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La notion de matiere  littéraire au Moyen Âge

La notion de matiere littéraire au Moyen Âge

Publié le par Marion Moreau (Source : Christine Ferlampin-Acher)

La notion de matiere littéraire au Moyen Âge

Colloque international organisé par le CELLAM-CETM (université Rennes 2),
le CESCM (université de Poitiers), avec le concours de l’Institut Universitaire de France
Poitiers, les 12 et 13 mars 2015 ; Rennes, les 21 et 22 mai 2015

Tous les médiévistes ont un jour cité Jean Bodel :
« Ne sont que .III.  matieres a nul home antandant :
De France et de Bretaigne et de Rome la grant. »  
ou Chrétien de Troyes :
« Del Chevalier de la charrete
Comance Crestïens son livre,
Matiere et san li done et livre
La contesse et il s’antremet
de panser […] » .
Pourtant la lecture de bien des textes soulève des questions du type de celle que pose M. Szkilnik dans L’Archipel du Graal : « Si Jean Bodel avait lu l’Estoire del Saint Graal, à quelle matière l’aurait-il rattachée ? » , d’autant plus que la fin du Moyen Âge semble pratiquer ce que Richard Trachsler appelle « l’interférence des matières » .


On s’interrogera sur la fréquence en ancien et moyen français des emplois de ce mot matiere (voire de ses équivalents en latin médiéval et dans d’autres langues). On questionnera la métaphore qui sous-tend ce terme matiere (ainsi que le latin materia, voire ses équivalents dans d’autres langues médiévales). Qu’est-ce qu’une matière pour un théologien, pour un auteur d’encyclopédie, pour un médecin ? L’apport de l’histoire des sciences pourrait se révéler important pour comprendre la métaphore sous-jacente à l’emploi littéraire.
Cet emploi littéraire devra être explicité. Quelle est la relation entre la matiere d’un objet et celle d’un texte ? Qu’est-ce que la matiere d’un texte médiéval ? Dans quelle mesure, dans quelles perspectives, le terme se décline-t-il dans les débuts de la théorie littéraire  ? Le mot semble avoir plusieurs acceptions, qu’il s’agira de cerner, soit à l’intérieur d’une œuvre isolée, ou d’un corpus (autour d’un même auteur, d’un même « genre »…). En quoi les divers emplois du mot matiere peuvent-ils être éclairés par la notion littéraire ? Que désigne le mot par exemple dans Ici avroit asés a dire, / Mais n’afiert pas a ma matire  ? De même quel est le sens de matire dans Qui bien trueve pleins est d’ire/ Quant il n’a de matire point  ?Quels sont les équivalents de matiere et les termes associés? Des approches sémantiques s’imposent.
À l’image du texte comme tissu se superpose nécessairement celle du matériau, voire du bois de charpente. Nous comprenons le texte comme tissu , mais qu’implique le terme matiere ? Comment la matiere s’articule-t-elle avec les notions de sen et conjointure que Chrétien de Troyes lui associe ? La matière semble désigner un matériau préexistant, des sources qu’il s’agit de mettre en forme, d’ordonner et proposer sous une nouvelle forme, aussi bien que le résultat, la production . Les arts poétiques, les prologues, épilogues, et interventions de l’auteur pourront par exemple être mis à contribution, pour voir à quels moments privilégiés des textes et comment l’écrivain évoque sa « matière ». Matiere dans cet emploi, que l’on retrouve en français moderne, est un élément constitutif de tout texte, littéraire ou non, dont la valeur doit être précisée. Quelles approches théoriques sont-elles pertinentes pour aborder cette notion ? Comment articuler la notion de genre ? Comment s’opère l’articulation de la matiere à l’intertextualité ? Quel est l’apport des théories de la réception et des théories de la fiction  ? Dans quelle mesure la « transfictionnalité » élaborée par Richard Saint-Gelais  permet-elle d’appréhender les pratiques médiévales ?
