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L'Oeuvre de Mme d'Epinay écrivain-philosophe des Lumières

L'Oeuvre de Mme d'Epinay écrivain-philosophe des Lumières

Publié le par Camille Esmein (Source : Jacques Domenech)

L'OeUVRE DE MADAME d' EPINAY ECRIVAIN-PHILOSOPHE DES LUMIÈRES. Université de Nice, 23-24 novembre 2006.

Le CTEL, en collaboration avec l'Équipe « Autour de Jean-Jacques Rousseau » du CNRS Paris IV Sorbonne, organise « Les Journées Mme d'Épinay » les 23-24 novembre 2006 à l'Université de Nice Sophia-Antipolis.

La problématique à étudier concerne l'établissement, l'édition et la réception de l'oeuvre, avec, comme corollaire, le statut de l'auteur, longtemps sous-estimée au XIXe et XXe siècles. L'oeuvre, « tableau des moeurs du temps » pour Sainte-Beuve et les Goncourt, a très souvent été sollicitée, utilisée, dans le meilleur des cas, pour illustrer sur le vif L'idée du bonheur dans la littérature et la philosophie françaises du XVIIIe siècle, comme l'a fait excellemment Robert Mauzi. D'autres emplois n'étaient pas dépourvus d'arrière-pensées. Soucieux de faire oublier une écriture de soi encombrante, Gustave Charlier posait une question pertinente mais intéressée : ne faudrait-il pas situer les Pseudo-Mémoires, entre les Confessions du Comte de *** de Duclos et les Liaisons dangereuses ? Le rapprochement se veut certes flatteur. Bien des critiques, à l'image d'Émile Henriot, s'en tiennent au pire, c'est-à-dire à la vision partiale, voire fantasmée, de la polémique entre frères ennemis, entre Rousseau et les philosophes. Le rôle de Mme d'Épinay, la diversité de son oeuvre sont caricaturés, négligés, oubliés ou gommés par les éditeurs, les commentateurs et les critiques qui occupent seuls le terrain de ce combat artificiellement ressuscité. Mme d'Épinay meurt en 1783. Il faut attendre 1951 pour que l'Histoire de Madame de Montbrillant, ouvrage posthume publié de manière tronquée en 1818, puisse être lu dans son intégralité. A. Brunet, P. Volland, P. Boiteau, L. Enault, G. Roth, E. Badinter, chaque éditeur a « baptisé » l'oeuvre, lui a attribué un titre selon un choix commercial ou un parti pris personnel. Dans le meilleur des cas, l'initiative singulière reflète une lecture et une conception de la nature de l'oeuvre.

I° Philosophie et pédagogie avant Émile :

Qualifiée ironiquement de « philosophe » à dix ans, d'après l'Histoire de Madame de Montbrillant, Mme d'Épinay s'est révélée comme « Philosophe » au sens de Bayle et de Dumarsais. Mme d'Épinay conserve l'esprit de ceux qui ont collaboré à l'Encyclopédie dans sa participation aux tâches de la Correspondance littéraire. La recherche et l'innovation pédagogiques constituent un thème de prédilection dans son oeuvre. Cette préoccupation apparaît liée à l'écriture de soi et à l'écriture féminine dans l'Histoire de Madame de Montbrillant. Son originalité surgit dans les Lettres à mon fils, publiées « à Montbrillant », lieu de naissance symbolique de cette femme de lettres, où elle imprime ses premières oeuvres. La référence à la morale de sentiment, fondement non confessionnel de la morale pour la plupart des philosophes des Lumières – de Montesquieu à Rousseau, de Voltaire à Diderot - est permanente. Mme d'Épinay structure son discours pédagogique autour du « coeur », de la « vertu » et du « bonheur » et annonce ainsi une transcendance proche de la « conscience, instinct divin, éternelle et céleste voix » d'Émile. Le parti pris philosophique et humaniste se retrouve dans ses Conversations d'Émilie livre où sa petite fille est mise au centre de l'oeuvre (Leipzig,1774). Cette oeuvre est couronnée en 1783 par l'Académie française, institution où les philosophes et leurs partisans majoritaires avait élu d'Alembert secrétaire perpétuel. Il appelait de ses voeux un catéchisme philosophique qui se substituerait, pour les générations à venir, aux catéchismes religieux. L'émancipation de la femme, l'éducation préconisée pour le fils et la petite-fille passent par une laïcité bien comprise, une conception de la philosophie qui n'est soufflée par personne. On a trop présenté Mme d'Épinay comme une femme de lettres sous influence.

