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Le défi libertaire (Limoges)

Le défi libertaire (Limoges)

Publié le par Marc Escola (Source : Till Kuhnle)

Le défi libertaire

Colloque international et pluridisciplinaire à la FLSH de Limoges, du 24 au 25 novembre 2016

L’ambivalence de la notion de liberté est un enjeu majeur de toute pensée thématisant le rapport entre individu et collectivité, entre autonomie régionale et pouvoir central, entre action individuelle et dogme.  Dans l’histoire des idées, c’est la pensée libertaire qui cherche à faire valoir l’individu dans son autonomie. Elle s’inscrit autant dans la philosophie politique que dans les domaines des arts et des lettres, soit sous forme d’une revendication, soit dans le but concret de réaliser des visions utopiques à travers de projets concrets  - comme la création de communautés autonomes et d’ateliers d’artistes ou des actions écologique et altermondialistes.  Souvent identifie – tantôt pour des bonnes raisons, tantôt à tort –   à l’anarchiste, le libertaire peut aussi être considéré comme l’héritier d’un certain libéralisme radical aujourd’hui mis à mal dans nos « démocraties modernes ».

En effet, le défi libertaire reste pertinent  – dans un monde où la sécurité et l’économie priment sur individu et son intégrité, où les derniers représentants du libéralisme politique se résignent,  où la « République des algorithmes » avec son système d’évaluations transforme les sociétés, où l’habeas corpus finit par se transformer en corpus habent.

L’accent du colloque sera mis sur la question de l’autonomie de l’individu ou des collectifs humains à travers l’histoire des idées ainsi que sur ses représentations. Un autre centre d’intérêt sera l’impact d’une attitude libertaire dans les arts (mail art, street  art, graffitis…) et dans l’action politique (guerilla gardening, flash mob, squatting…).  Pour certaines pistes à explorer, veuillez consulter l’argumentaire plus détaillé  que vous trouverez en annexe.

Le colloque s’adresse à toutes les disciplines du domaine des lettres et des sciences humaines. Le comité scientifique prêtera pourtant une attention spéciale aux propositions axées sur l’approfondissement théorique de la notion de « libertaire ».

Organisation                                                             Directeurs :

EHIC (EA 1087)                                      Till Kuhnle, Philippe Colin, Luis Fe-Canto

Comité scientifique:

Ioan Pop-Curşeu (Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca), Henning Krauß (Augsbourg),, Robert Reimer (University of North Caorlina, Charlotte), Jean-Marie Grassin (Limoges), Betrand Westphal (Limoges), Christine de Buzon (Limoges) et les organisateurs du colloque.

Agenda :

Le colloque aura lieu du 24 au 25 novembre 2016 à la FLSH de l’Université de Limoges. Les propositions (titre  provisoire,  résumé,  laboratoire de rattachement, CV succinct) seront à adresser aux trois organisateurs  avant le 20 juillet 2016 ;  le comité scientifique se réunira le 30 juillet 2016.  Comme nous envisageons une sortie rapide des actes, nous avons fixé le 20 décembre 2016 comme date butoir pour la soumission des articles qui seront soumis à un comité de lecture.

 

Annexe

Le défi libertaire – argumentaire 

L’ambivalence de la notion de liberté est un enjeu majeur de toute pensée thématisant le rapport entre individu et collectivité, entre autonomie régionale et pouvoir central, entre action individuelle et dogme… Chez Rousseau, la volonté générale primait la volonté individuelle – et ainsi la liberté de la nation celle des individus. La Révolution adopta pour devise la formule trinitaire de « liberté, égalité et fraternité » préconisant ainsi un concept de liberté qui soumet la liberté individuelle aux impératifs éthiques exprimés à travers les deux autres concepts de cette formule. La pensée des Lumières en Allemagne en revanche mettait l’accent sur l’action individuelle en postulant l’impératif catégorique (Kant) ou en déclarant que l’État est fait pour les hommes et non pas les hommes pour l’État  (Lessing) ; dans la littérature du Sturm und Drang, ce fut le culte de l’individu insoumis (Goethe : Götz de Berlchingen, Schiller : Les Brigands) dont allaient s’emplir maints auteurs de la Jeune Allemagne.

Pour le libéralisme anglais, l’État doit protéger notamment la liberté des entrepreneurs. Raillé par Marx et Engels, Max Stirner défendait même la liberté totale de l’individu.  Malgré sa vision de l’homme égoïste, ce « jeune hégélien » a pourtant fourni un instrument de réflexion permettant de scruter le fond idéologique de tout discours tenu sur la liberté.  En 1857, dans une lettre adressée à Pierre Proudhon, Joseph Déjacque,  opposa le « libertaire » au « libéral » pour dénoncer les déboires du capitalisme. Dorénavant, le terme « libertaire » sera souvent associé à l’anarchisme. Dans les années 80, un jeune sociologue français, Jean-Marie Guyau, qui attira l’attention de Nietzsche avec son Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction et son étude sociologique L’Irréligion de l’avenir, pose les fondements d’une éthique libertaire.

Dans son essai La Morale anarchiste (1889), Pierre Kropotkine cherchait à dépasser l’impératif kantien : « Le bonheur de chacun est intimement lié au bonheur de tous ceux qui l'entourent ». Seul une société respectant ce principe saurait parer les instincts destructeurs. Cela va à l’encontre a ce nihilisme qui, s’appuyant souvent sur une lecture erronée de Nietzsche, se repend dans toute l’Europe. Un courant plus doctrinaire, en revanche, naquit avec l’anarcho-syndicalisme de Georges Sorel, auteur des Réflexions sur la violence – livre prisé par les futuristes et par Mussolini. En France, par ailleurs, on continue à parler d’un « anarchisme de droite » qui est situé dans les sillons d’auteurs comme Céline. Reste à noter qu’aux États-Unis, un autre courant de droite qui revendique une sorte d’anarcho-capitalisme est appelé «les  libertarians ».

