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Le roman graphique

Le roman graphique

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Céline Mansanti)

Appel à communications

Journée d’études sur le roman graphique

Amiens, 5 juin 2014

Département d’anglais de l’UPJV et laboratoire CORPUS

 

Tout à la fois texte et dessin, ressortissant de la culture populaire et de la littérature introspective, le roman graphique est une œuvre hybride, qui ne se laisse pas facilement définir. Impossible d’identifier le roman graphique à un format. Les romans graphiques ne sont pas tous d’épais ouvrages brochés, et l’on peut lire de nombreuses œuvres qui appartiennent clairement à cette catégorie dans des formats plus divers (sérialisé, comme Dykes to Watch out for d’Alison Bechdel, de 1987 à 2008, ou publié en tome comme les romans graphiques Sandman de Neil Gaiman, de 1989 à 1996). On ne peut non plus définir le roman graphique en fonction de la part d’expressivité du texte et du degré d’illustration des images : le roman graphique comme la bande dessinée se détachent du livre illustré par une intégration réciproque des deux media. Le critère fiction/non-fiction est tout aussi défaillant. Les romans graphiques mêlent autant les genres que la fiction et la réalité (comédie, fantasy, fiction historique, fiction réaliste ou encore fantastique).

Née dans les années 20 (God’s Man, Lynd Ward) en tant que forme narrative purement imagée, cette nouvelle forme de narration s’est nettement développée à partir des années 60, et connaît aujourd’hui un âge d’or avec la publication d’œuvres jugées essentielles (Maus d’Art Spiegelman, The Book of Genesis Illustrated de Robert Crumb, Black Hole de Charles Burns ou encore Ghost World, de Daniel Clowes) et la constitution d’un public toujours plus large. La raison d’une telle réussite réside peut-être dans la liberté qu’elle confère à son auteur, liberté qui lui permet d’exprimer une profonde intériorité narrative : des pensées réprimées, une voix, individuelle et sociale, jusqu’alors tue. De ce point de vue, le roman graphique pourrait s’envisager comme une forme mineure, ni roman, ni BD, porteur d’un double projet, narratif et politique : le roman graphique se distinguerait par son aspect autobiographique et sa propension à l’introspection, tout autant que par sa capacité à entrecroiser culture savante et culture populaire et à porter, dans son message mais aussi dans sa forme, des combats politiques.

Parmi les pistes de réflexion possibles, on pourra envisager :

1- Le texte et la narration

Dans les romans graphiques, la narration, souvent à la première personne, tient une place centrale. L’histoire ne reposerait pas tant sur les péripéties que sur le monologue intérieur du narrateur. Peut-on envisager les différents romans graphiques par le biais d’une typologie narratologique (du type Genette) ?

2 - Le rapport texte/image et les modes de lecture

Loin d’un rapport illustratif, répétitif, quelles formes de complémentarité jouent entre le texte et l’image ? Est-ce que le souvenir que l'on garde de la lecture d'un roman graphique est le même que celui d’un roman ou d’un ouvrage de BD ? En quoi le roman graphique affecte la visualisation de l’histoire ?

3 - Roman graphique et trauma

Thématiquement, le roman graphique fait la part belle à la représentation du trauma : les sujets difficiles, une tonalité sombre constituent l’univers de nombre de romans graphiques, y compris ceux de super héros. Comment le trauma est-il représenté graphiquement ? Quels sont les traits du trauma, de la violence ? Le corps tient souvent une place particulière dans le roman graphique, qu’il soit sur-représenté (les œuvres de Robert Crumb ou celles de Phoebe Gloeckner), ou au contraire effacé (Fun Home d’Alison Bechdel, Paying for it de Chester Brown). Peut-on parler pour le roman graphique d’une esthétique de la négativité ?