II Épistolarité et philosophie :`

L'épistolarité, constante et dominante dans cette oeuvre bien caractéristique d'un siècle philosophe, est donc devenue le genre choisi pour la composition et la parution de sa première oeuvre d'importance, les Lettres à mon fils (Genève, 1759). L'Histoire de Madame de Montbrillant, oeuvre posthume, est publiée en partie, de manière tronquée, en 1818. L'éditeur Brunet n'a vu dans cette correspondance illustre qu'un argument commercial. Le titre « correspondance » est donné aussi par Volland qui réédite. Se pose désormais le problème des lettres véritables et de celles qui ont été rédigées pour les besoins de sa création originale : Henri Guillemin fait le tri en 1941, Georges Roth répond par son édition de 1951. Mais fictives ou vraies, toutes les lettres de cette correspondance se révèlent centrées sur Mme de Montbrillant/Mme d'Épinay. Mme d'Épinay trouve un autre épanouissement d'écriture dans la Correspondance avec l'abbé Galiani (cinq volumes, éd. Desjonquères, Paris, 1992-1997). Une étude anglo-saxonne (A woman, a man and two kingdoms, Francis Steegmuller, New York, 1991) étudie cette oeuvre singulière à quatre mains qui confirme des talents de Mme d'Épinay. C'est par une lettre à Galiani que Mme d'Épinay réagit au livre de A. L. Thomas sur Le caractère, les moeurs et l'esprit des femmes (1772).

III L'écriture féminine dans l'ensemble de son oeuvre :

Des « nouvelles » ou plutôt un « théâtre/roman » de Mme d'Épinay paraît un an après le Paradoxe du comédien. Ce sont deux « comédies » créées pour être lues plutôt que représentées, publiées dans la Correspondance littéraire, puis par Maurice Tourneux (A. Lemerre), éditeur de Diderot. L'amitié de deux jolies femmes et Un rêve de Mlle Clairon : ces deux oeuvres ne seraient-elles pas plutôt deux « dialogues » à la Diderot ? À diverses occasions, Mme d'Épinay aide Diderot qui dirige la Correspondance littéraire pendant les absences de Grimm, notamment en 1771. Cette année-là, elle donne ces deux « dialogues » à la demande de Diderot. Ces deux textes furent adressées aux abonnés royaux et princiers de Grimm... Elle supplée ainsi à la disette des comptes rendus dramatiques dont elle était chargée. Jean-Jacques Rousseau fait un commentaire plutôt défavorable dans les Confessions sur ce goût pour l'écriture théâtrale. On a la confirmation, dans l'Histoire de Madame de Montbrillant, qu'il s'agit d'un thème de prédilection dans les dialogues impliquant Desbarres/Duclos sur l'éducation, Garnier/ Diderot sur un dialogue qui reprend des thèmes du Supplément au Voyage de Bougainville… Et que dire de l'écriture pathétique de certaines lettres, du journal qui sert l ‘écriture de soi au féminin de Mme de Montbrillant/d'Épinay.

IV Mme d'Épinay/Mme de Montbrillant : écriture de soi ou fiction ? autobiographie déguisée ou autofiction ? :

