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Appels à contributions
La notion de décentrement

La notion de décentrement

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Sylvie Camet)

Revue de la Bibliothèque

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, Tunisie

À la suite des élections du 23 octobre 2011 en Tunisie, les différents partis vont s’atteler à la rédaction d’une nouvelle constitution. Une telle entreprise, dont on sait la rareté, implique non seulement des décisions aiguës, mais des choix conscients, dont les implications se feront sentir durablement. Si le pouvoir juridictionnel est sur le point d’être délégué, il ne doit pas se substituer définitivement à la réflexion collective, et c’est, environné, porté, encadré par l’ensemble de la société qu’il doit développer ses travaux.

Le concept de constitution peut être revendiqué par la philosophie comme lui appartenant, c’est-à-dire, qu’avant d’entrer dans l’espace du juridique, il appartient au domaine des idées. Ce sont donc les principes sur lesquels se fonde cette constitution qui vont nous intéresser, et cette notion de principe relève de notre champ de compétence.

Toutes les institutions sont concernées par cette réflexion et l’institution universitaire plus que d’autres peut-être. Dans l’idée de participer intellectuellement à cette élaboration collective, la Faculté des Lettres er des Sciences Humaines de Sousse souhaite se doter d’une revue interdisciplinaire, en trois langues (arabe, anglais, français), sorte de tribune où les contributeurs pourront confronter leurs intuitions, leurs recherches, leurs points de vue, se rencontrer autour de thèmes donnant cohérence au questionnement.

Cette revue, fondée par la Bibliothèque universitaire, doit permettre à cette dernière de développer son fonds et de s’ouvrir à un public d’étudiants et d’enseignants travaillant loin de Sousse. La spécialisation en Sciences Humaines, qui doit se concrétiser dans les mois à venir par un grand projet d’achat, prendra deux directions privilégiées :

·celle de l’Anthropologie (dans l’idée d’ouvrir un Département dans cette discipline),

·celle des Littératures Comparées (dans l’idée d’obtenir une bibliographie de référence alors que l’instauration du système L.M.D. a donné une place nouvelle à cet enseignement dans le cursus des Lettres Modernes)

La mise en oeuvre de ce projet comporte trois étapes :

1.      constitution du comité de lecture et du comité éditorial

2.      expertise du fonds actuel et modalités de fonctionnement de la Bibliothèque : journées de rencontre entre professionnels du livre invités à partager leur expérience

3.      organisation d’une journée d’étude dont le contenu servira de support à la rédaction du premier numéro

Nous lançons donc simultanément trois appels :

1.      au recrutement des membres du comité de lecture

2.      à la participation aux journées d’expertise : conservateurs, bibliothécaires, documentalistes, éditeurs…  16 et 17 janvier 2011

3.      à la participation à la journée d’étude fixée au 25 février 2012

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Journée d’étude : La notion de décentrement

Nous nous intéresserons à la dynamique des processus de transformation : luttes, passages, transferts, frontières, concernant aussi bien les individus, les institutions que les oeuvres et les disciplines.

Les hommes, comme le dit l’Introduction à la psychanalyse, ont subi au cours de leur histoire trois grandes humiliations : avec Copernic, la terre n'est plus le centre du monde, il leur faut renoncer à l’idée de lieu ; avec Darwin, l'homme n'est plus fils de l'homme, c'est-à-dire descendant d'Adam, mais le produit d'une simple évolution, il leur faut renoncer à la généalogie, à l’histoire ; avec Freud, la raison n'est plus maîtresse, le psychisme échappe, il leur faut renoncer à la toute-puissance. Si l’on en croit cette récapitulation incisive, l’histoire des hommes est celle de leurs décentrements successifs. Si le terme d’humiliation marque ces grandes étapes comme autant de revers endurés, les conséquences de ces changements d’optique ont été d’une importance décisive et les connaissances en ont chaque fois grandement bénéficié.

Se mettre à la place de l’autre, voir avec ses yeux, c’est bouleverser les perspectives, découvrir d’autres modes d’approche, s’ouvrir à autrui et du coup avancer. Penser, c’est encore ôter le moi du centre, dissiper son image toujours envahissante et présomptueuse : humilier l’amour-propre, modifier la perspective qui nous place complaisamment au centre de notre propre monde, celui où nous prenons nos habitudes.

Les champs d’application de la notion de décentrement sont innombrables :

L’objet que se donnent la Psychanalyse, l’Ethnologie, l’Anthropologie, se fondant sur « un perpétuel principe d’inquiétude, de mise en question » (Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966), produit un décentrement du sujet par rapport à ses propres références -le confrontant à l’étrangeté de la diversité culturelle-, par rapport à l’illusoire omniprésence et toute-puissance de sa conscience -lui faisant découvrir les profondeurs inconscientes de la psyché-.

Mais bien sûr, dans le domaine des Arts et de la Littérature toutes les réflexions portées sur le sujet comme moteur ou non de la création ont ici leur validité. En outre, le décentrement en littérature consiste dans les approches comparées, permettant de relativiser la perception que l’on peut avoir d’une littérature nationale. Donner une voix à ceux qui n’en ont pas, permettre l’accès à la parole aux femmes, aux hommes de toutes les origines sociales ou ethniques, revient donc à penser un pluralisme littéraire qui s’efforce d’arracher à sa position confortable une production régie par des intellectuels assumant en quelque sorte de droit la fonction de communication. La notion de décentrement a été largement utilisée par les études post-coloniales, en montrant comment certaines puissances impérialistes ont considéré les pays annexés comme des satellites, dont les productions ne pouvaient constituer que la forme mineure de leur propre production. La séparation absurde entre littérature francophone et littérature française en conserve la trace manifeste.

Songeons à cette pensée de Pascal qui affirme : « C’est là ma place au soleil : Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre ». S’il s’agit là d’une critique de la propriété, nous pouvons comprendre le mot dans son acception la plus large, et proposer qu’en Histoire, en Géographie, on s’interroge sur ce qui fonde les territoires et engendre l’exclusion. Les sociétés, les règnes se définissent toujours comme des centres, affichant mérite, voire excellence, jouissant toujours de la supériorité d’une appartenance et méprisant ou ostracisant ce qui n’en est pas. Des oppositions naissent, qui se doublent d’un jugement de valeur, Nord/Sud, Capitale/Province, Premier Monde/Tiers Monde… La liste infinie des différences sous-entend toujours le couple domination/subordination.

Toute enquête rigoureuse conduit l’enquêteur à quitter la situation confortable qui est la sienne pour accepter temporairement d’adopter un autre regard, par cette approche latérale, biaisée, détournée, oblique, mettant à mal les certitudes, provient la réelle découverte.

Pour revenir à notre introduction, c’est-à-dire aux conditions historiques concrètes de la Tunisie, les contributions à la revue doivent ainsi permettre la confrontation entre les points de vue internes et externes, pour que de ce heurt naisse une réflexion authentique.

N.B. : Les propositions de communication pour la participation à la journée d’étude de février 2012 doivent parvenir à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Sousse avant le 15 janvier 2012, sous la forme d’un résumé de 10 à 15 lignes (les consignes précises quant au format pour la publication  seront données à la suite de la rencontre). Les propositions d’articles –sans communication– sont également prises en considération pour la Revue.

 

Adresse électronique :                         decenterment@gmail.com