4 - Roman graphique et concept de minorité

Le roman graphique, en favorisant l’expression de l’intériorité, permet d’exprimer le trauma, de montrer le réprimé. En ce sens, il permettrait de rendre visibles des minorités raciales, sexuelles, culturelles, sociales – au sens de classes – (Marjane Satrapi, Gene Luen Yang, Art Spiegelman), qu’il s’agisse des thèmes abordés ou des auteurs qui les prennent en charge. En particulier, on peut se demander si le roman graphique permet aux femmes de s’exprimer davantage qu’à travers le genre « majeur » que serait la BD, très investi par les hommes. Plus largement, on pourrait s’intéresser à l’interaction entre le roman graphique et le concept de minorité défini par Deleuze et Guattari, à la fois comme « un état de fait, c’est-à-dire une situation d’un groupe qui, quel que soit son nombre, est exclu de la majorité » et comme « un devenir dans lequel on s’engage », une « variation [que l’on construit] autour de l’unité de mesure despotique » (in Gilles Deleuze, « Un manifeste de moins », Superpositions, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 128-9).

5 - Le roman graphique entre culture populaire et savante

Le roman graphique trouve une partie de ses origines dans la BD. Pour autant, la place prépondérante du dessin fait-elle du roman graphique un avatar de la culture populaire ? La culture savante (la psychanalyse dans l’œuvre de Bechdel, les sciences dans Logicomix: An Epic Search for Truth, la culture viticole dans Les Ignorants, ou encore les rouages diplomatiques de la politique internationale française dans Quai d'Orsay) peut aussi y trouver un lieu d’expression privilégié. Le roman graphique présente en ce sens une hybridité intéressante. Loin d’être un objet d’étude statique, il s’inscrit au cœur de mutations culturelles.

6 - Le marché et l’avenir

Quelles sont les maisons d’édition qui publient des romans graphiques ? Sont-elles spécialisées ? Quel est le marché des romans graphiques ? Son lectorat ? Quelles sont ses évolutions significatives ? Est-ce que l’adaptation en romans graphiques d’œuvres réputées « difficiles » (Shakespeare, Tolkien) deviendra une/la nouvelle façon de faire l’expérience des classiques ? Le roman graphique, en permettant la médiation de discours peu accessibles, n’est-il pas déjà mainstream ?

 

Modalités

Proposition de communication (300 mots minimum, pour une communication de 15 minutes) à envoyer à Amélie Junqua (ajunqua@gmail.com) et Céline Mansanti (cmansanti@gmail.com) avant le 30 janvier 2014.

 

Bibliographie indicative

Sources primaires :

Lynd Ward, God’s Man (1929)

Robert Crumb, Fritz the Cat (1969)

Osamu Tezuka, Buddha (1972-83)

Harvey Pekar, American Splendor (1976-2008)

Will Eisner, A Contract with God (1978)

Alan Moore et David Lloyd, V for Vandetta (1982-85)

Art Spiegelman, Maus (1986)

Frank Miller, Batman: The Dark Knight Returns (1986)

Alan Moore and Dave Gibbons, Watchmen (1986)

Neil Gaiman, Sandman (1989-96)

Jirô Taniguchi, Aruku Hito (1990)

Derf Backderf, My Friend Dahmer (1994, 2002)

Charles Burns, Black Hole (1995-2005)

Daniel Clowes, Ghost World (1997)

Junji Ito, Uzumaki (1998)

Chris Ware, Jimmy Corrigan: The Smartest Kid on Earth (2000)

Phoebe Gloeckner, A Child’s Life (2000)

Guy Delisle, Shenzhen (2000), Pyongyiang (2003)

Marjane Satrapi, Persepolis (2000-2003)

Emmanuel Guibert et Didier Lefevre, Le Photographe (2003-2006)

Peter Kuper, Sticks and Stones (2004)

Alison Bechdel, Fun Home: A Family Tragicomic (2006), Are You My Mother ? (2013)

Gene Luen Yang, American Born Chinese (2006)

Marisa Acocella Marchetto, Cancer Vixen (2006)

Shaun Tan, The Arrival (2006)

Debbie Drechsler, Daddy’s Girl (2008)

Manu Larcenet, Blast (2009)

Apostolos Doxiadis, Christos H. Papadimitriou, Alecos Papadatos, Annie Di Donna , Logicomix: An Epic Search for Truth (2009)

Christophe Blain et Abel Lanza, Quai d'Orsay : chroniques diplomatiques (2010)

Etienne Davodeau, Les Ignorants (2011)

Gabrielle Bell, The Voyeurs (2012)

Chester Brown, Paying for it (2013)