni scientifique, ni social, relation ou récit pur d’un fait rendu notable par sa « causalité légèrement aberrante », son caractère inexplicable ou les effets de coïncidence qu’il met au jour. Texte court, le fait divers interroge les notions de motifs et mobiles, s’appuie sur les inférences du lecteur, les scénarios attendus et les scripts, quand il ne les déjoue pas ; l’analyse du discours en ce sens permet d’étudier les langages (hétérogènes, citationnels, inférentiels) du fait divers et leurs enjeux. C’est à ce titre qu’une stylistique du fait divers – et donnons à ce mot de stylistique un sens large – peut paraître féconde pour une étude de la circulation dans l’espace social des formes, des informations et des discours, du factuel au fictionnel.

Ce serait en effet un marronnier de la critique littéraire que de revenir toujours sur les faits divers qui ont influencé les romanciers, de l’affaire Berthet qui inspira Le Rouge et le Noir, des coupures de presse que Zola transformait en épisodes de roman, de l’affaire Delamarre qui servit de point de départ à Madame Bovary à l’usage du fait divers par Aragon dans Les Beaux Quartiers, à l’ombre des sœurs Papin portée sur des œuvres comme Les Bonnes ou La Cérémonie, en passant par les plus récents L’Adversaire (2000) d’Emmanuel Carrère sur l’affaire Romand ou Claustria (2012) de Régis Jauffret sur l’affaire Fritzl – sans compter les collages et autres usages du fait divers, par exemple par les surréalistes. Parce qu’il est une information apparemment brute, rédigée de façon presque immuable dans un style stéréotypé, facilement reconnaissable, éminemment imitable, parce qu’il a tendance à saturer l’espace de l’information dans les temps de polémique, le fait divers donne très facilement prise à la fictionnalisation, voire à la fiction – voilà un fait bien établi. C’est donc davantage aux styles et aux langages du fait divers récupéré par l’œuvre fictionnelle ou fictionnalisée que ce numéro de Recherches & Travaux voudrait s’intéresser.

Du fait à la fiction : langages de la transposition

À l’heure où la littérature contemporaine a tendance à se saisir du document non pas pour le fondre dans une narration « réaliste », mais à l’exhiber comme document, dans une hétérogénéité énonciative souvent revendiquée, se saisir d’un fait divers pour en tirer une œuvre ne saurait plus se faire sans la conscience du déjà-vu : il ne s’agirait donc pas d’étudier les transpositions par rapport au fait premier, pour déceler des ressemblances et des différences dramatiques, mais de s’intéresser aux langages qui s’emparent du fait divers, et partant au fait divers comme langage dans l’œuvre qui s’en inspire, le crée, le récrit. Car on ne peut travailler aujourd’hui un fait divers sans une conscience journalistique voire linguistique aiguë de ce type de discours médiatique, que l’on choisit ou non de mettre à distance ; et on ne le traite plus de la même façon lorsqu’on veut en faire un roman ou un scénario depuis De sang-froid de Truman Capote (1966), entre autres manifestations des Non Fiction Novels.

La conscience de l’usage massif du fait divers dans le champ de la narration fictionnelle se lit dans le format même de la parution sérielle : à la suite des romans-feuilletons du xixe siècle, les séries télévisées policières multiplient les épisodes « inspirés de faits réels » ou invitant au contraire à considérer que « toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait fortuite », laissant entendre par là même ce qui peut les rattacher ou non – et même en protestant du contraire – aux faits divers médiatisés. La répétition du même qui hante avec altérations et variations la rubrique du fait divers est en partie la même que celle qui préside aux séries policières que les scénaristes renouvellent à partir des affaires lues dans les journaux, les archives ou empruntées aux séries concurrentes. Un exemple de ce jeu avec les conventions du genre : le film Fargo (1996) des frères Coen s’ouvre sur la mention « Ceci est une histoire vraie » alors même qu’elle a été recomposée à partir de différents faits divers mal situés ; la série du même nom (2014-…), dont la première saison s’éloigne souvent de la trame du film, revendique le même ancrage réel, quand tout semble y être fiction. Du style du fait divers sordide dans ces deux supports filmiques, il y aurait cependant fort à dire.

Projet du numéro

Le numéro de Recherches & Travaux consacré au fait divers dans la fiction contemporaine se voudrait ainsi résolument fondé sur une ou des approches stylistiques : il s’agira donc de se demander selon quels procédés, empruntés ou non au journal, mis à distance ou non, a lieu la transposition (ou la création) de tel(s) fait(s) divers dans telle(s) œuvre(s). L’approche pourra ainsi être narratologique, d’analyse du discours, stylistique, sémiologique : c’est bien au langage qu’il faudrait être sensible, que ce dernier ait par ailleurs comme support le texte, littéraire, paralittéraire, ou l’image, cinématographique, dessinée, télévisée. En effet ce n’est pas seulement la matière brute de l’information qui retient les auteurs : c’est l’événement déjà médiatisé par le texte public, c’est la mise en forme des faits par les journalistes, ce sont les phrases recueillies ici ou là, répétées et déformées.

 

Propositions

Parce que le fait divers connaît aujourd’hui plusieurs supports médiatiques, il s’agira de rassembler de façon interdisciplinaire des analyses stylistiques – au sens large qu’on a voulu prêter à ce mot – qui s’intéresseront à une ou plusieurs œuvres dont il serait possible de motiver le rapprochement. Les propositions pourront s’appuyer sur un ou plusieurs axes de réflexion présentés ci-dessous, et qui ne sauraient évidemment être exhaustifs :

            – Sur le plan rhétorique et stylistique, l’œuvre adopte-t-elle un ton journalistique en usant de la phraséologie ou de collocations reconnaissables, crée-t-elle des faits divers fictifs et dans quels termes, comment se compose-t-elle autour d’un document ou de textes premiers issus du journalisme, avec quelle hétérogénéité énonciative ou quelle littérarisation des textes journalistiques ?

            – Sur le plan de la structure narrative, comment l’œuvre adapte-t-elle en récit – ou par le refus du récit – ce qui constituait auparavant le fait divers, comment recompose-t-elle les épisodes, joue-t-elle sur les codes journalistiques, sur ceux de la sérialité, en termes de suspense, curiosité, causalité, personnel narratif ? Si elle crée des faits divers fictifs, ou qu’elle revendique une inspiration réelle, quels sont les enjeux et les effets de cette filiation parfois faussement établie au seuil du récit ?

            – Sur le plan de la poétique des genres plus précisément, toute transposition de fait divers se fait-elle par la médiation du récit ? Ce dernier semble en effet la forme la plus naturelle et la plus propice à pareille transposition ; mais certaines œuvres adoptent-elles d’autres formes, qui tenteraient de dé-narrativiser le fait divers – et en ce cas, par quels procédés ?

            – Sur le plan social et médiatique, quels liens l’œuvre entretient-elle dans son espace narratif avec les nouveaux médias, comment met-elle au jour le rôle du fait divers dans la construction d’une information et dans la représentation du sensationnel, voire du sensationnalisme ? De quoi le fait divers est-il le signe ou la forme dans l’actualité telle que la représente la fiction contemporaine ?

Les propositions d’article (1 page environ), accompagnées d'une courte notice biographique, sont à adresser à Laetitia Gonon (laetitia.gonon@univ-grenoble-alpes.fr) et Pascale Roux (pascale.roux@univ-grenoble-alpes.fr) pour le 15 août 2016.