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Nouvelle parution
I. Tschistiakov, Journal d'un gardien du goulag

I. Tschistiakov, Journal d'un gardien du goulag

Publié le par Marc Escola

Référence bibliographique : I. Tschistiakov, Journal d'un gardien du goulag, Denoël, collection "Médiation", 2012.

Journal d'un gardien du goulag
IVAN TCHISTIAKOV

Traduit du russe par Luba Jurgenson
Préface de Irina Shcherbakova

Denoël

coll. Médiations

288 pages

ISBN 9782207261149

Date de parution : 19-01-2012

21,69 €

Pendant quelques mois, dans les années 1935-1936, Ivan Tchistiakov, gardien d'un camp de prisonniers sur le chantier de la voie ferrée Baïkal-Amour, a tenu son journal. Publié aujourd'hui pour la première fois, c'est l'un des seuls documents de ce genre à nous être parvenus. Le fonctionnement des camps soviétiques est certes bien connu, grâce à la parole des victimes et aux documents amassés par le système bureaucratique, mais l'image des «hommes aux fusils» est encore floue.

Si Ivan Tchistiakov s'est retrouvé à escorter les détenus pendant leur travail, garder le camp itinérant, accompagner les convois et poursuivre les fuyards, ce n'est pas de son propre gré. Chaque journée est vouée à un seul désir : sortir par tous les moyens du cauchemar qui l'a happé. Et qu'il ne cesse de décrire : un climat terrible, un logement épouvantable où, la nuit, les cheveux se collent au front à cause du froid, l'impossibilité de se laver, l'absence de nourriture normale, des maladies à répétition.

Le dégoût que lui inspire son travail est évident. Dès les premières pages percent des notes de compassion envers ceux qu'il doit garder. Il perçoit ce qu'un chef, au camp, ne veut pas savoir. On comprend mieux, à le lire, à quel point les camps soviétiques ont fini par incarner un modèle de société.

Les cahiers originaux du journal d'Ivan Tchistiakov se trouvent aux archives de la société Memorial de Moscou, qui, depuis les années 1980, se donne pour tâche de rassembler documents, lettres, témoignages et mémoires liés à l'histoire des répressions politiques en URSS.

On ne sait que très peu de chose sur Ivan Tchistiakov. Il est sans doute né au tout début des années 1900. Moscovite, probablement enseignant dans un institut technique ou ingénieur avant d'intégrer l'administration du Goulag comme gardien, il est mort au front dans la région de Toula, en 1941.

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Le figaro.fr a mis en ligne le 11/1/12 un article relatif à cet ouvrage, signé J.-F. Paoli:

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On ne sait pas vraiment quand mourut Ivan Tchistiakov, sans doute en 1941 sur le front russe, ni quel âge il avait exactement, ni quel métier il exerçait avant d'être envoyé au goulag. Mais on connaît son journal, retrouvé par hasard, l'oeuvre d'un homme désespéré qui n'a que les mots, écrits au jour le jour, pour ne pas sombrer.

Ce journal est celui, à peu près unique, d'un gardien de camp responsable de prisonniers de droit commun et d'anciens koulaks, ces paysans dépossédés par le régime, envoyés loin, très loin, dans l'extrême est de la Russie, pour y construire une voix ferrée depuis le lac Baïkal jusqu'au fleuve Amour. Là se trouve le Bam Lag, abréviation des mots «Baïkal», «amour» et «goulag», lieu dantesque où les réprouvés du régime se meurent à petit feu, dans le froid et la saleté.

Nous sommes en 1935, époque du stakhanovisme triomphant et du productivisme intensif. Staline vient de déclarer que «la vie est devenue meilleure, est devenue plus gaie» en URSS. La «dictature du prolétariat» est révolue et le socialisme est là, qui s'accomplit sous nos yeux éblouis. Ancien communiste radié du parti pour des raisons obscures, Tchistiakov ne remet pas en question cette vision du monde, ni même le système qu'il subit: il a été envoyé dans ce camp pour stimuler l'ardeur des Zeks, ces bagnards du régime socialiste, ils sont à cette époque près de 2 millions, qui, comme les esclaves d'autrefois, travaillent jusqu'à extinction de leurs forces. Ils meurent usés par le froid - la température descend à moins de 50 ° -, les mauvais traitements et, pour échapper à leur sort, fuient parfois les camps, à leurs risques et périls.

Mieux loti

Une des tâches de Tchistiakov est justement d'empêcher les évasions. Celui-ci n'est pas un bourreau du système, mais une victime, un peu mieux lotie que les autres victimes. Il éprouve un mélange de compassion, de mépris et de dégoût pour les Zeks, qui sont pour la plupart des analphabètes et pour beaucoup des brutes. Il relate avec lucidité la progression de son insensibilité au sort des autres. Très monotone, même s'il n'est pas dépourvu d'humour, ce journal témoigne de l'incroyable capacité de l'homme à résister aux pires conditions. La chaleur d'un feu qui réconforte prend ici une dimension métaphysique. Pourquoi Tchistiakov ne s'est-il pas suicidé, alors qu'il avait une arme à sa disposition et qu'il en a eu si souvent la tentation ? «J'ai sorti mon Nagant et l'ai porté à ma gorge. C'est si simple de presser la détente et je ne sentirais plus rien. Comme c'est facile. Une sorte de jeu. Et il n'y a là rien d'effrayant, rien de surnaturel. Comme avaler une cuillerée de soupe.» Au-delà du goulag, ce document témoigne de ce que deviennent les hommes, même les meilleurs, quand ils sont soumis au régime concentrationnaire.