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La « libération » des camps de concentration et d’extermination nazis

La « libération » des camps de concentration et d’extermination nazis

Publié le par Perrine Coudurier (Source : FMD)

 

La « libération » des camps de concentration et d’extermination nazis

 

Résumé

Dans un Reich en décomposition, la « libération » des camps de concentration et d’extermination nazis n’est pas intervenue comme un événement temporel unique, mais emprunta des voies et des processus différents, échelonnés dans le temps et l’espace et dictés par les circonstances locales et la guerre en cours.

Evacuations et libérations se conjuguèrent dans un contexte d’ambiguïté des ordres et des hiérarchies, où les initiatives criminelles et l’effacement des preuves furent une constante, au milieu d’une population allemande agressive, terrorisée par le parti nazi et inquiète de la proximité potentiellement menaçante de ces détenus faméliques et malades.

De leur côté, les détenus, pressentant le dénouement imminent, tentaient de survivre et s’organisaient clandestinement. Ils n’échappèrent pas ponctuellement à des règlements de compte. Les conditions de leur retour furent liées au déroulement des combats, aux décisions des autorités militaires libératrices et fonction des bouleversements géopolitiques intervenus en Europe.

Au-delà d’aspects événementiels souvent mal compris ou interprétés, il convient de s’interroger sur leur mise en récit et sur les représentations que les uns et les autres entendirent donner des événements.

Argumentaire

La « libération des camps de concentration et d'extermination nazis » ne s’est pas produite au même moment ni de la même manière partout, tant s’en faut. Elle est survenue, dans le sillage des armées alliées sur les fronts de l’Est et de l’Ouest, à une période où le régime nazi se désintégrait tout en se radicalisant, et dans des circonstances tellement différentes qu’il est impossible de parler de libération comme d’un événement unique. La notion d’événements libérateurs paraîtrait à cet égard plus opératoire.

Il convient, de plus, de distinguer du phénomène « libération des camps » proprement dit celui des « évacuations », processus complexe qui s’échelonna au moins sur l’ensemble de la dernière année de la guerre, avec en particulier la publication de l’ordonnance de Himmler du 17 juin 1944 relative aux consignes générales sur le maintien de l’ordre dans les camps de concentration, connue sous le nom un peu énigmatique de « cas A ». Cet ordre fut transmis aux officiers supérieurs de la police et de la SS (HSSPF), désormais investis de l’autorité suprême sur les camps en activité en cas d’approche des armées alliées. Du fait de ces évacuations, les armées alliées progressant à l’Est comme à l’Ouest ne libérèrent généralement que des camps où ne se trouvaient plus que des détenus malades et intransportables et dont les installations de mise à mort avaient été totalement ou partiellement détruites, comme à Auschwitz en janvier 1945. Les camps encore en activité et densément peuplés (comme Buchenwald, Bergen-Belsen, Dachau et ceux du triangle Mauthausen-Gusen-Ebensee en Haute-Autriche) ne furent libérés qu’au printemps 1945.

Cependant, l’intrication des événements à la guerre, l’hostilité d’une grande partie de la population allemande envers ceux qu’elle avait toujours considérés et continuait à considérer comme de dangereux ennemis du Reich, l’incohérence des ordres d’Himmler, source d’interprétation divergentes des décideurs locaux, le climat général de brutalité des responsables du parti qui n’épargnait pas la société allemande elle-même, apparaissent comme la trame d’un épisode aux facettes multiples qui coûta la vie à 300 000 détenus, dont les victimes des marches de la mort, en quelques mois. Il subsiste encore nombre d’interrogations quant aux intentions des responsables nazis et des responsables des camps, et quant au sort final réservé aux détenus.

Du côté des victimes, la sortie de l’univers concentrationnaire, si elle ouvrait des espoirs de liberté retrouvée, restait encore bien angoissante dans ses perspectives et ses modalités et faisait l’objet d’une très grande attention et mobilisation des organisations clandestines, là où il en subsistait. Il est par ailleurs légitime de s’interroger sur le rôle joué par les comités internationaux clandestins juste avant et au moment de la libération des camps et sur la part de vengeance et de violence que généra aussi cet évènement, tant chez les libérateurs que parmi les détenus eux-mêmes, avec parfois l’encouragement des soldats alliés.

