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L’humiliation. Discours, représentations et pratiques (XIVe-XXe s.)

L’humiliation. Discours, représentations et pratiques (XIVe-XXe s.)

Publié le par Marc Escola (Source : Lucien Faggion, Christophe Regina et Alexandra Roger)

L’humiliation. Discours, représentations et pratiques (XIVe-XXe siècles)

Délaissée par les historiens, l’humiliation a été principalement traitée par les psychologues, les psychanalystes et les sociologues qui, loin de tenir celle-ci pour une émotion, la considèrent comme une blessure infligée à l’amour-propre, qui est accompagnée d’un sentiment de honte. Cependant, fragilisant le lien social et moral, au point de le nier, l’humiliation est davantage qu’une blessure affectant l’ego : elle est tout à la fois une action, un mot, un signe et un sentiment qui visent à détruire (ou à ternir) la réputation d’un individu et à rabaisser celui-ci à un statut de déchu, sur qui pèse l’opprobre, l’évitement et le rejet social. En effet, emprunté au latin chrétien humiliatio (« action d’abaisser » ; au figuré, « abaissement, action d’humilier par la mortification »), le terme humiliation signifie dans le Dictionnaire universel de la langue française (Paris, 1843, 11e édition) « l’état de celui qui est humilié (“être, tomber dans l’humiliation”) ; [une] action par laquelle on humilie (“essuyer, éprouver une grande humiliation; humiliation extrême”) ». Mais le mot peut également désigner les « événements, choses, pratiques religieuses, qui humilient, mortifient », et le verbe humilier exprimer « abaisser, mortifier, donner de la confusion (humilier quelqu’un, l’orgueil, son cœur ». La Bible associe souvent le mot humiliation à ceux de humble et humilité, une acception qui est ainsi positive, et le mot humiliation peut aussi devenir un signe de « prestige », de « reconnaissance » (élu de Dieu).

Bien que l’humiliation, appréhendée en tant qu’acte et sentiment, s’intègre dans la sphère familiale, sociale et professionnelle, le mot ne figure pas toujours dans le vocabulaire utilisé par ceux qui sont impliqués par l’humiliation (celui qui humilie, celui qui est humilié). D’autres termes le remplacent alors pour qualifier une situation dans laquelle un individu se voit rabaisser après une parole énoncée, un geste commis et/ou un jugement prononcé − situation dans laquelle l’individu se retrouve précisément déclassé aux yeux de tous, se sentant privé de toute reconnaissance et légitimité sociales, et estimant avoir perdu sa crédibilité, autant de valeurs censées être au fondement de son existence. Le rejet, le mépris, l’indifférence, l’invisibilité entrent dans le cadre de l’humiliation, dès lors que l’individu se voit refuser un quelconque lien social. En effet, le déni de reconnaissance, sujet cher au philosophe et sociologue allemand Axel Honneth, n’implique-t-il pas l’humiliation, l’individu étant alors atteint moralement dans son intégrité, exclu de droits et de valeur sociale, perdant la confiance en soi, le respect de soi et l’estime de soi en tant que membre d’une communauté et en tant qu’acteur de cette même communauté ? À ce déni de reconnaissance s’ajoute l’invisibilité sociale qui est une autre modalité du mépris et un corollaire possible de l’humiliation – il faut en effet se cacher, se racheter, se faire pardonner, parfois sur plusieurs générations, car les stigmates, réels ou symboliques, subsistent : les individus et les communautés en gardent la mémoire − traces tangibles maintenues notamment dans les domaines de l’administration et de la justice, de la peinture et de la littérature.

Aussi l’objectif de ce livre est-il de s’interroger sur l’humiliation dans les sociétés du XIVe siècle au XXe siècle. Qu’est-ce qui conduit à l’humiliation ? Quelles formes écrites, gestuelles et émotionnelles revêt l’acte de l’humiliation sur le plan interrelationnel, social, religieux, judiciaire et politique ? Quelle en est l’histoire sur le plan de la vie quotidienne ? L’expérience de l’offense, de la blessure, de l’humiliation est liée à la violation de principes de la justice. Il s’agira aussi bien de mesurer avec attention cette expression de l’injustice et du conflit social, notamment dans la lutte conduite par l’individu pour la reconnaissance, qui est niée dans le cas du mépris et de l’humiliation ; que d’analyser l’acte même de l’humiliation dans la longue durée, en synchronie et en diachronie, dans le cadre des sciences sociales et humaines (droit, linguistique, sociologie, anthropologie, histoire, histoire littéraire et de l’art).

