Collectif
Nouvelle parution
J.-M. Djian, Vincennes. Une aventure de la pensée critique

J.-M. Djian, Vincennes. Une aventure de la pensée critique

Publié le par Marc Escola

 

Vincennes - Une aventure de la pensée critique
Jean-Michel Djian

Pascal Binczak (Préfacier), Collectif

Paru le : 04/03/2009
Editeur : Flammarion
ISBN : 978-2-08-122437-7
EAN : 9782081224377
Nb. de pages : 191 pages

Prix éditeur : 45,00€


Conspuée par le pouvoir politique mais célébrée par les intellectuels du monde entier, " Vincennes " est une légende.

Car l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, initiée il y a quarante ans par Edgar Faure dans la foulée de 68, a su attirer dans ses murs parmi les plus grands penseurs et artistes contemporains : Alain Badiou, Étienne Balibar, Roland Barthes, François Châtelet, Noam Chomsky, Hélène Cixous, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Dario Fo, Michel Foucault, André Glucksmann, Félix Guattari, Pierre Guyotat, Henri Laborit, Jacques Lacan, Georges Lapassade, Jean-François Lyotard, le mime Marceau, Herbert Marcuse, Jacques Marseille, Henri Meschonnic, André Miquel, Henri Mitterand, Mona Ozouf, Jean-Claude Passeron, Frank Popper, Jacques Rancière, Madeleine Rebérioux, Michel Serres, Tzvetan Todorov, Iannis Xenakis et tant d'autres encore.

En réunissant des textes et des documents dont certains sont inédits, Jean-Michel Djian honore l'expérience vincennoise à travers les témoignages de quelques-uns de ceux et celles qui l'ont enfantée ou nourrie : l'écrivaine Hélène Cixous, les géographes Yves Lacoste et Alain Bué, le mathématicien Denis Guedj, les linguistes Pierre Encrevé et Bernard Cerquiglini, l'historien de l'art Pascal Bonafoux, les anglicistes Bernard Cassen et Pierre Dommergues, le psychanalyste Gérard Miller, le poète Philippe Tancelin, la dramaturge Stéphanette Vendeville, le lusophone ( et ancien président de la République du Portugal ) Mario Soares, le sociologue de l'éducation Rémi Hess, l'historien journaliste Jacques Julliard.

Creuset fécond des imaginaires sociaux, des utopies politiques et des pratiques novatrices de la transmission des savoirs, l'histoire de Vincennes illustre ici, et de belle manière, le rôle critique de l'Université française. Un pavé dans le jardin de la pensée unique académique d'aujourd'hui.

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Dans Libération du 28/03/2009, on pouvait lire un article sur cet ouvrage: Vincennes refait ses universités

Livre. L'aventure de Paris-8, initiée il y a quarante ans.


NATALIE LEVISALLES

Jean-MichelDjian est à la fois journaliste et professeur associé à Paris-8 depuis1994. Voilà comment il a eu accès aux archives de la fac de Vincennes(aujourd'hui installée à Saint-Denis), et a retrouvé des bouts de filmsdu département cinéma, des photos du «souk» ou du Living Theatre et deses acteurs nus comme des vers, des tracts et des affiches, une massede documents formidables. Il a ensuite demandé aux enseignants présentsdans les premières années de raconter leur passage à Vincennes. On peutainsi lire Gérard Miller et Bernard Cerquiglini sur Michel Foucault,Pierre Dommergues sur Marcuse, Pascal Bonafoux sur Frank Popper. Il y aaussi des textes des années 70, notamment Henri Laborit sur la biologieet l'urbanisme, Noam Chomsky sur la linguistique, Deleuze sur lesmaths, la philo et la musique…

Expérience unique. A l'arrivée, ces textes et ces images réunisracontent de manière incroyablement vivante ce qu'a été ce projet, ilfait sentir l'air du temps et entendre les slogans, il nous rappelleque la plupart des intellectuels français de l'époque (Foucault,Châtelet, Cixous, Deleuze, Meschonnic, Rébérioux, Lyotard, Serres…),plus quelques étrangers (Chomsky, Marcuse, Frank Popper…) ont fait deVincennes un lieu qui a tenté de mettre en oeuvre les idées de 68 et enmême temps une université qui a eu un rayonnement international.