Mais cette sortie de l’univers concentrationnaire nazi fut aussi largement tributaire des dispositions arrêtées par les armées libératrices, tant pour les rapatriements qu’en raison des mesures prophylactiques ou des hospitalisations qu’imposait l’état des détenus. Sans compter que le contexte international de l’après-guerre et celui politique, économique et social interne de certains pays d’Europe centrale, comme la Pologne, contribuèrent à priver parallèlement certains rescapés, en particulier juifs, de patrie, tandis que d’autres, en Union soviétique par exemple, étaient accueillis sous le signe de l’opprobre et du déshonneur, voire de la trahison.

Au-delà de la perspective événementielle proprement dite, qui concerne surtout l’historiographie, le dossier entend poser également le problème des représentations. Non seulement les photos prises et les documentaires tournés au lendemain de la libération des différents camps (les corps décharnés, les piles de cadavres, les fossés communs, etc.) servent à toucher l’opinion publique, et à mobiliser la conscience universelle par une pédagogie de l’horreur, outre leur valeur de preuves pour les futurs procès des responsables. Toutefois, comme ce fut le cas dans le complexe Mauthausen-Gusen-Ebensee, certaines scènes qui n’ont pas pu être captées sur le vif seront « rejouées et mises en scène » quelques jours plus tard.

Des survivants élaborent dans leurs témoignages écrits un véritable mythe de la libération, voire de l’auto-libération, des camps, qui vise à sortir les ex-détenus de leur rôle de victimes et à les doter d’un statut de combattants à l’égal des résistants. Ces constructions post-événementielles, qui suivent les clivages de la Guerre Froide et dont il convient d’étudier les stratégies rhétoriques et les enjeux idéologiques, n’entrent pas moins dans la constitution de la mémoire de la déportation que les reconstructions savantes des historiens. Si l’événement de la « libération des camps » reste dans une large mesure incompris, sinon méconnu dans ses différentes dimensions et versions, ce n’est pas dû uniquement à des lacunes factuelles au niveau historiographique, notamment s’agissant des décisions anarchiques des derniers responsables, mais aussi à l’absence d’une interrogation sur les « pourquoi » d’une mise en récit et d’une mise en image tout autres qu’innocentes.

Les nombreux écrits et témoignages touchant à cette période abordent des vécus particuliers, mettent la focale sur l’environnement immédiat, mais n’apportent pas d’éclairage d’ensemble aux événements. Si bien que l’évènement « libération des camps » reste, dans une large mesure incompris, sinon méconnu dans ses différentes dimensions que de nombreuses disciplines continuent d’interroger.

C'est en définitive le regard porté sur le temps long, sur les aspects interprétatifs de cette période, tant par les historiens que par les témoins avec l’apport de toutes les disciplines qui peuvent en éclairer la portée politique et humaine,  que ce dossier entend interroger à la veille des commémorations du 70e anniversaire.

 

Bibliographie

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Lalieu Olivier, La Zone grise. La Résistance française à Buchenwald, Éditions Tallandier, Paris, 2005.

Lowe Keith, L’Europe barbare 1945-1950, Éditions Perrin, Paris, 2013.

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Sellier, André, Histoire du camp de Dora, Éditions La Découverte,‎ Paris, 1998. 

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Von Wrochem Olivier (Hg.), Skandinaviem im Zweiten Weltkrieg und und die Rettungsaktion Weisse Busse. Ereignisse und Erinnerung (Reihe Neuengammer Koloquiem ; Bd. 2), Éditions Metropol, Berlin, 2012.

Wormser-Migot Olga, Quand les Alliés ouvrirent les portes, le dernier acte de la tragédie de la déportation, Éditions Robert Laffont, Paris, 1965.

 

Echéances

Les propositions de contributions doivent être envoyées à la rédaction de la revue (revue.en.jeu@gmail.com) au plus tard le 30 avril 2014. Elles doivent comporter : nom et prénom, qualités de l’auteur ; le titre de la contribution et un argumentaire d’une quinzaine de lignes accompagné d’une courte bibliographie.

Une réponse sera donnée le 15 mai 2014. Les contributions retenues seront à remettre le 1er octobre 2014 au plus tard (maximum 30 000 signes, espaces et notes compris).

Rédacteurs en chef : Frédéric Rousseau (Université Montpellier III), Yves Lescure (directeur général de la FMD).

Coordinateurs du dossier : Michel Fabréguet (IEP de Strasbourg), Peter Kuon (Université de Salzburg), Yves Lescure (directeur général de la FMD).