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La revanche des victimes ?

La revanche des victimes ?

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Daniel Palmieri)

LA REVANCHE DES VICTIMES ? NOUVELLES APPROCHES DE L'HISTOIRE VICTIMAIRE

COLLOQUE INTERNATIONAL
SOUS L'EGIDE DU COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE (CICR), DU MUSÉE INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE ET DU CROISSANT-ROUGE ET DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE, AVEC LE SOUTIEN DU FNRS ET DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE GENÈVE


MUSÉE INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE ET DU CROISSANT-ROUGE
GENEVE 30, 31 MARS -1er AVRIL 2006


Les victimes sont parmi nous. Tel est du moins le constat que l'on pourrait tirer d'un survol discours médiatique, politique, juridique ou scientifique depuis la chute du Mur de Berlin. Telle est aussi l'actualité qui sous-tend le questionnement de ce colloque international. L'omniprésence des victimes, de ces civils soumis collectivement à des violences disproportionnées sinon injustes, suscite de nombreuses interrogations. Par le rappel constant de destinées tragiques, elle stimule une réelle envie de connaître les circonstances qui les façonnèrent. Mieux encore, de par son caractère récent, elle incite à questionner les raisons même de son apparition subite sur la scène publique et à se demander à quelle réalité cet "engouement victimaire" correspond en histoire.

Cet intérêt est double. Il s'agit non seulement de tenter d'évaluer la place des victimes dans le passé, mais surtout d'examiner la place des victimes dans la science du passé, quitte à explorer en dernière analyse dans quelle mesure la dynamique du rapport aux victimes en histoire est corrélée à l'évolution du rapport aux victimes dans l'histoire. A cet égard, on peut dégager trois moments cruciaux qui structurent l'ensemble de la réunion scientifique prévue :

La reconnaissance des victimes. Parler des victimes présuppose qu'on les a reconnues et qu'elles sont dignes d'intérêt, voire de considération. A l'encontre du "vae victis" romain ou du récit forcément glorieux et intégrateur de la Nation, les annales contemporaines semblent accorder une attention toujours plus soutenue à ceux qui ont fait les frais des mouvements majoritaires. Ce mouvement s'inscrit en continuité du courant historiographique des années 1960-1970 qui, à l'image des travaux de Nathan Wachtel ou de Bronislaw Geremek, se préoccupait de faire valoir le point de vue des exclus et des opprimés. Il a pris une ampleur renouvelée dans les années 1990. Tout d'abord, il apparaît dans le cadre de la déconstruction du national entreprise à l'orée du bicentenaire de la Révolution française. Il gagne ensuite en importance à la faveur de l'ouverture des archives concernant la Seconde Guerre mondiale. Enfin, il est soutenu et amplifié par l'annonce des massacres perpétrés en ex-Yougoslavie comme au Rwanda.

Fortement influencée par une actualité chargée, la reconnaissance des victimes ne laisse pourtant d'interroger. De fait, les événements jubilaires, politiques ou sanglants qui ponctuent la fin du XXe siècle ne sauraient suffire à expliquer l'engouement du public pour ceux qui, jusqu'alors, étaient surtout considérés comme des perdants. Ce constat exige de décortiquer les mécanismes temporels (générationnels), spatiaux (globalisants), institutionnels (démocratiques), sociaux (communautarisme) ou psychologiques (individualisme) qui sont à l'origine de cette prise de conscience générale du phénomène victimaire… et des problèmes qui lui sont liés.

La concurrence des victimes. Reconnaître les victimes consacre leur changement de statut. En moins d'une dizaine d'années, le pas est franchi qui les mène de non-sujet à celui de protagoniste valable, puis à celui de héros de l'histoire. A ce titre, accorder une reconnaissance aux victimes incite celles-ci à revendiquer cette identité. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que des groupes toujours plus nombreux entreprennent d'activer le souvenir de souffrances passées. Il n'est pas rare que plusieurs d'entre eux puissent alimenter leur mémoire victimaire à la même source, soit à la même situation traumatique. Ainsi que l'a montré Jean-Michel Chaumont à l'exemple des camps de la mort nazis, il en résulte une classification puis une hiérarchisation des victimes. Cet état de fait conduit à une véritable concurrence dont l'enjeu majeur est de faire connaître et admettre l'injustice fondamentale des violences endurées. Face à la multiplicité des revendications de ce type, on observe la volonté, voire la nécessité identitaire de prétendre avoir subi un malheur unique, d'une intensité inégalée et inégalable.