On pourra s’interroger, à partir de la citation de Jean Bodel, sur la validité de cette répartition en trois matieres. Où la rencontre-t-on ? Quel est son champ d’applications ?  Quelle est sa fréquence ? A-t-elle des variantes ou des formes concurrentes ? Dans quelle mesure rend-elle compte de la production littéraire, du XIIe au XVe siècle ? L’ « interférence des matières » n’est-elle qu’une dérive tardive ? On se posera finalement la question de savoir si la formule de Jean Bodel n’a pas faussé la perspective des médiévistes. L’attrait qu’exerçait sur la pensée médiévale la tripartition a pu inspirer à Jean Bodel ce trio de matière. Si la notion de matiere est pertinente, on pourra alors s’interroger sur l’existence d’autres matières. Dans quelle mesure existe-t-il une matière renardienne ? Peut-on parler de « matière de Guillaume »  ? Peut-on parler d’une matière biblique ou de Judée ?
L’empan de ce questionnement est particulièrement vaste : on privilégiera les communications questionnant la notion de matière, le sujet n’étant pas la suite de la citation de Jean Bodel, à savoir les caractéristiques de trois matières. Le but de ces rencontres n’est pas de discuter le côté vain ou plaisant de la matière de Bretagne, ou le sérieux de la matière de Rome, mais d’évaluer la pertinence herméneutique à la fois du terme matiere et de la répartition bodélienne. Ce point implique de s’interroger sur les caractéristiques des trois matières, mais le problème ne sera pas de savoir si tel ou tel texte appartient à la matière de Bretagne ou de Rome, mais de voir si ces matières constituent vraiment un horizon littéraire, tout au long du Moyen Âge ou à un moment donné. Il serait également intéressant d’interroger la pertinence de la tripartition bodélienne pour d’autres littératures : a-t-elle influencé la littérature médiévale allemande, par exemple ? Quel équivalent avait-on en ancien allemand pour désigner la matière, sachant que stof signifie « coupe » (Lexer, 1216) et que le moderne Stoff, qui désigne la matière, est probablement un néologisme emprunté du français « étoffe », les représentations de la matière et du tissu étant en l’occurrence superposées (Adelung, 397).
De même, malgré les exemples fondateurs qui basent la réflexion sur les textes des XIIe et XIIIe siècles, il faudra explorer la façon dont des périodes plus tardives et d’autres genres (théâtre, lyrique, didactique) emploient et infléchissent ce mot.
Les champs suivants sont donc proposés à la réflexion, sans limitation :
1. Approche lexicale : domaines d’emploi et sens du mot matiere. Configurations sémantiques du mot ; changements de sens lors du passage du latin vers le français (ou dans le sens inverse) ; est-ce le français matiere qui conditionne le sens du latin materia dans les arts poétiques, ou l’inverse ? Quels sont les équivalents du mot dans d’autres langues ?
2. Valeurs et enjeux de l’emploi métaphorique du terme en littérature : à quelle conception du travail d’écriture et du rapport aux sources et aux genres le terme matiere  renvoie-t-il ?
3. Approches théoriques : Matiere et genres littéraires, matiere et théorie de la réception, Matiere et intertextualité, matiere et théories de la fiction, matiere et transfictionnalité… Articulations des approches.
4. Délimitation et interférences des matières. Emplois du terme matiere en dehors du champ narratif. Si les citations de Jean Bodel ou Chrétien ont souvent conduit à ce que matiere soit employé dans le champ narratif, l’emploi, très large, du terme invite à explorer d’autres genres de la littérature médiévale.
5. Le poids de la tripartition des matières dans l’histoire de la critique : quelle est la pertinence de la tripartition mise en avant par Jean Bodel ?

Les propositions sont à transmettre à Catalina Girbea et Christine Ferlampin-Acher avant le 1er septembre 2014.
Catalina Girbea catalinagirbea@yahoo.fr
Christine Ferlampin-Acher ferlampin.acher@orange.fr
Merci d’indiquer votre nom, votre institution d’appartenance, votre adresse électronique, et de présenter un titre et un résumé (entre 10 et 20 lignes).


Comité scientifique :
M. Aurell, C. Ferlampin-Acher, Cl. Galderisi, C. Girbea, D. Hüe, F. Pomel.