Mme d'Épinay a publié, sous l'anonymat, son premier écrit, à caractère autobiographique, Mes moments heureux (Genève, 1758), qui l'a fait connaître de son vivant. Mme d'Épinay ou Mme de Montbrillant ? Depuis la parution posthume de l'Histoire de Madame de Montbrillant , en 1818, chaque éditeur a voulu donner un titre à cette oeuvre hybride. S'agit-il d'un « long roman », de « mémoires », d'hybridation dans l'écriture de soi ? Pourquoi ce choix d'écriture ? Pourquoi singer la fiction ? Pourquoi n'y a-t-il pas d'introspection véritable ? L'autobiographie de convenance se pare d'un « long roman » complexe et singulier. Portrait, autoportrait, journal, miroir épistolaire d'une femme en mouvement : son existence, sa naissance, son émergence sont rapportées par elle-même. Mme d'Épinay se constitue, devient femme des Lumières par l'écriture. L'événement le plus important, celui qui mérite tous les efforts, c'est bien celui-ci, cette formation, cet effort pour exister en tant que telle. Il faudrait même jouer sur le mot "histoire", pourtant si fréquent dans la littérature de l'époque pour donner le change, l'illusion… Une histoire en trompe l'oeil d'une autobiographie d'un caractère inédit. Elle sollicite la diversité des témoignages, suscite la multiplicité des points de vue, un « roman vrai », des « mémoires » subtilement agencées sous une hybridité romanesque ? Pour cette aristocrate qui se découvre écrivain philosophe, la manière importe. Le curieux choix, la démarche insolite de Mme d'Épinay est étonnamment moderne : l'individu est lui-même le sujet de l'oeuvre, et l'oeuvre montre le souci essentiel de l'écriture de soi. L'innovation, la curiosité, le reflet masqué mais non occulté du réel, de la "vraie vie" caractérisent une oeuvre soucieuse d'une écriture autre… qui fait des choix créatifs résolument modernes. Une esthétique et une ,éthique spécifiques, propres à Mme d'Épinay ont évolué, le livre s'élabore à l'image des chefs-d'oeuvre du dernier quart du XVIIIe siècle, en particulier ceux de Rousseau et de Diderot.

V Prolégomènes à toute bibliographie, biographie et à l'établissement d'oeuvres complètes :

Femme de salon à la Chevrette, hôtesse de Jean-Jacques Rousseau à l'Ermitage, collaboratrice de la Correspondance littéraire de Grimm et Diderot. Mme d'Épinay a vécu parmi ses « ours » qu'elle a su apprivoiser au moins pour un temps : Duclos, Francueil, Rousseau, Grimm, Diderot… Elle parvint aussi à imposer souvent son point de vue à son « voisin » ministre de la Police Sartine. L'affaire de l'interdiction de la lecture des Confessions peut être mentionnée, mais aussi tout ce qui aida les philosophes, l'abbé Galiani en profita. Tout ce qui a pu servir pour nuire à Mme d'Épinay ne doit pas être oublié. Sa notoriété, la réception de l'oeuvre en ont souffert. Mécénat et philosophie, l'esprit des Lumières marque l'ensemble de son oeuvre. De l'écrivain « amateur » aux écrits « de commande », Mme d'Épinay s'est affirmée comme véritable écrivain philosophe des Lumières. C'est ainsi qu'elle fut considérée par les gens de lettres fort distincts, comme son ami Galiani, Voltaire, d'Alembert, d'Holbach, Saint-Lambert, Marmontel… Dépourvue d'esprit de système, Mme d'Épinay a constitué un corpus original et novateur. L'oeuvre, même si elle fut partiellement et mal éditée, jouit d'un rayonnement international, notamment en Italie, en Allemagne et dans les pays anglo-saxons où l‘on trouve éditions, traductions et ouvrages critiques (Ruth P. Weinreb., Eagle in a gauze cage, New-York, 1993). Les écrits de Mme d'Épinay ne mériteraient-ils pas une concrétisation de cet intérêt partagé ? Deux thèses récentes ont déjà permis d'avancer, qu'il s'agisse de l'histoire, de la civilisation (P. Tyl, Madame d'Épinay – Son salon et son oeuvre littéraire, U. Paris I, 1993) que de la littérature, des Lumières (O. David, L'écriture de soi au féminin. Subversion idéologique et formelle dans l'Histoire de Mme de Montbrillant, U. Nice, 2005). Serait-il judicieux d'envisager un établissement et une édition scientifiques sous forme d'oeuvres complètes pour permettre une meilleure connaissance de l'auteur et de ses créations ? Cela pourrait du moins être un autre thème de réflexion pour l'ensemble des participants.

Contact : Jacques Domenech,

CTEL, Université de Nice,

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