Le livre est un dossier très riche, très informé et souvent assezdrôle, sur une expérience restée unique en France : la création enjanvier 1969 du Centre universitaire expérimental de Vincennes, ditaussi université Paris-8. Son auteur raconte l'histoire de cetteexpérience, de la construction des préfabriqués dans le bois, en 1968,jusqu'au déménagement forcé à Saint-Denis en 1980. Il décrit les «milliers de non-bacheliers, de travailleurs, d'étudiants de toutes origines géographiques et sociales, d'enseignants cooptés»,la création des premiers départements de géopolitique et d'artsplastiques, le «souk» où on pouvait acheter merguez, tuniquesindiennes, patchouli et drogues diverses, la crèche et la maternellesur le campus, et les AG interminables. On y retrouve aussi la flammequi animait tout le monde, à commencer par une des fondatrices, HélèneCixous, qui, à propos de «ces années arides et extrêmement séismiques», écrit : «Celafait de l'amitié le commencement d'une armée idéale. On n'en peut pluset on n'en veut plus du Vieux Monde, incarné en France, pour le malheurcommun, par de Gaulle qui fut grand et s'entoure de petits.» Si lestextes de souvenirs ou d'analyse écrits aujourd'hui sont pour laplupart très intéressants, les plus étonnants sont les documentsd'époque.

«Détachement louable». Même s'il est difficile de déterminer sanature, apocryphe ou non, on lira avec délectation cette affiche signéeAlain Badiou et datée du 2 juin 1969. «Auront leurs UV [unités devaleur, ndlr] ceux qui auront condensé toute leur pensée philosophiquedans un bombage ou dans une inscription murale, ceux qui ne sont jamaisvenus mais qui ont ainsi montré par leur absence un détachement louabledes choses de ce monde et une méditation profonde.» On conseillera aussi au lecteur de s'arrêter sur cetrès édifiant document pédagogique (1972) du département de chinois(qui, rappelons-le aux plus jeunes de nos lecteurs, était tenu par desmaoïstes qui ne rigolaient pas). «Faire autre chose de notredépartement de chinois, c'est briser et non aménager ce qu'il a étéjusqu'à présent. Que s'y passait-il ? Qu'y faisait-on ? En ce quiconcerne la langue, on l'abordait à travers des textes et dialoguespour enfants […] Or, ce sont LES TEXTES LUS ET DÉBATTUS CHAQUE JOUR PARLES CHINOIS EUX-MÊMES que nous voulons aborder […] Les UV decivilisation sont donc remplacées par un système d'UV critiques qui ontpour objets essentiels les matériaux qu'on utilise pour apprendre lalangue, mais aussi d'autres matériaux non nécessairement chinois. […]Notre système d'UV critiques organise les connaissances que possèdentles enseignants du département ET CELLES QU'ILS NE POSSÈDENT PAS ET QUENOUS ALLONS CHERCHER HORS DE L'UNIVERSITÉ. Ne nous le cachons pas ; ily aura entre nous des débats, des discussions que nous n'escamoteronspas : NOUS APPRENDRONS LA CHINE QUI EST ELLE-MÊME UNE RÉALITÉCONTRADICTOIRE A TRAVERS LE PROCESSUS DE NOS PROPRES CONTRADICTIONS.»

Lacan et le savoir. Mais le plus croustillant des documents estpeut-être la transcription du seul séminaire que Jacques Lacan a donnéà Vincennes, le 3 décembre 1969. «Lacan : - C'est ça qui est mis enquestion : la fonction dans la société d'un certain savoir, celui quel'on vous transmet. Il existe.

Intervention : - Est-ce que vous ne pourriez pas parler pluslentement parce que certains étudiants n'arrivent pas à prendre desnotes ? Intervention : -Il faut être débile pour prendre des notes etne rien comprendre à la psychanalyse et à Lacan en particulier. […]Lacan : - Le discours universitaire, le voici. Ici, en positionmaîtresse, comme on dit, S2 le savoir. J'ai expliqué…Intervention : - Tu te moques de qui ici ? Le discours universitaire,il est dans les unités de valeur… Alors ne nous fais pas croire que lediscours universitaire est au tableau ! Parce que ça, c'est pas vrai.Lacan : - Le discours universitaire est au tableau parce qu'il occupe,au tableau, une place en haut à gauche… Intervention : -Pendant que cecours ronronne tranquillement, il y a cent cinquante camarades desBeaux-Arts qui se sont fait arrêter par les flics et qui sont depuishier à Beaujon parce que, eux, ils ne font pas des cours sur l'objet"a" comme le mandarin ici présent et dont tout le monde se fout.»

Pour ceux qui trouveraient cet échange un peu violent, le livrerappelle aussi des moments plus doux, comme celui évoqué par une photoqui immortalise des enfants de la maternelle réunis autour du poètePhilippe Soupault, 80 ans.