Les lectures différenciées de l’humiliation doivent nous inciter à considérer l’individu et le groupe auquel il appartient dans la longue durée, en fonction des cultures politiques, institutionnelles et religieuses (rites et rituels) ; le statut et l’honneur individuel détenus au sein de la communauté ; le discours et le geste destinés à éclairer l’atteinte portée à l’individu et/ou à un groupe d’individus, ainsi que les valeurs reconnues à l’honneur et à une communauté spécifique ; le discours de l’individu humilié et les éventuelles stratégies-justifications qu’il est amené à exprimer (ouvertement, en présence de ceux qui lui infligent l’humiliation ou par ses écrits) ; les usages de la loi et de la justice, censées préserver et rétablir une justice qui a été bafouée sur le plan individuel et collectif ; le langage des communautés, ainsi que celui des autorités officielles, de l’État et de l’Église, qui cherchent soit à infliger l’humiliation, soit à l’interdire, soit à la réparer, selon des modalités et des contextes variables qu’il convient de mettre à jour du XIVe au XXe siècle.

 

Axes de réflexions possibles

1.- Les discours sur l’humiliation : ceux des hommes de loi, de la politique (les État), de la morale et des Églises, des théoriciens (membres du clergé, écrivains) ; les usages de la dérision et du silence académique comme expression du mépris, du refus et de l’humiliation scientifique ;

2.- Les espaces de l’humiliation : la sphère publique et la sphère privée, la mise en publicité de l’humiliation, l’espace consenti de l’humiliation par l’humilié (le sacrifice de soi, consenti par l’individu au nom de valeurs spirituelles), les liens créés entre l’individu et la société (les degrés de l’exclusion, acceptée ou subie) ;

3.- Les usages de l’humiliation et les réactions : les représentations et les pratiques résultant de l’humiliation et les réactions à l’humiliation (de l’individu qui l’éprouve, des membres de la communauté qui l’infligent) ; le principe d’exclusion et d’accusation sociales, le refus du contre-don comme possible langage de l’humiliation ; les pratiques éventuellement nécessaires dans certaines stratégies politiques ;

 

Modalités de soumission

a) Les propositions doivent être adressées au comité scientifique à l’adresse mail suivante : 

Humiliationenquestion@gmail.com ;

b) Les propositions de communication ne doivent pas excéder une page et doivent être accompagnées d’un titre (caractères Garamond, points 12) ;

c) Nous demandons également aux contributeurs de joindre à leur proposition un bref curriculum vitae précisant leurs champs de recherches et leur affiliation ;

d) La proposition de communication, ainsi que la notice personnelle, seront envoyées dans un seul et même fichier ;

e) Le fichier qui sera expédié à l’adresse e-mail indiquée (en format word) sera intitulé de la façon suivante : NOM_Prénom_titre_date de l'envoi.

 

Calendrier

a) Les propositions de communications seront à adresser au comité au plus tard le 15 février 2016.

b) Les auteurs seront informés de l’acceptation de leur proposition le 19 février 2016.

 

Directeurs de l’ouvrage

Lucien Faggion – Université d’Aix-Marseille, TELEMME (MMSH), Aix-en-Provence ;

Christophe Regina – Université Jean Jaurès, FRAMESPA, Toulouse ;

Alexandra Roger – Université de Limoges, CRIHAM.

 

Comité scientifique

Anne-Claude Ambroise-Rendu, Université de Limoges

Martine Charageat, Université Bordeaux III

Maria Pia Di Bella, CNRS, Iris-EHESS

David El Kenz, Université de Bourgogne

Irene Fosi, Università degli Studi di Cheti G. D’Annunzio

Benoît Garnot, Université de Bourgogne

Marie Houllemare, Université de Picardie

Pierre Legal, Université de Nantes

Sylvie Mouysset, Université Jean Jaurès - Toulouse

Bernard Ribémont, Université d’Orléans