Quoique compréhensible et déjà fort bien appréhendé, le mécanisme pose encore de multiples questions. Comment faut-il comprendre l'héroïsation des victimes et, partant, la rivalité qui se manifeste entre elles ? Quels sont les étalons employés pour évaluer le degré de souffrance atteint ? S'agit-il là de normes universelles ou d'aunes de mesure culturellement définies ? Enfin, quelles sont les conséquences de ce phénomène et, surtout, quels en sont les risques ?

Le nivellement des victimes. Revendiquer le statut désormais enviable de victime ne se limite bientôt plus au cercle des civils qu'on aime à définir comme tels. De nos jours, on semble assister à une véritable généralisation des prétentions victimaires. Cette universalisation peut prendre des aspects éclatants, sinon choquants, surtout lorsqu'elle présente des bourreaux, soucieux de se dédouaner en se déclarant eux-mêmes victimes des exactions qu'ils auraient été contraints de commettre. Elle peut aussi adopter des contours plus flous, quand elle incite à noyer des populations diverses, aux malheurs variés, dans une victimisation commune. Cette prétention élargie au statut de victime, abusive d'un point de vue qualitatif ou quantitatif, aboutit à son nivellement, tant il est vrai qu'elle conduit à réduire ce qui faisait la spécificité même de cet état.

Telle est du moins l'hypothèse qui sera testée lors de la dernière partie de cette réunion scientifique. Il s'agira alors d'évaluer la validité de cette analyse et l'efficacité heuristique du concept ainsi avancé. La question sera donc de peser le rôle que joue cette banalisation victimaire à la fois dans l'histoire et en histoire. Mieux encore, on se demandera si cette évolution, tout en garantissant l'omniprésence des victimes dans la sphère et le discours publics, ne constitue pas un retour au statu quo ante, à savoir à la négation de leur spécificité.

En termes plus généraux, ce colloque devrait stimuler une réflexion sur la (re)découverte des victimes comme un phénomène typiquement démocratique, né d'une aspiration toujours plus universelle au bonheur et à la justice puis menacé par ces mêmes aspirations, soit par la multiplication des revendications victimaires auxquelles elles auront donné lieu. Mieux encore, cette manifestation devrait permettre de comprendre si la transformation des victimes en héros constitue un véritable changement de statut, indice et agent d'une amélioration des rapports humains, ou s'il s'agit d'une modification éphémère dont les historiens se feraient l'écho sinon les complices.


Programme

JEUDI 30 MARS 2006 (18H00-20H00)

CONFÉRENCE INAUGURALE : ANNETTE BECKER (Paris X)


VENDREDI 31 MARS 2006 (14H00-17H00)


OUVERTURE DU COLLOQUE :
ROGER MAYOU (MICR)
CHRISTOPH CONRAD (Université de Genève)



LA RECONNAISSANCE DES VICTIMES

Discutant : YVAN DROZ (IUED)
IRÈNE HERRMANN (Université de Fribourg), DANIEL PALMIERI (CICR) : Présentation.
JEAN-MICHEL CHAUMONT (Université catholique de Louvain) : De la victime passive à la victime-acteur.
JAMES J. ORR (University of Illinois): Victims and their Others: Exploring constructions of war victim identity in post-World War Two Japan.
CAROLINE ELKINS (Harvard University): Victims and perpetrators, perpetrators and victims: Coming to terms with Kenya's colonial past.

Samedi 1er avril 2006 (9h00-12h00)


LA CONCURRENCE DES VICTIMES

Discutant : PHILIPPE BURRIN (IUHEI, à confirmer)
DENIS PESCHANSKI (CNRS, Paris I) : Mémoires de la France des années noires: l'impossible convergence?
NICHOLAS STARGARDT (Magdalen College, Oxford University): A German Trauma?
PIETER LAGROU (Université Libre de Bruxelles): Victims, Culprits and the Question of the Post-War justice.

Samedi 1er avril 2006 (14h00-17h00)


LE NIVELLEMENT DES VICTIMES

Discutant : CHRISTOPH CONRAD (Université de Genève)
TONI PFANNER (CICR – International Review of the Red Cross): The ICRC and the victims.
SOPHIE WAHNICH (CNRS, Paris) : Pour en finir avec l'intolérable:  la généralisation du paradigme victimaire.
JACQUES SÉMELIN (CERI, IEP, Paris) : Quand les bourreaux se présentent comme des victimes.

Organisateurs: Isabelle Benoit (MICR), Christoph Conrad (Université de Genève), Irène Herrmann (Université de Fribourg), Roger Mayou (MICR), Daniel Palmieri (CICR), Marie-Dominique de Preter (MICR)