Essai
Nouvelle parution
J.-B. Guinot, Dictionnaire Flaubert

J.-B. Guinot, Dictionnaire Flaubert

Publié le par Pierre-Louis Fort

Jean-Benoit Guinot

Dictionnaire Flaubert

Préface de Pierre-Marc de Biasi

CNRS éditions, 2010, 790 pages

Pris: 39, 00 euros

ISBN: 9782271069283

Présentation de l'éditeur

Flaubert par Flaubert, ou la version totale, à laquelle lui-même n'avait pas pensé, du Dictionnaire des idées reçues.Une immersion sans précédent dans l'oeuvre du maître à travers un largechoix de citations, accompagnées de notices sur ses romans,personnages, contes, articles et pièces de théâtre. Plus de 1 500entrées, un index thématique, une chronologie, une somme encyclopédiquepour (re)découvrir l'impérissable romancier, Flaubert truculent,persifleur, rancunier, mélancolique, gastronome, mélomane, Flaubertmisanthrope et mondain, ascète et jouisseur, grave et insouciant,Flaubert l'ami, l'amant, le voyageur, l'esthète, le provocateur,Flaubert et son incompréhension de la politique, sa préoccupationconstante de la transcendance, sa haine de la Bêtise et du Bourgeois.

D'« admirer » à « virilité », d'« Académie française » à « Virgile», de « L'Assommoir » à « Voltaire », voici restitué dans sa totalitél'univers de l'écrivain, avec son jusqu'auboutisme, ses fulgurances,ses coups de gueule et ses coups de coeur.

Jean-Benoît Guinot a collaboré à l'édition du volume V de la Correspondance de Flaubert et dirigé l'index général de cette Correspondance, tous deux parus dans la collection La Pléiade.

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Dans Le Monde des livres du 9/7/10, on pouvait lire cet article de B. Le Gendre:

Critique "Dictionnaire Flaubert", de Jean-Benoît Guinot : Flaubert par lui-même et par ses proches LE MONDE DES LIVRES | 08.07.10 | 11h12
Chacun a sa petite idée sur Flaubert : le collégien qui découvre Madame Bovary, l'intellectuel fasciné, comme l'était Sartre, par les méandres de la création littéraire... Et Gustave, que pensait-il du cas Flaubert ? Quels jugements inspirait-il à ses contemporains ? Que disent ses livres de l'homme et de son époque ?

35326566343963613461326136336430 La dernière somme sur le sujet est un dictionnaire de 800 pages et 1 500 entrées, qui pourrait avoir pour titre Flaubert par lui-même et par ses proches. Il regorge d'extraits de son oeuvre et de sa correspondance. Il parle des lieux (Rouen où, fils d'un médecin en vue, Flaubert a vu le jour en 1821 ; Croisset, sa thébaïde des bords de Seine où, épuisé de travail, il est mort foudroyé par une hémorragie cérébrale cinquante-neuf ans plus tard), et tout autant de ses amis (Sand, Tourgueniev...), de ses amours (aucunes ne lui réussirent vraiment), de ses tourments financiers et des anathèmes dont il accablait les "bourgeois" et ses éditeurs.

Il fallait un connaisseur méticuleux de l'oeuvre pour ordonner ce puzzle. Libraire à Strasbourg (Ivres de livres), Jean-Benoît Guinot a collaboré à l'édition du tome V de la Correspondance de Flaubert dans la "Pléiade" ainsi qu'à l'index couvrant les cinq volumes de cette correspondance, parus l'un et l'autre en 2007. Les 4 335 lettres que l'on a retrouvées de l'ermite de Croisset abordent tant de sujets qu'une relecture raisonnée s'imposait. Ce Dictionnaire Flaubert met au jour les thèmes récurrents, trie, classe, élague et ouvre des pistes auxquelles on n'aurait pas pensé. Il ne dispense pas de lire la Correspondance mais il la rend plus intelligible.

Les principaux personnages de Madame Bovary font l'objet d'une notice, citations tirées du livre à l'appui. De même pour les à-côtés : le procès pour offense à la morale publique que l'ouvrage déclencha. Commentaire de Flaubert : "Il y a de l'immoralité à bien écrire." Une chronologie synoptique rappelle qu'à l'époque où Flaubert rédigeait "sa" Bovary (1855), un autre Gustave, le peintre Courbet, était exclu du Salon. Et qu'en 1863, lorsqu'il s'attaqua à la rédaction de L'Education sentimentale, une encyclique du pape condamnait le monde moderne.

Flaubert était-il de son temps ? Il l'a côtoyé, vilipendé et fui, en sacrifiant de temps à autre à son statut d'homme de lettres. Ses relations avec les femmes sont tout aussi contingentes : "L'amour est comme un besoin de pisser. Qu'on l'épanche dans un vase d'or ou dans un pot d'argile, il faut que ça sorte. Le hasard seul nous procure les récipients." Plus misanthrope que misogyne, Flaubert ne supporte pas ses contemporains : "Je me retire de plus en plus dans mon trou, pour n'avoir rien de commun avec mes semblables - lesquels ne sont pas mes semblables." Cette hargne s'étend à la politique : "Il est dommage que les conservateurs soient si misérables et les républicains soient si bêtes." Il vomit le populo. Il préfère fréquenter les salons de la princesse Mathilde, la cousine de Napoléon III qu'il appelle nonobstant Badinguet.

Cet anar de droite (anachronisme) est un forçat du mot juste, de la phrase ciselée. L'entrée "Assonance" en témoigne : "Quand je découvre (...) une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le Faux." Edmond et Jules de Goncourt confirment cette obsession de Flaubert, avec leur vacherie coutumière : "Il y a un remords qui empoisonne sa vie, ça le mènera au tombeau ; c'est d'avoir mis dans Madame Bovary deux génitifs l'un sur l'autre, "une couronne de fleurs d'oranger"." Les Goncourt se moquent mais ils voient juste. Couvert de clous de fièvre, en proie à des crises d'épilepsie, Flaubert se consume à raturer Bouvard et Pécuchet qu'il n'achèvera pas.

L'hommage posthume que lui rend Zola est dans le ton, piété filiale en moins, de celui de Maupassant. L'auteur des Rougon-Macquart salue en son aîné le précurseur du roman moderne : "Gustave Flaubert a réduit à la stricte nécessité les longues énumérations de commissaires-priseurs, dont Balzac obstruait le début de ses romans. Il est sobre, qualité rare ; il donne le trait saillant, la grande ligne, la particularité qui peint, et cela suffit pour que le tableau soit inoubliable."

DICTIONNAIRE FLAUBERT de Jean-Benoît Guinot. CNRS Editions, 794 p., 39 €.
Bertrand Le GendreArticle paru dans l'édition du 09.07.10