En Allemagne, les auteurs libertaires et anarchistes jouaient un rôle particulièrement important dans les mouvements révolutionnaires à la fin de la Première Guerre mondiale. En outre, Michael Löwy constate depuis cette époque l’influence croissante d’un judaïsme libertaire sur la pensée critique. Celui-ci repose sur une interprétation du messianisme selon laquelle la rédemption dont nécessairement se produire dans l’Histoire (Sholem, Benjamin, Buber).

Dans le domaine hispano-américain les idéaux libertaires ou anarchistes ont eu une influence durable. Le dynamisme violent des protestations agraires andalouses, l’action directe, l’anticléricalisme, le poids mythique d’organisations anarchistes telles que la « Mano Negra » ou le rôle clé du syndicat anarchiste CNT dans l’organisation de la lutte ouvrière dans les villes espagnoles firent de l’Espagne une terre de choix pour les anarchistes européens dans les premières décennies du XXe siècle. L’Espagne put même devenir la terre de l’utopie anarchiste pendant les premiers mois de la Guerre Civile espagnole. Ce désir d’utopie traversa aussi l’Atlantique pour prendre racine dans les terres américaines. Il y laissa une empreinte durable faite des parcours littéraires et politiques très visibles dans les premières décennies du XXe siècle. Dans ce contexte, par ailleurs, il ne faut pas oublier la littérature anti-belliciste dans le cadre colonial (par exemple les guerres pour le contrôle du Rif marocain entre 1909 et 1927). C’est cette idée de parcours et de présence des figures anarchistes dans la société et littérature hispanique qui constitue le fil rouge entre le passé et le renouveau des idéaux anarchistes ces dernières années.

La « greffe » libertaire fut d’autant plus vigoureuse en Amérique Latine (et tout particulièrement dans le cône sud) qu’une certaine tradition de défiance voire même de rupture face aux structures impériales puis républicaines s’était installée parmi les
populations métisses, noires et indigènes. Ainsi, à la fin du XIXe siècle le genre littéraire « gauchesque » constitua-t-il, en Argentine, une célébration nostalgique du mode de vie et des formes d’expression culturelles libertaires des gauchos. Au cours de la même période, l’arrivée massive d’immigrés européen en quête d’une vie meilleure dans le Nouveau Monde déboucha sur l’émergence d’un puissant mouvement ouvrier anarcho-syndicale radicalement anti-politique. Mais l’idéologie libertaire ne fut seulement l’apanage des masses ouvrières paupérisées et désenchantées : dès la fin du XIXe siècle son influence s’étendit à une fraction importante de l’intelligentsia littéraire en Argentine et dans d’autres pays d’Amérique Latine. Même si l’anarchisme, qui a connu un brutal déclin à partir des années 30, ne constitue plus aujourd’hui une force politique et idéologique significative en Amérique Latine, il peut être tentant de le rapprocher de certains courants indianistes contemporains – on pense tout particulièrement au mouvement néo-zapatiste dans l'état du Chiapas au Mexique.

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’esprit libertaire animait les contestataires des années 68 revendiquant « l’imagination au pouvoir » ainsi que les mouvements écologiques et pacifistes. Mais c’est avant tout dans le domaine des arts qu’il reçut un nouveau souffle avec des courants comme Fluxus ou les situationnistes (Guy Debord, Vaneigem).  

Maints penseurs nord-américains, à l’instar de Marcuse ou Chomsky, s’inscrivent alors dans cet élan libertaire.  En retour, les courants libertaires nord-américains, nourris de sources hétéroclites comme le transcendantalisme de Thoreau ou d’Emerson du XIXe siècle, le mouvement contestataire autour du procès de Sacco et Vanzetti dans les années 1920, le African-American Civil Rights Movement,  jusqu'au mouvement pacifiste de la contre-culture en passant par la beat generation (Kerouac, Ginsburg et comparses), vont durablement influencer la pensée émancipatrice européenne.

Pour la pertinence de cette manière de penser, on peut citer maints exemples comme la renaissance d’un Camus « libertaire » ou le travail des caricaturistes de Charlie Hebdo, sans pour autant oublier les whistleblowers (lanceurs d’alerte). En effet, le défi libertaire continue – dans un monde où la sécurité et l’économie priment sur l’individu et son intégrité, où le néolibéralisme finit par effacer toute distinction entre gouvernants et gouvernés, où les derniers représentants d’un libéralisme politique se résignent,  où la « République des algorithmes » avec son système d’évaluations transforme les sociétés, où l’habeas corpus finit par se transformer en corpus habent.

L’accent du colloque sera mis sur la question de l’autonomie de l’individu ou des collectifs humains à travers le contexte historique esquissé ci-dessus et la philosophie politique ainsi que sur sa représentation en littérature et au cinéma. Un autre centre d’intérêt sera l’impact d’une attitude libertaire dans les arts (mail art, street  art, graffitis…) et dans l’action politique (guerilla gardening, flash mob, squatting…). D’ailleurs, ancien fief de la Résistance, le Limousin peut être considéré comme une terre d’accueil privilégiée pour les communautés d’artistes et des différents groupes d’inspiration libertaire.