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Jacques Chardonne et la complexité des temps

Jacques Chardonne et la complexité des temps

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Stephane.Chaudier@wanadoo.fr)

La revue Roman 20-50 de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille3 consacre un dossier à Jacques Chardonne (numéro de janvier 2008) qui sera dirigé par Stéphane Chaudier et Catherine Douzou.


   Jacques Chardonne et la complexité des temps


    Pourquoi revenir à Chardonne ? Quelles leçons peut-on attendre d’un écrivain qui, à l’épreuve des faits, et dans des circonstances critiques, a montré si peu de discernement ? Répondre, s’il se peut, à cette question, tel sera le pari de ce nouveau numéro de Roman 20 / 50. Ni plaidoyer, ni réquisitoire, l’analyse de deux romans (Les Destinées sentimentales, 1934-1936, Vivre à Madère, 1952) s’efforcera de comprendre l’intérêt qu’ils suscitèrent, en leur temps, chez les contemporains de Chardonne ; et de mesurer en quoi cet intérêt, par son caractère inactuel, relance et nourrit nos propres questions sur les rapports entre le roman et ce qu’il est convenu d’appeler le réel.
    Placer ce « retour » à Chardonne sous le signe des temps, c’est interroger le jeu des formes (figures narratives, stylistiques, poétiques) à la source existentielle où elles s’abreuvent. Relisons ces quelques lignes : « Vous appartenez à cette espèce bizarre de gens […] qui rougissent de la victoire de leur pays, toujours impudente. Vous êtes moins gêné par la défaite, qui rend modeste et donne à réfléchir. Pénible inversion des sentiments naturels » . Curieuse attitude en effet, que celle qui voit dans l’humiliation la condition du savoir, de la méditation, du perfectionnement moral. Ce paradoxe semble bien indiquer un tourment intime qui, lui-même, modèle un imaginaire du temps.

    Quel que soit le lieu où elle s’observe, – l’intériorité du sujet, l’enceinte du couple, la vie de l’entreprise ou celle, plus large encore, de la société –, la corruption est le maître mot de l’évolution. La défaite et l’échec font paraître au grand jour le travail souterrain du mal ; il se trouve ainsi placé au cœur du principe de causalité. Rien de plus urgent, pour la pensée et l’écriture, que de réagir par un travail « d’analyse ». Ce dernier marquera en effet la liberté et l’ambition du sujet ; son refus de collaborer à l’œuvre maléfique dont il est à la fois l’agent ou le complice, et à coup sûr, le lieu et la victime ; sa double tentative, enfin, de réforme de soi et de compréhension du monde.
    Ainsi se constitue une poétique « conservatrice ». Elle loge la beauté et le principe de vie dans la réappropriation de la tradition et de ses vertus créatrices. La tradition se voue à conserver une excellence à la fois éprouvée et menacée, méconnue et retrouvée. Le cognac, dont la saveur procède du temps avec qui elle fait alliance, est le symbole incontestable d’une telle poétique. Cette sensibilité si vive aux « leçons » existentielles du passé rend la pensée particulièrement attentive aux drames de la transmission – et donc à la question du lien, de la perpétuation ou de l’oubli des valeurs.

    S’interrogeant de façon aiguë sur les comportements humains, sur le bien et le mal, et sur leur mélange presque inextricable, Chardonne ne peut manquer de rencontrer la question du langage, saisie dans son rapport intime à la vérité. Une écriture limpide comme la sienne ne postule nullement une conscience transparente à elle-même : elle peut au contraire montrer le travail retors du mensonge et de la mauvaise foi. Dans la prose de Chardonne, le discours analytique ne cesse en effet de faire retour sur lui-même ; il invite à s’interroger sur les bonnes (ou les moins bonnes) raisons que chacun se donne pour faire usage qu’il fait de sa raison.

    Si, comme le prétend (à juste titre, selon nous) Thomas Pavel, il existe une pensée du roman et s’il est vrai que celle-ci se déploie de manière privilégiée dans le champ de l’éthique, il a semblé intéressant de « revenir » à un écrivain qui, justement, a fait sien cet idéal : faire de la prose fictionnelle l’une des terres d’accueil de la réflexion. Les règles de la revue imposent qu’on s’en tienne à deux œuvres, tenues pour emblématiques des deux « manières » de Chardonne : Les Destinées sentimentales sont l’épopée d’un couple bourgeois se mesurant à la dureté des temps ; Vivre à Madère ressemble plutôt au journal de bord d’un homme compliqué, partagé entre plusieurs lieux, plusieurs femmes, plusieurs époques. Rien n’interdit, bien au contraire, les tentatives de synthèse, pour peu qu’elles fassent largement appel aux textes retenus. Les études intertextuelles, reconstituant à travers les « emprunts » la trame et parfois le drame des dettes et des filiations, seront elles aussi les bienvenues.

    Les lignes qui précèdent ont fait la part belle aux approches poétologiques « internes » ; mais où errerions-nous, privés de boussole de l’histoire ? C’est pourquoi on ne saurait trop encourager les travaux qui se consacreront spécifiquement à la réception de Chardonne, à son inscription dans « la complexité des temps ».

Catherine DOUZOU
Stéphane CHAUDIER


Les articles seront rédigés en français.
Les propositions (une dizaine de lignes), accompagnées d’une brève biobibliographie de leur auteur, seront adressées conjointement à Stéphane Chaudier et à Catherine Douzou avant le 31 mars 2007.
Longueur des articles : 25 000 à 30 000 signes (espaces compris)
Date de remise : impérativement avant le 31 septembre 2007, le dossier étant soumis à l’expertise d’un comité de rédaction.

Editions de référence :
Les Destinées sentimentales, Albin Michel, 2000.
Vivre à Madère, Grasset, coll. « Les Cahier rouges », 2004.

Catherine.Douzou@univ-lille3.fr
Stephane.Chaudier@wanadoo.fr